Spectacles de magie et magiciens à Paris entre 1920 et 1930.
Question d'origine :
Bonjour,
Merci pour votre réponse précédente. Sans vouloir abuser de votre temps et s'il vous plaît, j'aimerais également connaître les spectacles de magie, les magiciens présentant leurs numéros à Paris entre 1920 et 1930 ? Œuvraient-ils dans des espaces fermés ou dans la rue ? Avaient-ils bonne réputation ? Y avaient ils parmi eux certaines fois des escrocs ? J'effectue ces recherches dans l'idée d'un futur roman, même si les sujets ont déjà largement été exploités, ils me semblent intéressants et passionnants. Merci d'avance. Bien cordialement, Aline
Réponse du Guichet

Parmi les magicien·nes des années folles à Paris, il y eut les Frères Isola, Félicien Trewey, Adelaide Herrmann, Georges Méliès, Collinet, Charles Joseph Carter alias Carter le Grand, William Nicola, Le Grand Raymond, Clémentine de Vere, Jean-Henri Servais Le Roy... Les numéros de ces illusionnistes étaient très variés : lévitation, femme sciée, cartomagie, hypnose, mentalisme...
Leur talent qu'ils n'exerçaient pas dans les rues reposait sur "l'adresse, la prestesse, la vivacité de leurs doigts", la gestuelle et le boniment, "la manière d'influencer son public, de l'hypnotiser, de forcer son attention sur tel ou tel point, par un regard, par un geste fait à propos". Cependant, il est des publics moins réceptifs que d'autres, notamment celui des savants.
Bonjour,
Avant de répondre à vos questions sur la magie et les magiciens à Paris entre 1920 et 1930, il nous semble pertinent de reprendre la distinction entre prestidigitation et magie donnée par Wikipédia :
Le langage commun, le marketing et la facilité d'utilisation du mot magie conduisent à un amalgame entre la prestidigitation qui est un art mêlant agilité, ingéniosité et psychologie, et la magie au sens premier du terme qui est un « phénomène surnaturel » ou inexpliqué. La prestidigitation est donc l'art de créer l'illusion d'un phénomène impossible mais qui repose sur des règles on ne peut plus rationnelles, logiques. Le mot magie a un sens étymologique religieux, ce que le mot prestidigitation n'a pas.
Cette mise au point étant faite, étant donnée votre question précédente, Qui habillait les femmes lors des revues de cabaret avec des costumes à plumes ?, nous comprenons que vos interrogations portent sur la prestidigitation.
Qui sont les prestidigitateurs de la Belle Époque à Paris et quels numéros présentent-ils ?
Ils sont nombreux et parmi eux on compte :
- les Frères Isola
Après un engagement aux Folies-Bergères avec leur numéro de transmission de pensée, ils fondèrent le théâtre Isola (1892), Boulevard des Capucines, dans l'ancien musée de cire de Talrich. Les débuts furent modestes, mais au bout de quelque temps le tout Paris se pressait à leur spectacle. Ils renouvelèrent leur programme à chaque saison, s'adjoignant d'excellents partenaires. On y applaudissait : la cabine spirite, la disparition sur la chaise, la malle des Indes, la lévitation, des automates, les suggestions musicales, ... Ils connurent un gros succès avec "Océan de Lumières", un numéro où Emile, au milieu du public, devinait les numéros de téléphone des spectateurs, le numéro de page, la colonne, la ligne de leur inscription dans le bottin, ...
Source : Arcane magazine,
- Georges Méliès "mélange spectacles vivants et projections sur grand écran. [...] Il crée des spectacles de prestidigitation et de « grandes illusions » qu'il présente avec plusieurs magiciens (Duperrey, Raynaly, Harmington, Jacobs, Okita, Henry's, Arnould, Carmelli, Foletto, Albany (Coussinet), D'Alvarès, Legris, Maurier)...", Source Wikipédia,
- Collinet, maître de l'illusion, fait sa renommée avec "la lévitation, la cage d’or, l’apparition des bocaux de poissons, le décapité récalcitrant, et ses manipulations de cartes, etc. Il présentait aussi, au début des années 20, un numéro de… singes savants !" Source : Linterforain,
- Charles Joseph Carter alias Carter le Grand, William Nicola, Le Grand Raymond étaient célèbres dans la plupart des grandes villes d’Europe et d’Asie,
- Clémentine de Vere alias Ionia joue un spectacle à Paris dans lequel "sa beauté naturelle y était pour beaucoup car ses illusions n’avaient rien de particulièrement original",
- Jean-Henri Servais Le Roy et son trio Le Roy, Talma et Bosco donna des spectacles à l'Alhambra de Paris. Voici un extrait de ce qu'en rapporte la revue L’Illusionniste n°107 de novembre 1910 :
Voici, je crois, la trilogie la plus universellement connue dans le monde des magiciens. L’union parfaite du talent supérieur de l’un, de la science gracieuse de l’autre, enfin du comique échevelé quoique très artistique du troisième, a donné naissance à des spectacles merveilleux et complets que s’arrachent à prix d’or les music-halls les plus luxueux.
