Question d'origine :
Qui sont les grands philosophes fondateurs de la philosophie en Asie ? (L'""équivalent"") des Socrate, Platon et Aristote
Bien à vous
Réponse du Guichet
Dans une approche très (très) schématique, on pourrait mentionner quatre grandes philosophies asiatiques, quatre grandes familles que seraient le bouddhisme, la philosophie indienne, le taoïsme et le confucianisme. A ces familles philosophiques on pourrait rattacher quelques grands penseurs, dont l’existence est cependant plus ou moins avérée: Siddhartha Gautama (Bouddha), Adi Shankara, Laozi, Confucius.
- Siddartha Gautama et le bouddhisme :
Siddartha, le bouddha (l’Illuminé) aurait vécu au Ve siècle avant J.-C. en Inde. Comme Socrate, Bouddha n’a rien écrit et la transmission de sa philosophie s’est faite oralement. Ce sont ses disciples et ses commentateurs qui ont consigné et organisé ses pensées. Contrairement à d’autres philosophies asiatiques, son savoir n’est pas « une sagesse au sens de bons conseils pratiques pour mieux vivre dans ce monde [mais une] connaissance transcendante, lucide et pénétrante, qui permet de reconnaître la nature ultime de soi-même et du monde afin de se délivrer des illusions et des conditionnements douloureux » (Philippe Cornu, dansLes grands maîtres de la sagesse. Les textes fondamentaux).
Les textes qu’on pourrait attribuer au Bouddha sont regroupés dans le Canon Pali (qui varie selon les écoles) et notamment dans sa seconde partie, le Suttapitaka, qui contient les enseignements de Bouddha.
- Adi Shankara et l’hindouisme.
Impossible de réduire l’hindouisme, un ensemble de systèmes de pensées vieux de plusieurs millénaires et dont les ramifications sont immenses, à un seul penseur. L’hindouisme n’a d’ailleurs pas de « fondateur humain » comme le rappelle le philosophe Michel Hulin. Shankara est cependant une figure importante de ce continent philosophique…. Dont on ne sait quasi rien, si ce n’est qu’il serait né au VIIIe siècle. Mais ses commentaires des textes classiques de la pensée indienne (Upanishad védiques, de la Bhagavad-Gita…) sont considérés comme des écrits importants de cette tradition.
- Laozi et le taoïsme
Laozi (ou Lao-Tseu) est encore un personnage à l’existence et la vie incertaine. Il serait né autour du Ve siècle avant J.-C. et on lui a attribué a posteriori la fondation du taoïsme. Comme l’affirme Rémi Mathieu dans son «Que sais-je?» sur le taoïsme, les maigres éléments biographiques importent moins que «l’œuvre qui bouleversa la pensée en Chine et dans les pays sinisés pour d’innombrables siècles»: le Taote king. Les plus anciennes traces de ce texte remontent à la fin du IVe siècle avant JC.
- Confucius et le confucianisme
De Confucius, autre grand penseur chinois, on sait en revanche un peu plus de choses: né autour de 555 av JC et mort en 479, Confucius exerce des responsabilités politiques dans la principauté de Lu (Chine orientale) avant de quitter ses fonctions pour proposer ses services et ses conseils politiques et moraux aux souverains chinois. Sa philosophie est donc plus « pratique » et on trouve l’essentiel de son enseignement dans ses Entretiens. Le confucianisme a une immense influence en Chine, encore aujourd’hui. Dès la dynastie Han (III av JC – III ap JC) elle devient la doctrine officielle de l’empire.
Ces quatre courtes notices sont loin, très loin, d’être représentatives de la diversité, de l’ampleur des philosophies asiatiques. Et ce pour de multiples raisons, parmi lesquelles :
- On ne peut pas aisément établir la frontière entre ce qui relève du spirituel, du religieux et du philosophique. En fonction d’où l’on situe la limite, toujours en partie arbitraire, l’extension du domaine des philosophies asiatiques varie. Roger Pol-Droit, dans son Voyage dans les philosophies du monde, concède que l’abord de ces pensées asiatiques peut être déconcertant « car ce geste de la philosophie, selon les cultures et les écoles, côtoie des sagesses, qui usent de l’intuition et de l’expérience vécue plus que de la raison pure. Ce même mouvement se mêle aussi à la religion […].Il arrive aussi que l’on voie cohabiter expériences mystiques et exercice de la raison, discours démonstratifs et horizons spirituels. Ces configurations commencent par paraître bien étranges. Leur singularité semble inhabituelle. Elle peut expliquer l’impression première de ne pas retrouver, dans ces paysages insolites, ce que nous avons coutume d’appeler “philosophie”. Il est rare que la première impression soit la bonne. Si nous devions retrancher de la philosophie tout ce qui concerne la conduite sage de l’existence, c’est pratiquement toute l’Antiquité grecque et latine qu’il faudrait laisser tomber ! […] On évacuerait les œuvres complètes de saint Augustin, de saint Anselme, de saint Thomas d’Aquin et de cent autres, puisque la foi chrétienne, l’adhésion au dogme de l’Église les mettraient à l’écart de la philosophie… Si logique et mystique étaient radicalement incompatibles, il faudrait encore rayer de la carte des philosophies Nicolas de Cues, Maître Eckhart, Blaise Pascal et quantité d’autres ».
- Certaines des traditions philosophiques évoquées plus haut présentent des ramifications complexes et multiples. Nous aurions pu citer le yoga que Patanjali aurait codifié dans les Yogasutra… Le yoga n’étant qu’un point de vue parmi les six « darshana » de la philosophie classique indienne, comme le rappelle Vladimir Grigorieff. De la même manière, les philosophies chinoises sont loin de se limiter au confucianisme et au taoïsme. On aurait ainsi pu évoquer le moïsme (du nom de son fondateur Mozi), ou l’école du Yin Yang ; 2 courants d’importance qui ont eux-mêmes émergé durant la période des cents écoles de pensée.
Au fond, il est assez difficile d’essayer de dresser un parallèle entre notre histoire philosophique occidentale, dont on fait remonter les origines à une poignée de grands noms, et le foisonnement, pas toujours bien connu et compris en occident, des philosophies nées sur le continent asiatique.
Pour aller plus loin
- Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Seuil. « L’évolution de la pensée chinoise est ici retracée depuis la dynastie des Shang au deuxième millénaire avant notre ère jusqu’au mouvement du 4 mai 1919 ».
- Yamauchi Tokuryu, Logos et Lemme, pensée occidentale, pensée orientale, CNRS éditions. L’auteur propose de « faire se rencontrer la pensée occidentale, qu’il identifie au logos grec, et la pensée orientale, dont il voit le principe dans le lemme, soit ce que l’on saisit intuitivement ou que l’on se donne pour acquis afin de poursuivre un raisonnement ».
- Jean Filliozat, les philosophies de l’Inde, Ed. PUF.
- Philosophies d’ailleurs, sous la direction de Roger Pol-Droit, Ed. Hermann.
- Enfin, n’hésitez pas à parcourir nos rayons consacrés à ce vaste champ philosophique: philosophie indienne, chinoise, confucianisme, taoïsme, bouddhisme…
Bonnes lectures !