Question d'origine :
Par quel droit est protégé le vaccin contre la COVID 19 ?
Merci
Réponse du Guichet
Comme toute invention, les vaccins contre le Covid-19 sont protégés par des brevets. Ceux-ci sont valables vingt ans et assurent aux détenteurs des brevets une exclusivité sur la production et la diffusion de leurs produits. Le secteur pharmaceutique fait toutefois l'objet de deux exceptions : la fabrication de médicaments génériques pouvant être effectuée sans autorisation dans certains cas, et, depuis un accord de l'OMS de juin dernier, une dérogation pour la fabrication de vaccins anti-Covid dans les pays pauvres.
Bonjour,
D'après l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, le brevet, qui constitue "un droit exclusif accordé sur une invention" et permettant au titulaire d'"autoriser des tiers à exploiter l’invention à des conditions convenues d’un commun accord ou leur concéder une licence à cet effet" - moyennant finances, notamment. Et ce "dans tous les domaines de la technique" : une invention peut ainsi être" un produit, tel qu’un composé chimique, ou un procédé permettant d’obtenir un composé chimique spécifique".
A ce titre, les brevets couvrant les vaccins, comme dans tous les autres domaines, sont exclusifs et d'une durée de vingt ans, explique le même organisme.
Selon le Ministère de l'Economie, l'organisme qui décerne les brevets en France est l'INPI, qui nous apprend que les brevets attachés à des produits pharmaceutiques ont toutefois quelques particularités :
Les brevets pharmaceutiques sont délivrés, comme tous les autres brevets, pour une période de 20 ans à compter du dépôt et moyennant le paiement des annuités. Cependant, les produits pharmaceutiques nécessitent une autorisation de mise sur le marché (AMM) afin de pouvoir être commercialisés. Cette autorisation n'est généralement pas délivrée avant plusieurs années. Aussi, pour compenser cette période durant laquelle le brevet ne peut pas être exploité, un titre spécial a été créé, le Certificat complémentaire de protection (CCP), qui prolonge les droits du propriétaire d’un brevet portant sur un produit pharmaceutique.
Certes, " Depuis le 1er juillet 2019, le règlement (CE) n° 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments a été modifié afin de permettre aux fabricants de génériques et de biosimilaires établis dans l'Union de fabriquer dans l'Union des produits, ou des médicaments contenant ces produits, à des fins d’exportation vers des marchés de pays tiers ou de stockage en attente d’expiration d’un certificat", ce qui entraîne une certaine souplesse vis-à-vis de la production de médicaments mais n'entache pas le principe de propriété intellectuelle.
En raison de l'ampleur de la pandémie de Covid-19, la question du maintien de la propriété intellectuelle dans le cas des vaccins a occasionné de vifs débat dont l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s'est faite écho : de nombreuses ONG, mais également des Etats (dont les Etats-Unis d'Amérique et la France) ont appelé des dérogations vis-à-vis de la protection de ces vaccins, auxquels les pays les plus pauvres ont difficilement accès, tandis que les grands groupes pharmaceutiques y voient une dépossession et un frein à l'innovation. Voici ce que répondait le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian à une question au Sénat en décembre 2021 :
La France poursuit l'objectif de faire du vaccin contre la Covid-19 un bien public mondial et promeut, plus largement, l'accès universel et équitable aux produits de santé contre la pandémie. Pour être atteint, cet objectif nécessite des contributions financières, des dons, une transparence sur les prix et une augmentation de la production. La France y prend toute sa part en contribuant, à hauteur de 200M€, à la facilité Covax de l'Accélérateur pour l'accès aux produits de santé contre la Covid-19 (ACT-A), par son engagement à donner, à des pays en développement, 60 millions de doses de vaccins en 2021 et 60 millions de doses en 2022, et par ses efforts visant à contribuer au développement des capacités de production dans les pays, notamment au Sud. La France, très impliquée dans ce domaine, travaille actuellement aux côtés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Union européenne (UE) sur des projets d'usines de vaccins au Sénégal et en Afrique du Sud, qui permettront de renforcer les capacités de production africaines, aujourd'hui très insuffisantes. La France attend des précisions sur la manière de décliner, de manière opérationnelle, la proposition américaine de levée des brevets. Les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - ADPIC, en particulier) autorisent, en effet, déjà les États à imposer le partage de propriété intellectuelle sans le consentement du détenteur de brevet en cas d'urgence sanitaire, à la fois pour produire localement et pour exporter des vaccins, par le mécanisme de licence obligatoire. Les discussions à l'OMC sur la proposition de l'Afrique du Sud et de l'Inde n'ont pas permis, à ce stade, de définir concrètement les contours de cette proposition. Face à la nécessité d'accélérer la vaccination mondiale, la France soutient, aux côtés de l'UE, les efforts déployés à l'OMC, où des discussions sont actuellement en cours, mais aussi à l'OMS, ainsi qu'au sein du Medicines Patent Pool, pour permettre une utilisation plus efficace du cadre existant de l'accord ADPIC. Le Président de la République a souligné, lors du G7, qu'en aucun cas la propriété intellectuelle ne devait être un frein pour l'accès au vaccin : - début juin, l'UE a présenté une initiative au Conseil des ADPIC de l'OMC pour avancer concrètement en ce sens.
L'OMC s'est ainsi très tôt mobilisée pour trouver un compromis dans ce débat :
Dès le début de la pandémie, il est apparu clairement qu'il était urgent à la fois de mettre au point de nouveaux vaccins et traitements et de garantir l'accès de tous à ces médicaments - ce qui constituait un défi dont l'ampleur et l'urgence étaient sans précédent à l'échelle mondiale.
