Comment sont organisés les gangs, les mafias et autres organisations criminelles ?
Question d'origine :
Hello hello,
J'espère que vous allez bien, c'est encore moi !
Aujourd'hui, j'aimerais revenir dans l'univers des gangs et des mafia ou d'autres organisations criminelles. J'aimerais savoir la constitution de ces organisations, les rôles qu'ont chacun, y compris les hommes de l'ombre tel que des hommes de mains ou les "taupes", incrustés un peu partout. Peut-être qu'il peut exister des rôles extérieurs aux organisations, comme des gens corrompus ou des partenaires, comme peut l'être le comptable dans OZARK.
J'aimerais, si possible, savoir s'il existe des organisations criminels de ce type extrêmement influente et discrète, or organisations terroristes ou sectes, vraiment rester dans l'univers de la mafia, des gangs et des assassins.
Merci beaucoup !
Réponse du Guichet

Les mafias portent des valeurs communes comme le code de l'honneur mais diffèrent dans leurs organisations.
Bonjour,
Les lectures de précédentes réponses, bien qu’anciennes, vous apporteront de premiers éléments sur les mafias.
- yakuzas
- cosa nostra
- mafia
- cocina de la mafia
- la prohibition aux Etats Unis et la mafia
- mafia italienne morte ou vivante
Vous pourrez notamment constater que si, bien souvent, l’organisation des mafias repose sur des valeurs communes comme l’honneur (Voir notamment l'article De l’honneur à la responsabilité. Les métamorphoses du sujet mafieux), elle diffère d’une mafia à une autre et l’organisation ne sera pas la même chez les Yakuza ou la mafia sicilienne.
Grâce aux nombreuses enquêtes et publications, nous savons ainsi que la mafia sicilienne
Se caractérise par son fonctionnement interne et ses rapports particuliers avec l’Etat et la société. Ce fonctionnement interne présente trois caractéristiques : des familles autonomes contrôlant un territoire, un réseau lâche de familles ayant des rites communs, s’échangeant des services et maintenant entre elles une paix précaire, et des membres recrutés pour leur capacité à tuer et pour leur supériorité criminelle sur des délinquants ordinaires.
Source : Introduction à la psychocriminologie, par Catherine Blatier, 2019.
Par ailleurs, Deborah Puccio-Den étudie le cas de la Cosa Nostra :
L’initiation instaure une communauté de meurtriers créant un lien de sang entre les tireurs, unis à et dans la Vierge, signataires du même pacte, devenus la même chose : Cosa Nostra. Chaque nouvel écoulement de sang revivifie cette communion déjà préfigurée par la Vierge de l’Annonciation, figure annonciatrice du sacrifice christique. Les mafieux accordent beaucoup d’importance au fait de « verser ensemble le sang de la victime » (Dino 2008 : 72) : décidés au sein d’une assemblée, la « commission », les meurtres sont pris en charge par un « groupe de feu », qui agit au nom de Cosa Nostra et « signe » tous les homicides en utilisant des armes ou un mode opératoire reconnaissables. Ce langage de la « signature » est utilisé, à la fois, par les hommes d’honneur – lorsqu’ils s’attribuent la gloire d’un homicide – et par les policiers et les magistrats enquêteurs – lorsqu’ils tentent de reconstruire une scène de crime (Puccio-Den 2011 : 315). Les rôles (tirer, emmener sur le lieu du meurtre convenu, faire le guet, conduire le véhicule permettant de s’enfuir) sont repartis au cas par cas. Mais ils ont peu d’importance car, ce qui compte, c’est de « participer à une action de feu ».
Nous avons vu que ce qui est mis en commun et consacré par le rite initiatique, c’est aussi le silence. À partir de son entrée dans Cosa Nostra, l’homme d’honneur « ouvre les yeux »20 sur les tenants et les aboutissants d’actes criminels qu’il ne pourra pas raconter. S’il se trouve à la place de l’initié, c’est parce que cet apprentissage muet a pour lui déjà commencé, parfois dans la discrétion montrée lors des premiers gestes malfaisants accomplis pour d’autres, souvent avec un premier meurtre qu’on lui demande de perpétrer avant même qu’il ait été formellement initié. Réussir cet acte appelé le « baptême du feu » (Arlacchi 1994 : 86) qui, pour le candidat à la mafia sicilienne, correspond à sa véritable initiation, implique de l’accomplir sans en demander les raisons (Falcone & Padovani 1993 : 30). C’est ici le socle de l’assujettissement à la mafia : l’homme d’honneur s’applique sa propre loi, il se tait et ne dit pas ce qu’il fait ni pourquoi il le fait. Dans ce silence, il perd le sens de gestes effectués pour d’autres21, et dans cette perte d’intentionnalité22, il dissout aussi sa propre responsabilité. La « combinaison » (combinazione), autre appellation du rite initiatique, sorte de procédé chimique par lequel l’individu devient membre de Cosa Nostra en transformant sa responsabilité individuelle en honneur collectif, est le premier opérateur de ce changement d’état, tenu pour définitif.
