Quels sont les facteurs déclenchant le passage à l'acte des tueur.ses psychopathes ?
Question d'origine :
Bonsoir,
Je suis à la recherche d'articles et de livres accessibles sur la notion de criminels/meurtriers psychopathes et surtout sur le point suivant : comment un individu qui aurait un score fort au test PPI (dans certaines de ses dimensions) ou au Psychopathy Checklist de Robert Hare passerait-il à l'acte de tuer ? Ce passage à l'acte dépend-il uniquement du moment et des circonstances du moment ? J'emploie dans cette question "aurait" car le diagnostic de la psychopathie ne peut être fait que très difficilement chez les gens qui ont été arrêtés après l'acte et en sachant qu'ils mentent très souvent.
J'ai lu les articles dans Cerveau et Psycho sur le sujet et l'on apprend que tous les psychopathes ne sont pas des criminels.
En vous remerciant par avance.
Réponse du Guichet
Les tests dont vous parlez peuvent donner une indication de l’importance du risque statistique théorique de passage à l’acte violent et de récidive. Mais le passage à l'acte répond à une logique complexe et multifactorielle. Il est affaire d’éléments circonstanciels, situationnels ou tenant à la nature et à l’attitude de la future victime ainsi qu'à la pathologie de l'individu.
Nous vous conseillons une série de documents sur ce sujet.
Bonjour,
On trouve tout d'abord quelques notions essentielles du passage à l'acte dans ce document publié par le Centre d’études sur les dynamiques sociales et la recherche-action :
Le passage à l’acte (agieren en allemand, acting out en anglais) est défini par Freud dans un texte de 1914 « Remémoration, répétition et perlaboration » comme une mise en action de quelque chose que le sujet a oublié et réprimé, mais qu’il reproduit, sans savoir qu’il s’agit alors d’une répétition.
Le dictionnaire de psychologie le définit comme un « processus de transformation d’une intention en sa réalisation motrice » ; il s’agit d’un agir, d’un acte impulsif qui transgresse des interdits collectifs ou individuels. « L’intention qui lui donne naissance est en générale consciente. C’est la facilitation de sa réalisation qui est tenue pour pathologique […]. Le passage à l’acte peut aussi extérioriser une intention demeurée inconsciente ; c’est alors l’existence de cette intention qui est tenue pour pathologique. »
Lacan différencie le passage à l’acte, comme un acte sans parole, qui n’a pas de sens, et l’acting out, acte qui peut ensuite être repris dans une verbalisation et qui a un sens. Pour l’auteur du passage à l’acte, celui-ci traduirait une intolérance à la frustration, une recherche d’une confrontation à la loi, une identification du sujet à l’objet et une fragilité des limites du Moi. « Franchissement », « faillite de la pensée », « tentative pour rompre un état de tension psychique intolérable », etc., sont autant de notions qui caractérisent l’essence même du passage à l’acte. Il vient protéger le sujet d’une angoisse, d’une menace externe ou interne, en prévenant l’entrée en relation précipitée dans l’ici et maintenant, dans une violence équivalente à son angoisse.
Le Pr Duverger, dans une conférence sur la clinique du passage à l’acte chez l’enfant et l’adolescent, perçoit le passage à l’acte en termes de « court-circuit » de la pensée, mais aussi comme « une rupture avec un fonctionnement habituel » et il situe le passage à l’acte, lui aussi, du côté de l’angoisse.
source : Le passage à l’acte : sources et mécanismes
Différents outils, tels ceux que vous citez dans votre question, ont été développés à partir de facteurs statistiquement corrélés au risque de violence dans la littérature. "Ils produisent une évaluation chiffrée du risque, valable pour une population donnée, pour une période donnée.
Ces échelles actuarielles s’appuient, le plus souvent, sur un faible nombre d’items, regroupés en trois catégories : les items concernant la violence passée du sujet, les items renforçant les comportements violents (abus de substance, impulsivité) et les items concernant les stimuli qui peuvent déclencher le passage à l’acte (alcoolisation aigüe, séparation..)."
source : Présentation comparative des outils d'évaluation du risque de violence / Mélanie Voyer, Jean-Louis Senon - « L'information psychiatrique » 2012/6 Volume 88 - pages 445 à 453
Les éléments déclencheurs du passage à l’acte violent sont multifactoriels et vont dépendre de la pathologie de chaque individu.
D’après les documents consultés, ce recours à la violence peut être en lien avec une intolérance à la frustration qui se manifesterait par un acte impulsif comme seule réponse possible. La tension est telle que les personnes sont incapables de différer l’accomplissement de leurs désirs et d’anticiper les conséquences de leurs actions. La notion de "court-circuit" est souvent avancée pour décrire cette décharge pulsionnelle liée à une tension psychique intolérable.
Autres facteurs environnementaux qui pourraient provoquer un passage à l’acte violent : le stress et l'angoisse. Les personnes confrontées à un environnement de vie stressant connaissent une augmentation de l’incidence de comportements violents.
Dans d’autres cas, le risque de violence est majoré par l’abus d' alcool et autres substances psychoactives.
Nous vous laissons consulter l'ensemble de ces documents qui abordent la problématique du passage à l'acte sous divers angles :
- Patrick-Ange RAOULT dans l'article intitulé « Clinique et psychopathologie du passage à l'acte », (Bulletin de psychologie, 2006/1 (Numéro 481), p. 7-16) s'attache tout d'abord à préciser ce qu'est un passage à l'acte avant de décrire "Les processus du passage et du recours à l’acte". Nous vous laissons consulter son article dans son intégralité.
- Le passage à l'acte [Livre] : aspects cliniques et psychodynamiques, document dans lequel Frédéric Millaud explique que le passage à l'acte "vise à réduire la tension anxieuse et les enjeux sont des enjeux de vie ou de mort. La mort de soi ou de l'autre devient la solution".
- Dans « Dangerosité psychiatrique et prédictivité », Mélanie Voyer, Jean-Louis Senon, Christelle Paillard (L'information psychiatrique, 2009/8 (Volume 85), p. 745-752) présentent les différents facteurs de risque de violence.
- Nous vous renvoyons également à cet essai de classification des homicides pathologiques par la Faculté de médecine d'Oran - Centre hospitalo-universitaire, service de médecine légale : La personnalité criminelle.
En complément :
- Passage à l’acte et angoisse paroxystique : interrogation psycho-criminologique / Isabelle Le Goff
- Passage à l'acte [Livre] : entre perversion et psychopathie / dir. P. A. Raoult
- Les rouages du passage à l’acte dans les quatre structures psychiques / Stéphanie Germani - Soins psychiatrie (n°329 - Vol 41), 2020
- Approche psychopathologique du passage à l'acte homicide-suicide / Anne-Sophie Chocard - Imaginaire et inconscient (n°16), 2005
- Les auteurs d’homicides sexuels : psychopathologie, processus de passage à l’acte et prise en charge clinique / JAMES Jonathan, PROULX Jean, BOUCHARD Jean-Pierre - Annales médico-psychologiques (n°5 - Vol 179), 2021
- Psychopathologie psychanalytique du passage à l'acte / André Ciavaldini, Françoise Neau - EMC Psychiatrie (n°37-510-A-30 vol 144), 2010
- Évaluation de la dangerosité dans le cadre de l’expertise psychiatrique pénale / Sophie Crampagne - version pdf
Bonne journée.