Question d'origine :
Pourquoi les chaises ou tabouret présents au lycée ou au collège sont dure et non ergonomique lorsque l'on sait qu'une mauvaises position assise est néfaste pour la santé ?
En effet, les experts sont tous d'accords sur le fait que la position assise prolongé est néfaste pour la santé. Et je me souvient avoir passé de longues heures notamment dans des salles équipé pour travaux pratiques avec juste un tabouret sans dossier. Pour les autres matière, il s'agissait d'une chaise dur en bois sans aucun soutien lombaire ou assise ergonomique comme la mousse ou le gel par exemple. Avec le recul cela à forcément été délétère pour ma colonne vertébrale et ma posture
Pourquoi certaine université ou établissement publique ne proposent pas de solution comme le bureau debout ou simplement un meilleur siège ? Est-ce une question de budget ?
Merci de votre réponse
Réponse du Guichet
Les contraintes budgétaires sont en effet la principale raison de la mauvaise adaptation du mobilier scolaire en France, ainsi qu'une histoire de l'éducation marquée par une brutale augmentation des effectifs du secondaire à partir de l'après-guerre. Il semble que les pouvoirs publics prennent aujourd'hui timidement conscience du problème...
Bonjour,
Votre question porte particulièrement sur l'enseignement secondaire, mais, d'après les sources que nous trouvons, les problèmes d'ergonomie du mobilier scolaire touchent tous les niveaux. Et ils ont une histoire.
C'est l'Institut français de l'éducation (IFE) qui nous la raconte dans son article Construire l'école de demain :
D’après le rapport publié par le CNESCO en 2017, 27 % des établissements publics n’offrent pas un environnement propice au travail. Locaux vétustes, peu lumineux ou mal isolés, mobilier inadapté, sont autant d’obstacles au bien-être et aux apprentissages des élèves. Et au delà des besoins de rénovation, c’est aussi l’aménagement de la classe traditionnelle qui est de plus en plus remis en question et détourné par les enseignants. Alors comment construire et rénover les établissements scolaires pour qu’ils répondent aux défis de demain ? Pour le savoir nous avons mené l’enquête.
une architecture héritée du XIXème siècle
Les établissements scolaires d’aujourd’hui sont l’héritage d’une longue histoire. Le premier grand mouvement de construction scolaire sur le territoire est contemporain des lois sur l’école dans les années 1880. Vous savez les fameuses lois « Ferry » qui déclarent que l’instruction doit être publique, gratuite, et obligatoire en primaire. Pour être en mesure d’appliquer ces lois, l’État français fait construire un grand nombre d’écoles, et de vastes salles de classe pour accueillir tous ces élèves.
A l’époque le mobilier est choisi pour un enseignement mutuel, dans lequel la classe est divisée en plusieurs groupes élèves, certains ayant le rôle de tuteurs et répétant le cours du maître. C’est pour cela que le choix du mobilier se porte sur des bancs collectifs sur lesquels peuvent s’asseoir 9 à 10 élèves et leur tuteur. Mais la pédagogie qui va s’installer durablement c’est la méthode simultanée, dans laquelle le maître enseigne seul à tous les élèves de la classe. Le mobilier change, les bancs individuels remplacent les bancs collectifs pour faire face au maître et au tableau. Cette organisation frontale de la classe dans laquelle les élèves sont rangés en ligne les uns derrière les autres est celle qui va perdurer, et qui est encore la norme aujourd’hui.
Une architecture hygiéniste
Les choix d’aménagement se fondent aussi sur des normes d’hygiène, en particulier pour prévenir l’apparition de maladies chez les élèves, c’est ce qu’explique Anne Marie Châtelet, professeur d'histoire et de culture architecturale à l'Ecole d'architecture de Versailles.
« Les expériences sur le mobilier scolaire se multiplient avec deux hantises : la myopie et la scoliose. Ce qui est préconisé c'est en général les tables bancs qui permettent à l'enfant de travailler sans être trop loin de son pupitre. »
Anne Marie Châtelet, Professeure d'Histoire et de culture architecturale à l'Ecole d'architecture de Versailles, 2019.
Selon le même article, le modèle tend à peu évoluer, en raison d'une pression démographique due en partie aux reconstructions post-seconde guerre mondiale, et en partie à l'accès massif aux études secondaires à partir des années 1960 et 70.
