Comment définir et différencier démocratie culturelle et démocratisation culturelle ?
Question d'origine :
Bonjour :)
Comment définir et différencier démocratie culturelle et démocratisation culturelle ?
Cette question m'a été posée à un oral blanc pour le concours de conservateur des bibliothèques, et j'ai bien du mal à trouver une réponse...
Merci pour votre aide !!
Réponse du Guichet

Démocratie culturelle et démocratisation culturelle représentent deux époques des politiques culturelles françaises, et deux conceptions d'accès de la population à la culture : la démocratisation culturelle, impulsée dès la fin des années 1958 avec Malraux, propose une vision assez verticale de la culture, tandis que la démocratie culturelle, plus proche des politiques d'après Jack Lang, entend rendre les citoyen-nes acteur-trices de ces politiques par la co-construction, la participation, la médiation/animation mais aussi la pratique amateur.
Bonjour,
Selon le document Vers la démocratie culturelle publié par le Conseil économique social et environnemental, le concept de "démocratie culturelle" s'est opposée historiquement à la "démocratisation" culturelle développée par le Ministère de la Culture d'André Malraux, pour aller vers une plus large participation dans la prise de décision, une moindre centralisation, mais aussi un accent mis sur la pratique amateur :
Depuis la création du Ministère de la Culture à la fin des années 1950, la politique culturelle française - fondée par André Malraux - s’est appuyée sur trois piliers : soutenir la création, préserver le patrimoine, démocratiser la culture. La finalité de ce dernier volet était simple : donner à tou.te.s un accès à la culture, en mettant l’accent sur la valeur civilisatrice et éducative des arts. Le mérite de cette politique est d’avoir posé les fondations d’un grand programme d’action publique, d’y avoir insufflé une forte ambition culturelle à visée sociale marquée notamment par les maisons des Jeunes et de la culture et d’avoir permis une vraie dynamique de création artistique. Néanmoins, force est de constater que si la politique de démocratisation de la culture a permis de nombreuses avancées, l’accès à la culture pour tou.te.s n’est pas encore une réalité.
Au fil des décennies, cette vision et cette méthode ont été remises en question. La critique de la « démocratisation culturelle », telle qu’initiée par André Malraux, a porté sur son parti pris élitiste d’homogénéisation et sur la minoration d’une culture plurielle. De ce point de vue, le début des années 80 avec le ministère de Jack Lang a marqué un tournant important dans les politiques publiques en matière de culture.
Face à l’ensemble des mutations des cinquante dernières années, le concept de démocratie culturelle s’est développé. Il englobe et met en cohérence des leviers d’intervention traditionnels utilisés dans les politiques culturelles avec d’autres, relativement nouveaux. Trois axes sont ainsi concernés : la participation et la co-construction des politiques culturelles ; l’animation et la médiation culturelles ; les pratiques artistiques en amateur.
S’appuyant toujours sur une politique de démocratisation pour favoriser l’accès de chacun.e à la culture mais déployant un potentiel d’action plus important, la démocratie culturelle a pour ambition de participer à l’émancipation des citoyen.ne.s et au renforcement de la cohésion sociale et de l’inclusion et donne à tou.te.s un accès au patrimoine et la possibilité de participer à la vie de la cité.
En offrant une place et un rôle à chacun.e des acteur.rice.s (artistes professionnel.les/amateurs.e.s, citoyen.ne.s, associations culturelles et d’éducation populaire, artisan.ne.s, entreprises privées, syndicats de salarié.e.s et bien sûr Etat, services déconcentrés, collectivités locales etc.), la « démocratie culturelle » permet une diversité des expressions et pratiques culturelles.
En terme opérationnel, la question est la suivante : Que peut la politique pour la culture ou, plus exactement, quelles seraient les caractéristiques d’une politique spécifiquement démocratique de la culture ? Deux niveaux sont à considérer.
Le premier est celui des institutions politiques et culturelles. Celles-ci, en France, agissent habituellement au niveau de la « culture » de manière à la filtrer afin d’en sélectionner les « meilleures » formes, qui sont alors patrimonialisées, puis à la rendre accessible à un large public et à en assurer la diffusion. Depuis les années 1990, la démocratisation de la culture a d’abord signifié le fait d’« amener » les publics vers les trésors culturels de leur pays, non pas appréhendés par la formation de leurs goûts mais légitimés par l’expertise des spécialistes. Progressivement, la tendance s’est inversée : l’idée de « mettre l’art à la portée des masses », de proposer aux publics des spectacles qu’ils sont capables d’apprécier, afin de s’assurer de leur fréquentation, de leur adhésion et de leur satisfaction, s’est répandue, justifiant ainsi les dépenses des deniers publics. Toutefois, ces deux démarches sont strictement analogues du point de vue des principes démocratiques qui nous intéressent ici : l’idéal élitiste comme l’idéal populiste excluent les publics d’une participation à la constitution de leur expérience esthétique comme à celle de l’histoire des formes de leur pays, et les consacrent comme destinataires passifs, comme spectateurs d’un jeu où le pouvoir s’impose par l’intermédiaire de symboles adaptés.