(…)
Au moins trois des dix « commandements » mafieux rappellent à l’initié que l’affiliation à la mafia est non seulement prioritaire, mais même incompatible avec d’autres formes d’association : « 3. On ne stipule pas de pactes d’amitié avec les représentants de l’ordre ; 4. On ne fréquente pas de bistrots ni de cercles de jeux ; 10. Pas d’affiliation pour ceux qui ont un parent enrôlé dans les forces de l’ordre »23. Ce principe est renforcé par un autre « commandement » : « 5. On a le devoir d’être disponible pour Cosa Nostra à tout moment : même si sa propre femme est sur le point d’accoucher ». Le sang que le meurtrier fait couler lorsqu’il donne la mort est hiérarchiquement supérieur à celui que la femme « voit » s’écouler lorsqu’elle donne la vie (Héritier 1984 : 20). Mais ce sang, le sang mafieux en l’occurrence, n’est pas individuel, tout voué à alimenter la gloire du héros (Loraux 2010) ; il est collectif. Et c’est là une différence de taille, car c’est toute l’économie de l’honneur et de son rapport à la responsabilité qui s’en trouve modifiée.
Précisons tout d’abord que le premier écoulement de sang, celui par lequel l’initié souscrit son contrat d’adhésion à Cosa Nostra, s’accompagne de la promesse de retenir la parole. Lors de son initiation, le mafieux « signe », en même temps que son engagement à tuer, sa condamnation à mort : il sait que, s’il parle, il sera à son tour tué ; que le sang s’écoulera de son corps si la parole s’enfuit de sa bouche.
(…)
Deux principes furent admis comme étant à la base de la responsabilité des chefs de Cosa Nostra : 1) aucun homicide ne peut être perpétré dans le territoire sous le contrôle d’une « famille » sans l’accord du chef de cette même « famille » ; 2) pour les homicides de plus grande envergure, il faut le consensus de la « commission ».
Source : Deborah Puccio-Den, « De l’honneur à la responsabilité », L’Homme, 223-224 | 2017.
Les mafias font, depuis de nombreuses années, l’objet d’enquêtes, de documentaires, d’études dans lesquels sont décrits le fonctionnement général. En revanche, il existe peu de considérations sur le rôle de chacun au sein des mafias et il faudra vous plonger dans les témoignages des repentis pour vous imprégner de cet univers. Nous vous conseillons notamment la lecture de Buscetta, la mafia par l’un des siens, Pino Arlacchi, 1996.
Citons le hors-série Le Monde. Les mafias. Quand le crime organisé menace le monde qui s’intéresse, entre autres, aux fonctionnements des mafias et dont voici de brèves extraits :
Ici , tout est structuré entre des clans précis, avec deux personnes au sommet de tous », explique le chef d’une puissante famille de la Sacra Corona unita (...) comme dans l’économie légale, deux modèles principaux coexistent dans l’organisation économique des mafias. De nombreuses organisations criminelles sont structurées de façon pyramidale (...) avec un board de dirigeants à leur tête, tel que la kupola des mafias albanaises ou le « comité des officiers » des triades chinoises. Viennent ensuite des business units et des marchés – les « carrières » du PCc dirigées par un « final », véritable directeur d’exploitation, ou les locali (places) de la N’drangetan dirigées par un capo locale. Plusieurs directions fonctionnelles complètent cette organisation matricielle, telles que les consiglieri, bras droits des chefs de famille de la Cosa nostra américaine, le Libro negro (livre noir) des clans du PCC, chargé de l’arbitrage des marchés et des conflits financiers, ou « l’éventail deb papier blanc », véritable directeur administratif et financier d’une triade chinoise.
