Comment évaluer l'université franco-tunisienne UFTAM ?
Question d'origine :
Luniversité franco-tunisienne UFTAM (https://uftam.net), est-ce un échec ou une réussite?
Réponse du Guichet
L'Université Franco-Tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée, lancée en 2019, s'est trouvée dans les années suivantes sous le feu des critiques : lancée sur une base administrative non légale, elle a été dans l'incapacité de poursuivre ses cours et a causé des situations délicates pour certains étudiants.
Bonjour,
Il serait délicat de notre part de décerner des bons ou des mauvais points à un établissement d'enseignement supérieur, mais force est de constater qu'on peut lire de nombreux articles à charge concernant le bilan des trois premières années de l'Université Franco-Tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée (UFTAM).
Lancée en grande pompe en 2019 comme un grand projet de coopération, l'UFTAM a pour vocation de former une nouvelle génération d'entrepreneurs et de cadres notamment africains, selon son propre site :
L’UFTAM (Université Franco-Tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée) constitue un projet présidentiel qui illustre la volonté de deux pays, la Tunisie et la France, de constituer en Tunisie un hub régional d’enseignement supérieur, pour former les futures générations d’entrepreneurs et de cadres supérieurs et de salariés dont l’Afrique et l’espace méditerranéen ont besoin. L’UFTAM est une coopération entre de prestigieuses universités publiques tunisiennes (IHEC, ESSEC, SUP’COM, ENIT, ENSIT, Faculté des Sciences de Tunis et Faculté des Sciences de Bizerte) et françaises (Paris 1 Panthéon Sorbonne, Université Paris-Saclay, Institut Polytechnique de Paris, Aix-Marseille Université et Université Côte d’Azur) qui permet à ses étudiants d’obtenir des diplômes tunisiens, français et franco-tunisiens reconnus à l’échelle internationale dans des domaines innovants tels que le marketing digital, la Data Science, l’expertise économique, eau et environnement et génie électrique dont les cours sont assurés par des enseignants chercheurs tunisiens et français de haut niveau.
Pourtant, l'établissement n'a pas commencé sa carrière sur des bases administratives stables. Selon enseignementsup-recherche.gouv.fr, les ministres française et tunisien de l'enseignement supérieur et de la recherche ont indiqué au printemps 2021 que l'université devrait à termes être "sécurisée par la création de l'UFTAM sous sa forme définitive de société anonyme de droit tunisien."
Pourtant, l'article de Jeune Afrique Reconversion de la dette, UFTAM, École 42… Les ratés de la coopération franco-tunisienne nous apprend que cette forme juridique est loin d'être acquise :
Restait l’université franco-tunisienne (UFTAM), un temple du savoir ouvert sur l’Afrique qui devait permettre à la Tunisie de devenir un pôle de l’enseignement supérieur sur le continent. Mais là encore, le projet cafouille, achoppe sur des réglementations, et tout indique qu’il n’a pas été réellement étudié en aval. Selon les lois tunisiennes, la structure de l’UFTAM ne peut être à capitaux mixtes et ne peut avoir le statut de société anonyme.
Un imbroglio juridique tel qu’il n’a pu être résolu. Après la signature d’un protocole préalable en février 2019, l’établissement a démarré son programme sous couvert de l’Association de l’UFTAM avec une cinquantaine d’étudiants qui ne sont pas même certains que leurs diplômes seront reconnus. À moins qu’elle n’ait été abordée officieusement,lasituation de l’UFTAM ne semble pas avoir été à l’ordre du jour du Haut conseil de coopération, malgré la présence de Frédérique Vidal, ministre française de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Selon RFI, cet imbroglio administratif a eu des dommages collatéraux inattendus. Des étudiants originaires d'Afrique subsaharienne, ayant déjà honoré leurs frais d'inscription, ont ainsi vu leur inscription - et par là leur carte de séjour - annulée par la procédure judiciaire visant l'UFTAM :
[...] ils sont une vingtaine d’étudiants internationaux à être dans la même situation. Certains ont versé jusqu’à 3 000 euros à leur établissement, mais sans preuve de leur inscription, impossible pour eux d’obtenir une carte de séjour.
