Fin 18ème début 19ème siècle, y-avait-il des avis de recherches pour les brigands ?
Question d'origine :
Bonjour,
Fin 18ème début 19ème siècle, y-avait-il des avis de recherches pour les brigands ?
Si oui, sauriez-vous où je peux trouver des visuels de ces avis de recherches ?
Merci infiniment
Réponse du Guichet

Bonjour,
Si les avis de recherche pour les brigands existent déjà au XVIIIe siècle, ils sont plutôt sommaires et pas toujours précis. On en trouve peu de reproductions en ligne et nous vous indiquons aussi des liens vers des cahiers de signalement ou des avis de recherche d’esclaves fugitifs, dont la teneur semble très proche.
C’est en effet plutôt à la fin du XIXe que se développent vraiment les systèmes d’identification policière, notamment avec le bertillonnage, et que se perfectionnent aussi les avis de recherche.
Voir l’histoire de ces nouvelles techniques par exemple dans ces articles:
Les fondations d'un système national d'identification policière en France (1893-1914). Anthropométrie, signalements et fichiers, Ilsen About, dans Genèses 2004/1 (no54), pages 28 à 52
Policiers, gendarmes et signalement descriptif. Représentations, apprentissages et pratiques d’une nouvelle technique de police judiciaire, en France à la Belle Époque, Laurent López, Crime, histoire & société, 2006, n°1
De fait on trouve plus de reproductions des avis illustrés de la fin XIXe, début XXe:
Stolen ! Wanted ! Reward ! 68 avis de recherches américains (manuscrits, tapuscrits, imprimés), remarquable collection d’avis, hélas datés de 1885 à 1939 ….
Sur la page Avis de recherche !, Danielle Léger, Bibliothèque Nationale Québec, figure tout de même un avis de 1837.
Mais les avis de recherche et fiches de signalement existent depuis la fin du Moyen-Age, notamment pour des usages carcéraux et militaires. La pratique du signalement connaît un véritable essor au siècle des Lumières, comme vous le verrez dans les textes cités.
Ces avis de recherche concernent d’abord surtout les serviteurs et esclaves fugitifs, que ce soit à New York ou Bordeaux, mais dans la forme, ils ne diffèrent guère des avis émis pour les brigands :
«Les avis de recherche publiés par la presse sont une source précieuse de données. Entre 1759 et 1783, plus de mille fugitifs firent l’objet de tels avis.»
Serviteurs fugitifs et police des déplacements dans la province de New York au XVIIIe siècle, Jeanne Chase, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine Année 1986 33-1 pp. 21-39.
«Plusieurs avis de recherche concernant des fugitifs illustrent cette réalité et six avis nous sont ainsi parvenus pour la seconde moitié du 18e siècle.»
Se rebeller : les esclaves marrons à Bordeaux, par Julie Duprat, Hypothèse. Ces avis sont à retrouver sur la Base Séléné dans les Annonces, affiches et avis divers de la ville de Bordeaux.
En Suisse, c’est aussi sous la forme des cahiers de signalement qu’on trouve les descriptions des indésirables, brigands ou vagabonds :
A lire :
Une signalétique accusatoire : les pratiques d’identification judiciaire au XVIIIe siècle, Caroline Cuénod, Crime, histoire & société, 2008, n°2, avec des illustrations.
La chaîne du pénal. 9. La coopération judiciaire, Archives de Genève, avec des reproductions de signalements.
Cahier de signalements transmis à Genève par la chancellerie bernoise
«Longtemps manuscrits, les signalements bénéficient plus souvent, dès 1770, d’un support imprimé qui améliore la circulation des avis de recherche entre les Etats. Expression d’une administration judiciaire cherchant à être plus efficace, les livrets de signalement, au format de poche, recensent une multitude de brigands, de criminels et vagabonds poursuivis par les juridictions étrangères.»