L’Alhambra vient de posséder durant un mois ces artistes exceptionnels et les Parisiens qui les avaient cependant maintes fois appréciés, sont revenus en foule les voir, les revoir, et les applaudir sans se lasser. C’est qu’eux-mêmes sont inlassables, et si l’ensemble de ces trois grands performers se faisant valoir l’un par l’autre, et accueillis par le succès le plus flatteur et le plus mé-...
Houdini, mort en 1926 ne semble pas avoir été en représentation à Paris entre 1920 et 1930.
Nous vous laisserons compléter cette énumération avec la liste de magiciens de Wikipédia.
Les numéros de ces illusionnistes étaient très variés. Lévitation, femme sciée, cartomagie, hypnose, mentalisme...
À son époque, Jean-Eugène Robert-Houdin a effectué un recensement des branches de sa discipline à laquelle il prédisait un bon avenir :
- tours d’adresses (mains et paroles) ;
- expériences de magie simulée (trucs d’escamotage) ;
- effets prodigieux de l’esprit (mentalisme) ;
- magnétisme simulé (seconde vue, lucidité, divination, extase, catalepsie) ;
- médium (spiritisme, évocation des esprits, tables tournantes, frappantes, parlantes et écrivantes, armoires et leurs mystères) ;
- grandes illusions (femme coupée en deux, transpercée de sabres, balle attrapée (en), disparition) ;
- récréation (quiproquos, subtilités ou combinaisons).
Source Wikipédia
Les prestidigitateurs œuvraient-ils dans des espaces fermés ou dans la rue ?
Dans « La prestidigitation au XIXe siècle à Paris. Entre compréhension, domestication et détournement de la nature », Hypothèses n° 1, 2015, Leslie Villiaume nous apprend que c'est "au XIXe siècle que la magie se « sédentarise » et ses représentations ont surtout lieu dans les théâtres." Cependant cette sédentarisation n'exclut pas les spectacles itinérants. Dans Magic : 1400s-1950s, Mike Caveney écrit :
A la fin du XIXe siècle, l'émergence des grands spectacles d'illusions itinérants et du spectacle de variétés coïncida avec les avancées technologiques dans les domaines du chemin de fer, du bateau à vapeur et de la communication sans fil ainsi qu'avec le fait que les citadins avaient, pour la première fois, de l'argent à dépenser et des loisirs.
[...]
L'autre facteur déterminant dans le développement des spectacles d'illusions itinérants fut le progrès dans le domaine de la lithographie commerciale. Avant l'existence de la radio et de la télévision, les artistes dépendaient entièrement des publicités imprimées pour annoncer leurs spectacles. Ces simples placards, qui pouvaient mesurer de 15/20 cm à près d'1 m de haut, étaient réalisés avec des caractères mobiles et incluaient généralement une illustration xylographiée. Ils transmettaient les informations nécessaires sur les prochaines représentations, mais n'étaient guère affriolants. Puis vinrent les années 1860 et leur explosion de couleurs.
[...]
Le développement du théâtre de variété coïncida avec l'émergence des grands spectacles d'illusions itinérants. Cependant, la grande différence entre les deux étaient que les artistes de variétés étaient généralement à la merci des impresarios - les Schubert, les B.F. Keith, les Alexander Pantages pour ne citer qu'eux - qui décidaient qui engager, où présenter les numéros, combien de temps un artiste pouvait occuper la scène et combien il serait payé. En emportant son spectacle en tournée, un magicien prenait toutes les décisions et empochait tous les bénéfices.
Les illusionnistes itinérants, sur scène ou sous chapiteau comme Von Arx, David Tobias Bamberg alias Fu Manchu, Howard Thurston, Harry August Jansen alias Dante le magicien, Horace Goldin, Juan José Pablo Jesorum alias Chang, James Willard alias Willard l'Enchanteur, parcoururent le monde mais nous n'avons pu déterminer s'ils se sont produits à Paris.
Les spectacles de ces magiciens reposaient pour la plupart sur d'importantes machineries et mises en lumière. C'est pourquoi à cette époque, ce type de numéros n'étaient pas présentés dans les rues. En outre, la magie de rue a fait son apparition fin 1960-70 avec Jeff Sheridan selon Thibaut Rioult dans Magie de salon : évolution, publié par l'encyclopédie des arts du cirque.
D'après nous, vos questions avaient-ils bonne réputation ? et y avait-il des escrocs parmi eux ? sont liées. En effet, la réputation d'un prestidigitateur reposait sur la confiance établie entre lui et son public c'est à dire sur sa capacité à le convaincre. Or pour cela, il n'y avait pas de règles à suivre. Le magicien, selon sa conception des choses, pouvait choisir de "tromper ou instruire". "Tromper" dans les sens où l'illusion est le propre même de la magie, "instruire" car, pour l'illusionniste, s'appuyer sur des découvertes scientifiques est une autre manière d'exercer son art.
