Question d'origine :
Comment désapprendre ?
Réponse du Guichet

La notion de désapprentissage est utilisée dans de multiples champs, de la philosophie à la spiritualité, en passant par l’éducation et le management. Nous vous donnons ici quelques pistes de réflexion qui aboutissent à un même constat : désapprendre, ça s’apprend !
Bonjour,
Au risque d’un catalogue à la Prévert, en l’absence d’ouvrage général abordant les différents aspects, voici quelques propositions.
De nombreux exemples philosophiques peuvent illustrer cette notion de désapprendre, définie alors comme une mise à distance critique, une analyse de nos modes de pensée habituels et de nos habitudes.
Un exemple en est évidemment le doute cartésien, (Wikipédia), qui va jusqu’au «doute hyperbolique», qui est la mise en doute de tout ce que l’on croyait jusqu’alors certain, de l’existence du monde à la possibilité de connaître. Le doute cartésien s’éloigne de celui des sceptiques, puisqu’il vise à refonder la connaissance, mais pour le «comment» de votre questionnement, il s’agit bien d’une première méthode : le doute.
A lire :
Le scepticisme : vivre sans opinions, Stéphane Marchand
Discours de la méthode, René Descartes
Méditations métaphysiques, Descartes
On retrouve en partie cette idée chez Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique, dont vous retrouverez l’extrait concerné sur Désapprendre pour apprendre, Blog Sur la rive.
Il s’agit donc d’une forme de culture de soi, qui vise à une individuation de la pensée :
Désapprendre est «une des premières tâches importantes de la culture de soi. [Il s’agit] de se défaire de toutes les mauvaises habitudes, de toutes les opinions fausses qu’on peut recevoir de la foule ou des mauvais maîtres, mais aussi des parents et de l’entourage» (L’herméneutique du sujet, Michel Foucault)».
Voir aussi:
Philosopher : « se déprendre de soi-même »/Michel Foucault/ L’usage des plaisirs, Aussitôt dit
L’article: L'école du « désapprendre », pour une culture de la critique de soi, Nestor Roméro, Rue 89, 12/01/2010
Et c’est aussi plus simplement la leçon de Frédéric Lenoir dans son Petit traité de vie intérieure :
Le grand paradoxe de la connaissance philosophique, et qui constitue son point de départ, c’est qu’il faut commencer par désapprendre. Il faut mettre en doute nos certitudes acquises sans réflexion critique personnelle par le biais de l’éducation familiale, de la religion, de la société. Car si certaines vérités sont ainsi transmises, des erreurs et des préjugés sont ainsi véhiculés. Chaque époque, chaque pays, chaque culture, chaque famille transmet son lot de visions limitées ou erronées du réel. La reconnaissance de notre propre ignorance est donc au fondement même de la quête de la sagesse. Socrate l’a fort bien exprimé: «je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien» déstabilisant ainsi ses interlocuteurs et les obligeant à remettre eux aussi en doute leurs propres certitudes.
Mais dans Penser intelligemment la bêtise : de Deleuze à Stiegler, Jean-Baptiste Vuillerod rappelle que :
Pour Deleuze, on l’a vu, la solution n’est pas dans notre tête, elle n’est pas dans la bonne volonté d’une pensée naturellement orientée vers la vérité. Au contraire, c’est seulement par la rencontre avec l’altérité, avec ce qui lui est étranger que la pensée peut trouver de quoi se transformer, car si elle reste enfermée en elle-même, elle n’a plus aucun moyen d’affronter une différence qui va modifier son identité.
Une piste essentielle semble donc être la confrontation à l’altérité, la discussion, la découverte d’autres modes de vie et de pensée.
Voir par exemple l’expérience de l’anthropologue Deirdre Meintel, dans Apprendre et désapprendre. Quand la médiumnité croise l’anthropologie :
Entrer dans l’expérience de la voyance, comme nous avons choisi de faire, nous oblige à apprendre autrement que par le travail académique. Il faut mettre de côté toute notion d’« excellence », de « compétence » et de « réussite ». Dans le groupe fermé, les élèves « désapprennent » la censure des impressions qui passeraient normalement sous silence. Lorsque nous commençons à transmettre la voyance devant la congrégation, nous réalisons que, pour être en état de la recevoir, le médium doit faire abstraction de toute prétention au contrôle.
Mais désapprendre peut aussi passer par une quête de spiritualité, puisqu’on retrouve par exemple dans le Tao te king cette idée d’apprendre à désapprendre :
Tao te King 64, Jepense.org
Les leçons de vie du Tao, Psychologies Magazine en ligne.
On peut également penser à la méditation, comme exercice permettant de transformer sa vision de soi et du monde, mais également les mécanismes du cerveau. Façon de retrouver Descartes et ses Méditations comme exercice (Les Méditations Métaphysiques en tant que méditations, François-Xavier de Peretti, L’Enseignement philosophique 2010/2) !
Sur un plan plus pratico-pratique, les thérapies comportementales et cognitives invitent aussi à un changement d’un comportement inadapté, qu’il s’agit de désapprendre.
Enfin, il faut sans doute mentionner aussi toutes les pratiques créatives, notamment artistiques. Ce texte de la Vie des arts : Comment « se déprendre » : désapprendre l’histoire de l’art vous permettra d’en saisir les enjeux tout en faisant un petit historique bienvenu de la notion de désapprentissage. Il inscrit aussi la démarche dans une perspective plus large de rapports aux institutions.
Si toutes ces réflexions et exercices peuvent séduire par leur promesse d’émancipation, il faut bien constater que la notion est aussi très utilisée en management. Elle peut l’être à bon escient. Il est logique de préparer le changement, mais le risque est aussi que le désapprentissage mal compris ne devienne une version de la flexibilité et de l’adaptabilité.
A lire également :
Le « savoir désapprendre », une nouvelle compétence ?, Isabelle Barth, Cairn info
Le désapprentissage, une rudologie de l'esprit, Christian Bourion, Sybil Persson, Isabelle Barth, Frank Bournois, Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels 2013/47 (Vol. XIX), pages 47 à 79
Réenchanter le monde : la valeur esprit contre le populisme industriel, Bernard Stiegler et Ars industrialis
Psychologie cognitive pour l'enseignant/Le changement conceptuel, Wikibooks
Désapprendre : voies de la pensée chez Hannah Arendt, Marie Luise Knott
Le maître ignorant : cinq leçons d’émancipation intellectuelle, Jacques Rancière
Tenter de désapprendre sa langue, Roger Pol Droit dans Petites expériences de philosophie entre amis: Casser les codes du quotidien
Chercher avec des enfants : la nécessité du désapprentissage, Claire de Saint Martin et Daisy Queiroz, Sociétés et jeunesses en difficulté, 18, printemps 2017
Introduction à la pleine conscience, sous la direction de Estelle Fall
Bonnes lectures !