D’autres mafias fonctionnent selon un modèle plus horizontal de coopérative. Comme le cartel de Sinaloa, certaines ont bien un chef et un état-major, mais elles laissent une large autonomie à l’échelon local, afin de favoriser l’initiative et le dynamisme commercial des filiales qui, toutes, reversent un important pourcentage au capo, tout en conservant pour elels des dizaines de millions de dollars de bénéfices (.. ;) certaines organisations criminelles ont une structure plus souple encore, comme les groupes cybercriminels, mais aussi certaines mafias plus anciennes comme la camorra ».Concernant le recrutement, « on passe les jeunes au « peigne à poux », dans une sélection serrée, menée par les anciens sur des années, dans les prisons et dans la rue. Et on garde les bons (…) une fois recruté, le membre d’une mafia obéit à une hiérarchie plus ou moins élaborée, mais toujours stricte et sa progression peut être longue. Il faut ainsi plus années à un yakuza pour s’extraire du statut de jun-kosei (apprenti) et graver les six strates hiérarchiques d’un clan, avec une chance infime de devenir kumicho (chef de famille). Mais une entreprise mafieuse sait récompenser et fidéliser sa main-d’œuvre : sur une piazza de Naples (place de vente de drogues), les salaires d’un membre de la Camorra varient de 2000 euros par mois pour un jeune dealer de cannabis à 5000 euros pour un dealeur de cocaïne, et jusqu’à 200 000 euros pour celui qui parvient à devenir un manger de place …
Concernant la ’Ndrangheta, l’article rapporte que dans les années 1860, "les clans fondés sur les noyaux familiaux et très autonomes s’appelaient entre eux "l’Honorable Société. Ils travaillaient pour de grands propriétaires terriens aristocratiques en faisant régner l’ordre en leur nom".
Dans les années 20, les groupes mafieux « recrutent leurs membres après un « noviciat » d’un an et demi environ, et ils doivent se comporter de façon exemplaire ». Mais, comme le révèle l’article, les temps ont bien changé et les nouveaux boss sont :
des travailleurs nomades et connectés, perpétuant la tradition familiale devant leur écran d’ordinateur. Des écoutes récentes montrent que cette génération apprécie les destinations exotiques. Selon nos informations, il est notamment question des Émirats, d’îles caribéennes, ou encore de mégapoles d’Asie du Sud Est.
Nous vous laissons poursuivre ces lectures et vous invitons aussi à consulter :
Quand la mafia se légalise / Clotilde Champeyrache, 2016.
Dictionnaire des mafias et du crime organisé / Philippe Di Folco, 2021.
Géopolitiques des mafias. Entre expansion économique et conquête territoriale / Clotilde Champeyrache, 2022.
'Ndrangheta : sur les routes secrètes de la mafia la plus puissante au monde / Antonio Talia, traduit de l'italien par Vincent Raynaud, 2022 : "Résultat d'une enquête de plus de dix ans menée par A. Talia pour remonter aux origines de la 'Ndrangheta, la mafia calabraise née aux abords de la route nationale 106 qui dessert les villes de Calabre et Reggio, notamment. L'auteur établit ainsi une carte mentale et géographique de cette puissante organisation criminelle dont l'influence s'étendrait aux cinq continents".
Des femmes dans la mafia : madones ou marraines ? / Milka Kahn, Anne Véron, réedité en 2022 :"Le portrait de femmes liées aux trois principales mafias italiennes. L'étude montre leur façon d'entretenir la figure héroïque du mafieux ou de pousser leur progéniture à la vendetta, n'hésitant pas non plus à reprendre le rôle de chef de famille. Au péril de leur vie, elles choisissent parfois de rompre avec leurs proches et de collaborer avec la justice".
Géopolitique des mafias : entre expansion économique et conquête territoriale / Clotilde Champeyrache, 2022 : "Synthèse géopolitique sur les mafias en Italie. L'auteure analyse les mécanismes de conquête des territoires et des populations, les divers trafics ou encore le rôle des diasporas".
Farina : enquête sur le trafic de cocaïne en Galice / Nacho Carretero, traduit de l'espagnol par Eric Reyes Roher, 2022 : "Enquête sur le vaste trafic de cocaïne en Galice, porte d'entrée de la drogue en Europe. En plus de décrire les réseaux et les logiques mafieuses à l'oeuvre, le journaliste témoigne de l'effondrement d'une société et de sa culture".
Nem de Rocinha : ascension et chute du caïd de la favela emblématique de Rio / Misha Glenny
traduit de l'anglais par Lucie Delplanque, 2021 : "Le récit de la vie d'un homme qui est devenu le roi de la Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro, chef d'un cartel de drogue et criminel le plus recherché du Brésil. Pour écrire cet ouvrage et reconstituer cet univers, l'auteur a mené l'enquête durant plusieurs années et vécut sur place".