Les gouvernements et les autres parties prenantes se sont donc penchés sur la façon dont les mécanismes et outils d'innovation permettant d'améliorer l'accès aux technologies médicales pouvaient contribuer à la réponse à la pandémie, en allant bien au-delà de leur implication habituelle. Cela a donné lieu à une série d'initiatives prise par des organisations internationales, des gouvernements et des acteurs privés en faveur du partage, de la mise en commun ou de la non-revendication des droits de PI (DPI) sur une base volontaire, concrétisant ainsi l'esprit de collaboration qui domine l'effort mondial de lutte contre la pandémie. L'OMC a participé activement aux efforts de collaboration, y compris dans le cadre d'une Équipe spéciale multilatérale des dirigeants sur la COVID-19 et d'une coopération trilatérale de haut niveau avec l'OMS et l'OMPI.
Un article de Sarah El Gharib dans le média Global citizen revient sur l'urgence d'une dérogation à la propriété intellectuelle pour lutter contre la pandémie :
Des données récentes montrent que seul 1 % des Africains ont été pleinement vaccinés contre la COVID-19. Ceci expose donc des milliards de personnes au risque de contracter les formes les plus mortelles du virus alors que de nouvelles souches apparaissent, tel le variant Delta. En revanche, les taux de vaccination grimpent en flèche dans la plupart des pays riches en raison d’un accès favorable aux ressources et à la technologie.
Une dérogation ne résoudrait pas ces problèmes du jour au lendemain. La reconstruction de systèmes de santé fragiles prendra du temps, mais la proposition pourrait aider à sauver des milliards de vies dans un contexte où il est nécessaire d’agir rapidement.
Premièrement, le partage du savoir-faire permettrait aux pays présentant des ressources limitées de fabriquer plus facilement des vaccins essentiels et d’autres produits de manière indépendante en leur fournissant des informations sur la manière de concevoir et de produire les composants sans violer les droits de propriété intellectuelle prévus par l’Accord sur les ADPIC. Cela transformerait ces composants en biens publics que les gouvernements peuvent utiliser librement jusqu’à la fin de la pandémie.
De plus, une dérogation pourrait contribuer à accroître l’offre dans les pays à revenu faible et intermédiaire en intensifiant plus rapidement la recherche, le développement et la production, en particulier dans les endroits où l’accès au déploiement du vaccin a été confronté à d’innombrables défis logistiques et d’approvisionnement. Personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité. Tant que le virus se propage, il représentera toujours un danger pour nous tous.
Enfin, la dérogation permettrait d’aider à remédier aux inégalités aggravées en matière d’accès au savoir et aux soins de santé. Ceci nous aiderait à poser les bases d’un monde post-pandémie plus juste comparé à celui que nous connaissions au début de la pandémi
Selon le site Euractiv, un accord a finalement été trouvé à l'OMC le 17 juin 2022. Celui-ci permet "la fabrication et l’exportation rapides des vaccins contre la Covid-19 sans le consentement du titulaire du brevet" dans les pays pauvres, tout en maintenant "un cadre de propriété intellectuelle [PI] fonctionnel avec des mesures incitatives pour l’investissement, la recherche et le transfert de technologie ". Ce compromis, selon un article du Monde, semble n'avoir satisfait personne :
La proposition adoptée par les Etats membres de l’OMC, si elle constitue une timide avancée, se révèle dans les faits bien moins ambitieuse que la proposition initiale faite par l’Inde et l’Afrique du Sud en octobre 2020. Constatant les inégalités croissantes d’accès aux produits permettant de lutter contre le Covid-19 entre les pays du Nord et ceux du Sud, les deux Etats réclamaient une levée de l’ensemble de la propriété intellectuelle des vaccins, tests de diagnostic et médicaments, afin de permettre aux pays moins fortunés de les produire sur leur sol pour en disposer.
(...)
L’accord adopté vendredi 17 juin est beaucoup plus restreint : il entérine le droit des pays en développement à accorder des licences de production à des fabricants locaux en se passant de l’autorisation des titulaires des brevets, mais uniquement pour les vaccins, et pour une période limitée de cinq ans. Les tests et traitements thérapeutiques, qui constituent pourtant également des outils essentiels de lutte contre le virus, sont pour l’instant exclus. Leur cas sera examiné par les Etats membres de l’institution genevoise, « au plus tard », dans six mois.
Conclu plus de deux ans après le début de la pandémie, l’impact de cet accord devrait s’avérer d’autant plus limité qu’après la pénurie de vaccins contre le Covid-19 constatée en2021, l’heure est aujourd’hui à l’abondance, rappelle-t-on du côté des Big Pharma. Vent debout, la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques dénonce une «coquille vide», qui, selon son directeur général, Thomas Cueni, envoie un signal dangereux aux industriels qui innovent.
Voici quelques sources commentant cet accord :
Gabriele Gagliani, « Accès aux vaccins et santé publique », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 14 | 2022, 73-92 - journals.openedition.org
Clara Grudler, « Levée des brevets sur les vaccins anti-Covid : solution miracle ou dangereux mirage ? », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 14 | 2022, 31-47 - journals.openedition.org
Vaccins anti-Covid : vers une levée des droits de propriété intellectuelle ? - Capital
OMC : un paquet d’accords « sans précédent » dont l’un sur le PAM conclu au bout de la nuit - ONU
Vous trouverez également quelques renseignements complémentaires dans la Foire aux questions de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
Bonne journée.