Si la démocratie culturelle se distingue donc de la démocratisation, ce n’est pas en priorité parce que la première serait moins purement quantitative et comptable que la seconde, c’est en raison du fait qu’elle a pour but d’intégrer, non d’assimiler. Comme dans le domaine des sciences expérimentales, ses finalités sont plurielles, expérimentales, offertes comme des possibilités d’explorer et de tester, non comme des décisions non négociables parce qu’émises par des « autorités ». Si elle peut accompagner la création des formes culturelles, y compris celles qui aujourd’hui mobilisent les droits culturels et la participation active des intéressés, elle ne devrait pas tenter de les fixer et de les hiérarchiser, encore moins d’en influencer la facture. Ce que la démocratie culturelle peut faire avec profit, c’est assurer la répartition égalitaire des ressources culturelles d’individuation, en veillant à ce qu’elles ne soient pas confisquées par une minorité. Comme Robert Merton le recommandait à la fin des années 1930 à propos des risques d’« anomie » dans son pays, elle peut veiller à garantir aux individus qu’ils jouissent des moyens nécessaires pour réaliser, à égalité avec les autres, les fins qu’ils partagent en raison de leur communauté de culture et de destin – ce qui en soi est déjà un programme d’une ampleur considérable.
Outre le niveau des institutions, il existe en démocratie un niveau plus fondamental, celui des modes de vie. De ce point de vue, la démocratie culturelle se révèle une forme de partage culturel qui vient en complément de ce qui a été exprimé jusqu’ici. Un tel partage se situe en deçà ou au-delà des institutions politiques proprement dites. Loin des idées de partition auxquelles Michel Foucault a subordonné le phénomène idéologique et social du partage, il signifie une interaction entre les mécanismes de réalisation de soi, qui dépendent de l’usage individualisé des ressources communes, et la création de biens communs cohérents par rapport aux nouvelles individualités et aux nouveaux modes de subjectivation qui se produisent sans cesse quand les individus participent effectivement à la fabrique de leurs conditions d’existence. Cette formule générale repose sur un très grand nombre de fonctionnements complexes et minutieux qu’il n’est pas possible de détailler. L’histoire de l’art en particulier en témoigne abondamment, puisque toute œuvre assume l’histoire de l’art et apporte en même temps une nouvelle contribution qui est de nature à renouveler les formes et, par conséquent, l’histoire dont elle est issue. Qu’elle soit alors reprise, citation, rupture, scission, révolution, peu importe, comme en témoigne par exemple Donald Judd.
Dans Démocratisation de la culture et/ou démocratie culturelle? Comment repenser aujourd’hui une politique de démocratisation de la culture, Jean-Louis Genard, comparant les politiques française et belge en matière culturelle, constate que la Belgique a devancé la France dans le développement de la démocratie culturelle d'une vingtaine d'années et remarque que le contexte de contestation du capitalisme dans les années 60-70 a été propice à une critique du lien la "grande" ou "haute" culture "et les processus de domination", aboutissant à une remise en question des "Beaux-Arts" traditionnels et des institutions qui y étaient liées. Mais cette évolution a également forcé les pouvoirs publics à innover en matière de financement et de droit du travail.
Voir également :
Histoire des politiques de « démocratisation culturelle » - La démocratisation culturelle dans tous ses états, Ministère de la Culture et de la Communication (2012)
Pour un suicide des intellectuels / Manuel Cervera-Marzal, 2016
Remettre le poireau à l'endroit : pour une autre politique culturelle / Jean Blaise, Jean Viard ; avec le concours de Stéphane Paoli, 2015
Le démocratiseur : de quelle médiocrité la démocratisation culturelle est-elle aujourd'hui l'aveu ? / Jean-Marie Hordé, 2011
Musée : outil de lien social ? / Michèle Bruyère, Magali Camara, Claude Gilbert... [et al.] / publié par l' Association générale des conservateurs des collections publiques de France, Section Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2008
Bonne journée.
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