De manière générale, l’architecture des bâtiments scolaires évolue très lentement, et lorsqu’il faut reconstruire des nouveaux bâtiments après les destructions de la Deuxième guerre mondiale, le ministère fait le choix d’un modèle standard dans toute la France. Ces bâtiments, ce sont ceux que vous et moi nous avons connus, des barres en béton, de longs couloirs peu lumineux qui donnent sur des salles de classes identiques. C’est aussi pour répondre à l’arrivée massive de milliers de nouveaux élèves dans les études secondaires que les collèges sont construits à la chaîne. Entre 1966 et 1975, c’est un collège par jour qui sort de terre en France. Mais dans les années 1970 un vent de révolte souffle sur la société. Dans son ouvrage Surveiller et punir (1975) le philosophe Michel Foucault écrit que le lycée à la française est un dispositif de dressage et de surveillance la jeunesse, un lieu de domination de l’enseignant sur l’élève, un lieu dont l’architecture même ressemble à une prison.
Bien qu'un "courant de réflexion sur l’architecture des écoles se développe depuis les années 2000 et tente d’intégrer différents interlocuteurs dans le débat", enseignants, élèves, parents, chercheurs et artistes. Queques projets collaboratifs tels que l'école de le blé en herbe à Trébédan, en Bretagne, en 2014, ont été menés, mettant les premiers concernés au centre de la réflexion sur la rénovation - mais cela ne semble pas être la norme. Ainsi, lorsqu'une école privée de Puy-l'Evêque (Lot) est équipée en janvier 2021 de mobilier ergonomique, l'événement est célébré dans un article du journal La Dépêche...
Comme vous le suggérez, les contraintes économiques sont en cause. Dès 1996, le journal Libération remarquait :
Avec le mobilier scolaire classique [...], les maux de dos peuvent difficilement se résorber. Il faut dire que les cotes des chaises et tables d'école datent de 1884, époque où l'ergonomie n'était que science-fiction, et où l'assise préconisée était à «l'équerre». Or, la position d'assise à angle droit est unanimement reconnue comme étant fatale pour la colonne vertébrale: les lombaires absorbent tout le poids du tronc, ce qui provoque les fameuses lombalgies. [...]
«Après dix ans d'une assise digne du XIXe siècle, deux adolescents sur trois ont mal au dos», martèle Jean-Pierre Gourdol. La généralisation du mobilier ergonomique devrait donc s'imposer d'elle-même. Mais c'est sans compter sur les budgets dérisoires consacrées au mobilier par les académies. Les meubles sont renouvelés tous les vingt ans, et l'investissement est suffisamment minimaliste pour exclure d'office toute intrusion du système Mandal, qui coûte 2 700 francs par élève (contre 500 à peine pour du mobilier classique).
Interpellé en 2003 à l'Assemblée nationale, le Ministre de l'Education Luc Ferry donnait cette réponse :
Les mauvaises attitudes ou postures des élèves, lors des apprentissages à l'école, au collège ou au lycée, sont sources pour eux de désagréments physiologiques (mal de dos, scoliose...) qui entraînent des soins médicaux relativement coûteux pour les familles. A l'occasion du renouvellement du mobilier scolaire, il semble donc logique que les collectivités territoriales compétentes dans ce domaine selon les niveaux d'enseignement pris en compte, se préoccupent de ce problème, et choisissent de préférence des mobiliers ergonomiques pour remplacer les matériels de bureaux usagés. Toutefois, il n'appartient pas au ministère de l'éducation nationale de donner aux collectivités territoriales des instructions en la matière, dans la mesure où, d'une part, ce champ d'intervention échappe à son domaine de compétence et que, d'autre part, il existe une abondante documentation technique dans le domaine de l'ergonomie scolaire qui permet à chaque responsable local d'être guidé dans le choix (qualité, prix) du matériel qui semble le mieux approprié pour favoriser l'amélioration du cadre de vie et de travail de l'élève. Le ministère et ses représentants locaux peuvent apporter tout au plus leurs conseils. A toutes fins utiles, le ministère de l'éducation nationale peut conseiller la lecture de travaux ou d'études tel que le « Guide technique en ergonomie scolaire et éducative » aux responsables des collectivités locales. Ce document est le fruit et l'aboutissement d'une recherche-action qui a été menée depuis plusieurs années par un groupe référent de médecins et d'infirmières de l'académie de Nancy-Metz dirigé par le médecin conseiller technique auprès du recteur et qui a été édité par le centre régional de documentation pédagogique (CRDP) de Lorraine.
