Comment l'Algérie commémore-t-elle la guerre d'indépendance de 1962 à 2022 ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je fais actuellement une recherche documentaire.
Ma recherche porte sur la manière dont l'état algérien commèmore le souvenir de la guerre d'indépendance et ce de 1962 jusqu'à nos jours (1962/2022). L'approche mémorielle a-t-elle évoluée ? des éléments, des personnes, des faits qui étaient à une époque passés sous silence par l'état algérien sont-ils à présent mis en avant et inversement.
J'ai déjà bien commencé mes recherches (Benjamin Stora,...) mais je trouve beaucoup de références avec une vision française.
J'ai, de plus, une contrainte supplémentaire qui est que je suis actuellement loin d'une bibliothèque. Je dois donc trouver des documents accessibles en ligne (Dumas, Hal, Google Scholar...) ou accessible via une base de données.
Pouvez-vous m'aider à trouver ces références supplémentaires ?
Merci par avance,
Réponse du Guichet
Plusieurs auteurs ont travaillé sur la question de la mémoire algérienne de la guerre d’indépendance et ont étudié les formes parfois concurrentes que prennent ces mémoires. Parmi eux, Emmanuel Alcaraz, Karima Dirèche, Nedjib Sidi Moussa, Malika Rahal… dont on trouve des publications accessibles sur le web, mais pas toujours gratuites.
Bonjour,
Emmanuel Alcaraz, docteur en histoire et professeur à la Sorbonne, est un spécialiste de la question algérienne et de ses mémoires, comme en témoignent deux de ses publications:
Histoire de l’Algérie et de ses mémoires, des origines au Hirak, paru en 2021 chez Karthala (accessible sur CAIRN). Vous pourrez notamment consulter le chapitre «1962, et après?» où il est largement question des « mémoires algériennes de la guerre d’indépendance».
Les lieux de mémoires de la guerre d’indépendance algérienne, également chez Karthala, qui est sa thèse publiée, malheureusement non accessible en ligne…
Il a également publié en 2016 dans les Cahiers d’histoire un article tout à fait central pour vos recherches intitulé: «La guerre d’indépendance algérienne : une mémoire disputée dans le champ politique algérien». Il y traite de la concurrence et des conflits autour des mémoires de la guerre d’indépendance entre les détenteurs du pouvoir et les oppositions. L’article est intégralement disponible sur OpenEditions Journals.
Karima Dirèche, historienne, directrice de recherche au CNRS, dont l’un des champs de recherche est l’histoire sociale de l’Algérie coloniale et post-coloniale.
Elle a contribué à l’ouvrage collectif Les sciences sociales en voyage. L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient vus d’Europe, d’Amérique et de l’intérieur (2010, Karthala) avec un chapitre sur les « savoirs historiques et enjeux idéologiques. Réflexions sur l’écriture de la guerre d’Algérie ». Ou comment l’écriture de l’histoire du conflit est encore largement marquée « par le paradigme de l’histoire nationale ». Le livre est accessible en pdf sur OpenEditions, mais ce n’est pas gratuit.
En revanche son chapitre « dette de sang et rente de guerre. Quand l’histoire se sclérose » tiré d’Une histoire sociale et culturelle du politique en Algérie et au Maghreb, aux presses de la Sorbonne (2018) est lui intégralement accessible.
Son résumé présente bien en quoi il peut éclairer vos recherches: « On présentera tout d’abord l’incroyable résistance du chiffre mythique de 1,5 million de morts qui polarise la dimension sacrificielle et martyrologique de la guerre d’indépendance. Chiffre figé dans un récit national qui, malgré l’existence d’études démographiques publiées et sérieuses, n’autorise aucune remise en question statistique. Puis on montrera comment l’activisme mémoriel des associations des Shuhadā’ et des Mujāhidīn participe du culte des morts dans un souci féroce de protection de la dette de sang instaurée par l’État algérien au profit de la « Famille révolutionnaire ». Enfin, on montrera l’écart vertigineux qui n’a cessé de se creuser entre mythification du récit héroïque, monopole de l’État algérien sur le récit national de la guerre et attentes sociales ».
Nedjib Sidi Moussa, docteur en science politique à la Sorbonne, a longuement travaillé sur la figure de Messali Hadj, homme politique algérien militant pour l’indépendance, figure oubliée par certains et ré-exploitée par d’autres dans la mémoire algérienne. Vous pourrez notamment lire son article de 2015, paru dans la revue Matériaux pour l’histoire de notre temps, occultation étatique et réappropriations privées : tensions mémorielles autour de la question messaliste en Algérie (1964-1994), disponible sur CAIRN.
Ces trois auteurs ont par ailleurs participé à l’émission La Fabrique de l’histoire dont la série Algérie, naissance d’une nation, s’arrête dans un de ses épisodes sur la «guerre d’indépendance: des mémoires multiples… et concurrentes?». Nous vous en recommandons l’écoute !
Malika Rahal, chargée de recherche au CRNS, a publié cette année à la Découverte Algérie 1962, une histoire populaire. Un des chapitres est consacré à cette « invention du passé », qui s’arrête donc davantage sur la culture populaire (cinéma et chansons) mais aussi sur les commémorations et les changements de noms de rue dans le processus de cristallisation de la mémoire du conflit. Le livre est consultable sur CAIRN. Mais il faut avoir souscrit à un accès à la plateforme.
Amar Mohand-Amer, docteur en histoire, directeur de la Division Socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire au CNRS, s’est quant à lui penché sur la façon dont les historiens ont raconté et étudié la guerre d’indépendance, à l’aune du «roman national» et sur les enjeux politico-mémoriels que cela soulève. Son article, « La recherche et l’écriture de l’histoire en Algérie : réalité et enjeux politiques et mémoriels », est en libre accès sur CAIRN.
Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine à Toulouse, est aussi spécialiste de la question des mémoires du conflit algérien. Son point de vue sur la guerre d’Algérie a pu susciter des critiques au sein de la communauté des historien.ne.s (comme en témoigne cette interview «musclée» avec Emmanuel Alcaraz), mais il reste un auteur prolifique et important sur cette thématique.
Ainsi, vous pourriez consulter à profit sa page web personnelle sur laquelle il met en ligne plusieurs de ses publications dont toute une série sur l’historiographie, la mémoire et l’histoire de 1962 à nos jours.
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Enfin - pour changer de la lecture d’articles ! – deux autres podcasts susceptibles de vous intéresser:
- Une conférence sur les mémoires de la guerre d’Algérie, donnée par l’historien Abderahmen Moumen devant L'Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie de l'Enseignement Public en 2017.
- La série sur les mémoires vives de la guerre d’Algérie tirée de l’émission LSD sur France culture, en particulier le 4ème épisode : Algérie, confronter les récits personnels et officiels.
Bonnes lecture et bon courage dans vos recherches!