« Le signalement des apparences. Incursion dans la garde-robe des criminels neuchâtelois au XVIIIe siècle », Soline Anthore, revue Passé Simple du mois de juin 2016. Vous trouverez la reproduction d’un de ces signalements en introduction : Le plus ancien signalement aux Archives de Neuchâtel : Jean Wâlti, signalé le 9 février 1761. Archives de l’état de Neuchâtel. Imprimés et affiches. (1761):
«Comment reconnaître et identifier une personne avant l’heure de la photographie ? A partir du XVIe siècle, et grâce à l’imprimerie, des portraits circulent, mais uniquement ceux des grands criminels. Pour le reste de la population, on utilise le signalement,une description des apparences uniquement basée sur l’écriture, dont l’histoire remonte à la fin du Moyen âge et aux milieux carcéraux et militaires. A partir du XIIIe siècle, les villes commencent à échanger des renseignements sur les criminels : d’abord des listes de noms d’individus, puis une description de la personne à la fin du XIVe siècle. Pendant la période moderne, la circulation des personnes s’accroît et on cherche à procéder à une consignation méthodique de l’identité des individus, grâce à la systématisation des registres paroissiaux, mais aussi à la création de méthodes légales d’identification aux formules descriptives affinées. Au XVIIIe siècle, on imprime et diffuse ces signalements qui indiquent désormais également des détails de voix, de posture, de cicatrice, etc.»
Dans Etre brigand : du Moyen-Age à nos jours, Benoît Garnot résume:
«Même les descriptions de brigands faites par l’administration, qui se sont beaucoup développées à partir du XVIIIe siècle, obéissaient en fait, sous des apparences objectives, à des déterminations subjectives, qui liaient le physique au moral: il n’était pas rare que les avis de recherche continssent des expressions qui dénotaient la laideur tant physique que morale (tel brigand avait «le visage petit, laid et noir»), et certaines caractéristiques physiques, comme la «grosseur du corps, le nez «gros» et le visage «plein», lorsqu’elles étaient présentes ensemble, étaient associées à la brutalité et à la violence.»
On retrouve cette idée dans Fiction dans les Archives? Le signalement au siècle des Lumières, Vincent Denis, qui donne des exemples:
«On voudrait aborder maintenant la manière dont ces documents sont rédigés et ce que cela implique sur leur contenu. Le contenu du signalement renvoie à des codes de l’identité et à des conventions qu’il faut élucider. Qu’est-ce qui justifie, pour décrire une personne, le choix de telle ou telle caractéristique ? Qu’entend-on par «signalement»ou «signal» ? Prenons le signalement d’un brigand recherché au milieu du XVIIIe siècle, chef d’une bande de voleurs des environs de Paris, appelé L’Abbé, diffusé en 1764. Cette description résulte ainsi de la combinaison de plusieurs témoignages :
«Ledit L'Abbé est âgé de trente-quatre à trente-cinq ans, taille de cinq pieds cinq à six pouces, le visage gros, plein et coloré ; le nez moyen, les cheveux châtains, tantôt frisés, tantôt en bourse, et tantôt en queue ; portant un habit de drap blanchâtre, une veste d'étoffe de soye violette ; tantôt chapeau uni, tantôt bordé d'or ou d'argent ; ayant quelquefois une redingote de drap blanchâtre, garnie d'un collet d'étoffe rouge. Il va toujours à cheval, et en change souvent ; la housse de la selle de son cheval est d'étoffe rouge galonnée ; porte indifféremment couteau de chasse, sabre ou épée».
Les signalements de véritables brigands, selon une tradition bien établie depuis la fin du Moyen-Age, insistent sur la versatilité, l’instabilité de l’identité, les capacités à se travestir et à changer d’apparence : paradoxalement c’est un signalement qui n’indique pas grand-chose de certain malgré sa longueur.
Sous des dehors de précision, les descriptions écrites obéissent à des déterminations subjectives. Celles que l’on peut repérer le plus aisément lient le physique et le moral. Des préjugés la fois moraux et esthétiques affleurent régulièrement dans les descriptions.»
Dans Le portrait sans l’image : la signalétique des criminels en France, 1720-1820, Vincent Denis, vous trouverez p. 50 et suivantes des références et des exemples d’avis de recherche.
«Une seconde famille de documents est celle des avis de recherche : un véritable sous-genre florissant au milieu du XVIIIe siècle. Dans les archives de la police parisienne, on en conserve un bon nombre pour des individus accusés de vol par des particuliers.»
Vous pourrez retrouver tous ces avis à la Bibliothèque de l’Arsenal, Archives de la Bastille, Ms 12707.
Voir aussi :
Histoire de l'identification des personnes, Ilsen About, Vincent Denis, p. 44 à 48
Police et identification dans la France des Lumières, Vincent Denis, Vincent Milliot,Genèses 2004/1 (no54)
Du signalement, A. Lacassagne, 16 juin 1908
Bibliographie de l’histoire de la justice française (1789-2011). 9-1-4-4-2-2 –Signalements et portraits, sur Criminocorpus
La police des Lumières. 6. Les Lumières de la police. La constitution d’une mémoire policière.
Bonnes lectures !