Selon le Sudoc, le Guide technique en ergonomie scolaire et éducative est disponible dans plusieurs bibliothèques universitaires en France, mais nous n'avons pu le consulter.
Par ailleurs un Guide de l’achat public - Mobiliers d’éducation - Aide à l’élaboration d’un cahier des charges fonctionnel est disponible en téléchargement sur le site du Ministère de l'Economie. Il relève toute la complexité de l'adaptation du mobilier aux besoins multiples des élèves :
La compréhension des dimensions anthropométriques reste un des enjeux de la conception de mobilier scolaire dans la mesure où celles-ci jouent un rôle prépondérant dans l’association d’une table et d’une chaise (par exemple).
Cependant, d’autres aspects interviennent comme les réglages, les options (table avec casier, chaise avec porte sac à dos…), le choix des couleurs et des matériaux restent à prendre en compte. On parlera alors d’un mobilier « ergonomique » s’il est adapté aux différentes conditions d’utilisation et aux caractéristiques morpho-physiologiques de l’utilisateur. Cette prise en compte intervient dans un mal qui touche les adultes de demain, les lombalgies. En effet, la prévention des lombalgies se fait dès le plus jeune âge, car les lombalgiques de demain sont les enfants d’aujourd’hui. Une réelle hygiène rachidienne est recommandée et celle-ci passe par la conception de mobilier en adéquation avec les utilisateurs et leurs usages. Quelques recommandations peuvent paraître pertinentes pour la construction de mobilier scolaire comme la nécessité :
- d’une grande adaptabilité du matériel à la morphologie de l’individu : au sein d’une même classe, on peut constater des différences de taille entre les élèves allant jusqu’à 30 cm et l’évolution de la taille est très importante avec l’âge ;
- de réglages simples et rapides pour adapter le matériel à chaque changement d’utilisateur ;
- de matériels peu bruyants ;
- d’un matériau pour l’assise du siège ni trop dur, ni trop souple ;
- d’une assise modulable avec une zone inclinée vers l’avant (15°) permettant de s’asseoir de plusieurs façons et aussi de disposer de multiples points d’appui permettant de varier les positions et de diminuer ainsi les contraintes sur les disques intervertébraux ;
- d’une mise à disposition d’un plan de travail facilement inclinable de 0 à 15° pour favoriser la vision et soulager la partie cervicale de la colonne vertébrale pendant les tâches de lecture et d’écriture.
Le "rapport qualité-prix" étant toutefois un des éléments principaux à prendre en compte.
En septembre 2018 France 3 régions publiait l'article Rentrée scolaire à Royan : du mobilier ergonomique pour les élèves du collège Emile Zola, soulignant que "Ces équipements, une trentaine de tables et une vingtaine d'assises, ont été financés pour 18 000 € par le Conseil départemental de la Charente-Maritime." Ce qui représente un budget non négligeable pour un établissement recevant, selon L'Etudiant... un peu moins de 700 élèves. De fait, il s'agit d'un dispositif expérimental, permettant, selon le principal du collège, de mener une réflexion sur le concept de "classe flexible" :
Et en effet si on en croit cet article du site Classe de demain, les alternatives à la chaise de bureau classique sont légions, du ballon d'assise au vélo-bureau, en passant par le Z-tool...
L'amélioration du mobilier scolaire est cependant une préoccupation actuelle puisque le ministère chargé de l’Éducation nationale, en collaboration avec le ministère de la Culture et de la Communication, le CNAM, VITRA, le Mobilier National, entre autres, ont lancé en 2020 le Prix du design scolaire Jean Prouvé, parrainé par Philippe Starck, "appel à projets [qui] se situe dans une approche prospective de l’école de demain. Une école qui se veut résolument axée sur des pratiques collaboratives et innovantes de partage des compétences et des connaissances."
Pour aller plus loin :
La conception et la fabrication du mobilier scolaire [Livre] : évaluation critique / Unesco ; [réd.] par F.B. Scriven et Associates
Le mobilier scolaire / [Livre] / par David Medd ; Organisation de coopération et de développement économiques
Gestion du patrimoine scolaire [Livre] : bâtiments et mobilier / Antony Taillefait ; préf. du professeur Jean-Bernard Auby
Regards sur le patrimoine mobilier de l'enseignement scolaire et universitaire
Le mobilier scolaire du XIXe siècle à nos jours: contribution à l'étude des pratiques corporelles et de la pédagogie à travers l'évolution du mobilier scolaire / par Josette Peyranne
Bonne journée