Une impasse qui commence à poser de sérieux problèmes. « Nous sommes dans une situation d’illégalité comme on n’a pas pu faire nos cartes de séjour. Et il y a un de nos collègues, après avoir fini de se promener et alors qu’il rentrait qui a été pris à partie par la police, raconte Silué Kassoum. Heureusement, on a négocié, on a contacté les associations africaines et il a fini par être libéré. »
Lassés et inquiets, le groupe d’étudiants a fini par alerter les médias tunisiens de l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Ils ont été reçus jeudi 30 décembre par les responsables de leur université qui leur auraient promis tout mettre en œuvre pour trouver une solution.
Le média Arab news a publié un article assez complet sur la situation de l'établissement début 2022, Tunisie-France: Les couacs de l’Uftam. Rappelant que l'image du projet a été entachée de soupçons de corruption, il suggère que ce type de faux départ n'est pas un cas unique en Tunisie :
En Tunisie, tout projet d’enseignement supérieur est tenu d’obtenir un agrément préalablement à son démarrage et d’être classé parmi les «entreprises publiques à caractère administratif (…) qui peuvent se transformer en entreprises publiques à caractère scientifique et technologique» ou parmi les «institutions d’enseignement supérieur privé et non d’universités», «parce qu’en Tunisie les universités ne peuvent être que publiques». Or, souligne Nizar ben Salah, l’Uftam ne figure sur aucun des deux registres.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ainsi que la partie française n’ayant pas donné suite à une demande d’interview, l’un des coordinateurs de l’Uftam a accepté de répondre à nos questions, sous couvert d’anonymat. Il rejette l’accusation d’illégalité de cette université que lui lancent ses détracteurs, mais il admet en substance que celle-ci n’est pas encore tout à fait installée et qu’elle a démarré son activité avant même d’avoir réuni toutes les conditions d’une existence légale.
Ainsi notre source indique que le bureau d’études chargé par la France et la Tunisie de réaliser l’étude de faisabilité du projet a récemment rendu sa copie. Ce qui, selon cette source, ouvre la voie à la création de la société anonyme – «de droit privé et à caractère institutionnel public-privé» – qui aura un conseil d’administration et un conseil académique au sein duquel les universités tunisiennes et françaises engagées dans ce projet seront représentées. Les travaux de construction du campus de l’Uftam sont également censés commencer dans la foulée. L’université sera alors en mesure de décerner des diplômes, assure le coordinateur anonyme.
En attendant, les étudiants africains, majoritaires parmi la soixantaine d’inscrits, sont confrontés à des situations difficiles. Certains ont en particulier du mal à obtenir une carte de séjour faute de pouvoir produire un certificat d’inscription que l’université ne leur a pas octroyé. Lorsqu’on attire son attention sur ces cas, le coordinateur de l’Uftam admet qu’il y a eu quelques couacs et les impute… à la pandémie de Covid-19 et à l’instabilité politique dans le pays.
[...]
Mais «nous sommes en train de résoudre les problèmes», promet le responsable. Et comme pour les minimiser, il rappelle que la Tunis Business School (TBS), créée en 2010, et dont l’Uftam utilise pour l’instant les installations, n’a commencé à octroyer les diplômes qu’en… 2020. Cette université publique a dû attendre près de sept ans pour voir son diplôme validé par les autorités. Ce qui a contraint ses étudiants à entamer de nouvelles études universitaires, après avoir terminé celles faites à TBS, pour avoir le sésame leur permettant l’accès au marché de l’emploi. Une mésaventure que les étudiants de l’Uftam ne voudront certainement connaître pour rien au monde. D’autant que la formation au sein de cette université n’est pas donnée: 2 750 euros par an.
Nous n'avons pas trouvé de sources récentes indiquant l'avancement du dossier. Peut-être pouvez-vous contacter le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche afin d'en savoir plus.
Bonne journée.
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