Les hommes de l'ombre : crypto-monnaie : les nouvelles routes du crime / Andy Greenberg
traduit de l'anglais, par Marc Weitzmann, à paraître le 10 novembre 2022 : "L'auteur enquête sur les dérives rendues possibles par la crypto-monnaie, innovation technologique qui a bouleversé la finance mondiale depuis les années 2010. Utilisée par la mafia, les trafiquants ou les vendeurs d'armes, elle favorise le développement d'une économie parallèle aux graves conséquences".
L'empire des yakuza : pègre et nationalisme au Japon / Philippe Pelletier, 2021 : "Etude de la pègre japonaise à travers la figure du yakuza et ses représentations dans la littérature et le cinéma. Les raisons de la survivance de cette structure archaïque dans le Japon démocratique, industrialisé et technologique sont analysées, et ses spécificités, notamment sa proximité avec l'extrême droite, sont établies à partir d'une comparaison avec la mafia sicilienne".
Le milieu règle ses comptes : les grandes affaires du milieu de 1930 à 1980 / Michel Malherbe, 2021 : "Ancien policier du 36, quai des Orfèvres, l'écrivain raconte cinquante ans de règlements de compte au sein du milieu criminel, mettant en lumière ses lois, ses règles et son code d'honneur à travers le récit de plusieurs affaires : Pierrot le fou et le gang des tractions avant en 1945-1946, l'assassinat du juge Renaud à Lyon en 1975, le carnage d'Auriol en 1981, entre autres".
Les affranchis : la vie quotidienne dans la mafia / Nicholas Pileggi, traduit par René Baldy, avant-propos Jérôme Schmidt, 2020 : "Au début des années 1980, l'histoire de Henry Hill, un homme qui, entré à 11 ans dans le monde du crime, n'en sort que vingt-cinq ans plus tard en se livrant, lui, sa famille et tous ses secrets, au FBI, contre une promesse d'impunité. Ses confessions ont été adaptées au cinéma par Martin Scorsese".
Planète mafias : les nouveaux parrains à l'assaut du monde / Stéphane Quéré, 2020 : "Le criminologue S. Quéré explique comment la mondialisation a généré de nouvelles mafias et de nouvelles figures criminelles, qui ne sont pas toutes siciliennes ou new-yorkaises. Il retrace la trajectoires de 18 "parrains" issus de tous horizons : patrons de gangs, mafias et cartels, etc., et dont les activités illicites constituent de véritables économies souterraines".
Les secrets de la mafia / Philippe Di Folco, 2020 : "Les dessous des organisations clandestines internationales, principalement italiennes et américaines, depuis le début du XXe siècle. L'auteur décrit différents réseaux de crime organisé de Moscou à Tokyo, en passant par Paris".
La corporation : l'irrésistible ascension de la mafia cubaine aux Etats-Unis / T.J. English traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, 2020 : "L'histoire de la mafia cubaine aux Etats-Unis et de son parrain, Pedro Miguel Battle. Cet ancien policier sous le général Batista a régné sans partage sur le monde des jeux, puis de la drogue et de la prostitution, dans un vaste empire s'étendant de la Floride à New York".
Parrains corses, la guerre continue : au coeur du système mafieux / Jacques Follorou, 2019 : "Enquête actualisée sur la recomposition du crime organisé corse à travers l'analyse des événements qui ont marqué les annales judiciaires depuis 2013, avec notamment le guet-apens de Silvareccio ou la guerre pour le contrôle de la région ajaccienne entre le clan Orsoni et celui du Petit bar. L'ensemble dresse le portrait d'une démocratie française affaiblie par le pouvoir mafieux".
Gomorra : dans l'empire de la Camorra / Roberto Saviano, préface inédite de l'auteur traduit de l'italien par Vincent Raynaud, 2018 : "Enquête sur les activités de la Camorra, l'organisation criminelle qui règne sur Naples. Il s'agit d'une forme d'entrepreneuriat criminel dont le seul but est de maximiser ses profits, ses membres étant prêts à tout pour atteindre cet objectif. Elle constitue l'avant-garde de l'économie mondialisée dont elle pousse les mécanismes jusqu'à l'extrême"
Women's violence and roles within criminal organizations / Tiziano Peccia ; sous la direction de Azadeh Kian-Thiébaut, thèse, 2021.
GIURIATI Tommaso, « L’ancrage local d’une mafia. Réflexions à partir du cas romain », Déviance et Société, 2022/2 (Vol. 46), p. 127-152, https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2022-2-page-127.htm
Enfin, n'oubliez pas de vous plonger dans les séries come Il capo dei capi ou les films incontournables de Cent jours à Palerme, Cadavre exquis en passant par Le Parrain.