Robert-Houdin n’hésite pas à donner volontairement de fausses explications scientifiques : il veut ainsi légitimer ses effets en faisant semblant de leur donner une explication rationnelle. Par exemple, l’un de ses tours les plus célèbres est la « suspension éthéréenne : il s’agit en fait d’une lévitation. Par définition, une lévitation est un effet non compatible avec les lois de la physique (faire flotter un corps dans les airs est contraire à la loi gravitationnelle de Newton). Pourtant, le magicien n’hésite pas à expliquer que le corps repose tout simplement sur l’éther, cette substance qui forme un milieu absolument immobile dans lequel, pensait-on à l’époque, se propage la lumière. Ainsi le prestidigitateur détourne-t-il la nature et ses lois pour distraire, amuser et conquérir son public.
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Buatier de Kolta est l’un des plus grands inventeurs et constructeurs de grandes illusions et se présente cependant comme un simple magicien : il n’a pas l’intention de justifier ses tours poétiques par la science. En 1885, au Théâtre de la Renaissance, il exécute pour la première fois le tour du « cocon : sur un tableau, le magicien dessine un ver à soie ; le papier est alors crevé et un énorme cocon apparaît : ce dernier s’ouvre et il en sort une femme costumée en papillon. Belle allégorie de la magie de la nature !
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Que ce soit pour tromper ou pour instruire, les liens entre science et magie sont vraiment étroits à cette époque, si bien que des conflits éclatent parfois entre magiciens à propos des divers discours adoptés auprès du public. En 1862, Robin, que l’on appelle souvent « le dernier des physiciens », ouvre son propre théâtre boulevard du Temple à Paris : il s’agit en réalité d’un établissement de vulgarisation des sciences. Dans son spectacle, Robin fait des démonstrations de physique amusante et dévoile le fonctionnement de nombreux tours de magie… dont la plupart de ceux de Robert-Houdin, qui lui reproche alors de « débiner », c’est-à-dire de révéler des secrets de prestidigitation au grand public. Car contrairement à Robin, Robert-Houdin est prêt à tout pour amuser son public, quitte à lui fournir volontairement des explications pseudo-scientifiques erronées. Pour lui, sur scène, le divertissement est roi.
Source : Leslie Villiaume, «La prestidigitation au XIXesiècle à Paris. Entre compréhension, domestication et détournement de la nature»
Dans la suite de son article où sont abordés le magnétisme et le spiritisme, Leslie Villiaume explique qu'il ne peut y avoir réellement tromperie car le public "sait qu'il est face à une illusion et que le magicien s’amuse à le tromper," mais que "dans tous les cas, la crédulité du spectateur est primordiale" :
Le journaliste de L’Illustration est lui-même victime de la mise en scène de Lassaigne et Prudence : « Vous criez à l’escamotage ; du tout, c’est du prodige ». L’escamotage s’explique : même si le spectateur ne connaît pas le fonctionnement du tour (le « truc »), il sait qu’il est face à une illusion et que le magicien s’amuse à le tromper. Mais le « prodige » ne s’explique pas, il n’est pas rationnel, il relève du miracle.
[...]
D’autres performeurs sont soi-disant capables de communiquer avec l’au-delà ou de faire réapparaître des êtres chers (grâce à des projections spectrales sur fumée ou à la photographie spirite). Par ailleurs, les tours de « décapités vivants » se multiplient et certains artistes présentent même des résurrections d’animaux. Le magicien est un véritable dieu et ose jouer avec la mort. Dans ces spectacles, le surnaturel est « fabriqué » de deux manières différentes : soit le magicien dit qu’il fait appel à des phénomènes surnaturels alors qu’il utilise des techniques mal connues du public (comme l’utilisation de l’électricité, de l’électromagnétisme, des projections sur fumée, etc.), soit il utilise de simples « trucs » (comme le spiritisme de scène). Dans son discours, le magicien peut se présenter comme un détenteur de pouvoirs particuliers (comme celui de lire dans les pensées) ou comme un intermédiaire, un medium qui fait le lien entre le monde physique et le monde des esprits. Dans tous les cas, la crédulité du spectateur est primordiale.
Tout le talent de l'artiste repose sur "l'adresse, la prestesse, la vivacité des doigts", sa gestuelle et sur le boniment, "la manière d'influencer son public, de l'hypnotiser, de forcer son attention sur tel ou tel point, par un regard, par un geste fait à propos", Source : Les spectacles de magie.
Cependant, il est des publics moins réceptifs que d'autres, notamment celui des savants :
Les savants du XIXe siècle poursuivent le combat contre la démystification et dénoncent les imposteurs et la crédulité du public :
La traversée des apparences doit conduire à une rationalisation du surnaturel, qui vise principalement les esprits simples, trop enclins par nature à attribuer une cause magique et mystérieuse aux phénomènes qui leur échappent .
Source : Leslie Villiaume
Si vous le souhaitez, nous serions ravi·es d'être tenu·es informé·es de la destinée de votre roman auquel nous souhaitons un bon avènement.
Bonne journée.