Pourquoi les cantatrices portent-elles des robes très décolletées ?
Question d'origine :
Pourquoi les cantatrices portent-elles toujours des robes très décolletées ,même quand le concert a lieu dans un lieu glacial comme une église ?
Réponse du Guichet

Rien n'explique pourquoi les cantatrices portent des robes très décolletées. Cependant, certaines sources nous apprennent que leurs costumes peuvent aller de la nuisette sexy à la robe très richement ornée. De la tendance ostentatoire à l'objectification de la femme, est-il question de glamour ou de sexisme ? Mais sans aller si loin, il se pourrait aussi que les cantatrices n'aient pas froid lorsqu'elles sont en représentation.
Bonjour,
La question des tenues portées par les chanteuses d'opéra est abordée dans la chronique d'Aliette de Laleu sur France Musique du 15 octobre 2018, Pourquoi les chanteuses d’opéra se retrouvent-elles souvent en nuisette ?. Celle-ci s'exprime sur la question :
... le risque avec la sexualisation du corps des femmes, puisqu'une nuisette est sexy, c'est de faire basculer l'opéra dans un art où les chanteuses doivent avoir une voix d'or dans un corps de rêve que l'on peut sexualiser. C'est une pression énorme de tout donner sur scène, mais si on ajoute à cela la pression du costume dans lequel on doit être à l'aise pour chanter et bouger, et à l'aise aussi par apport à son propre corps, on glisse de plus en plus vers une transformation de scènes lyriques en podium de défilé de mode !
...
A l'opéra, le costume est imposé, il est le reflet de la vision d'un metteur en scène. Si je parle de nuisette, c'est parce que ces 10 dernières années sur les scènes lyriques j'ai relevé 14 productions où la chanteuse principale chante en nuisette. Manon, Charlotte, Didon, Carmen, Rosine, Anna, Mimi, Renata, Bérénice ou Dalila.
...
Est-ce qu'on a vraiment besoin à l'opéra de voir des chanteuses en nuisette ? D'un côté ce ne sont pas des mannequins, on montre un vrai corps de femme, et c'est important et parfois, c'est cohérent avec la mise en scène. De l'autre on est tellement submergé par l'image sexualisée du corps des femmes dans la publicité, au cinéma que la scène lyrique pourrait éviter de suivre ce mouvement et montrer la beauté des voix, des femmes dans toutes leurs différences, des jeux dramaturgiques et tout ce qu'une personne de sexe féminin peut apporter de plus beau qu'un corps moulé, dans une nuisette sexy.
Si Aliette de Leleu affirme qu'à l'opéra le costume est imposé, à l'entrée Costumes, le dictionnaire L'univers de l'opéra: oeuvres, scènes, compositeurs, interprètes nous renseigne autrement :
... certains grands solistes ne se déplacent jamais sans leurs costumes de scène emblématiques. La tunique de Boris Godounov suit Féodor Chaliapine lorsqu'il chante l'opéra de Moussorgski, de même que Nellie Melba, Emma Albani ou Emma Eames utilisent leur propre garde-robe ; en 1895 - caprice de diva -, Adelina Patti s'autorise, pour une Traviata au Covent Garden, un costume orné de 3700 diamants, estimé alors 200 000 livres. Plus tard, quelques célèbres cantatrices (Maria Callas, Monserrat Caballé, Jessye Norman, Renée Fleming...) ne dédaigneront pas non plus de porter des robes de haute couture spécialement dessinées à leur intention.
Dans cet ouvrage, cette occurrence n'aborde pas le sujet des décolletés. Nous pouvons cependant relever qu'entre la nuisette et la robe parée de 3700 diamants, entre le costume (très) sexiste et celui (très) richement orné, une tendance commune se dégage, que nous pourrions qualifier d'ostentatoire. Ou bien est-ce un goût pour le glamour si fréquent sur les scènes où sont fêtés la musique et le cinéma ? Cette dernière question pose alors celle de l'objectification de la femme.
Le résumé d'une étude menée par Les débuts et les débutantes à l’Opéra de Paris sous la monarchie de Juillet (1830-1848) par Kimberly White et publiée dans Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique en 2011 nous éclaire à ce sujet :
Cette étude présente le système des « débuts » à l’Opéra de Paris pendant la monarchie de Juillet, des premières auditions aux premières représentations, et s’intéresse en particulier aux expériences des débutantes. En France, au XIXe siècle, les courants de pensée sexistes influençaient le jugement du public et des critiques; en effet, les artistes étaient jugés différemment selon leur sexe. Les nouvelles chanteuses subissaient des pressions pour se conformer à l’image idéale de la débutante transmise par les anecdotes, les romans et même la critique musicale. L’objectif de cet article est d’étudier les efforts ainsi que les ambitions des chanteuses qui se sont essayées à des carrières professionnelles à l’Opéra, bravant ainsi les difficultés de l’époque. La première partie décrit les débuts; la deuxième partie s’intéresse à la perception des débutantes proposée par la presse; et enfin, la troisième partie se concentre sur les débuts de deux jeunes artistes, Cornélie Falcon et Noémie de Roissy.
Dans Une gouvernance par la conditionnalité. Un virage des politiques culturelles ? publié dans L'Observatoire en 2022, Guy Saez explique que "lorsqu’elles ont conquis un public, elles [les grandes institutions culturelles] cherchent à le conserver en lui offrant ce qui peut le séduire durablement – l’opéra a été emblématique de cette stratégie." Dans le paragraphe La conditionnalité de non-discrimination et d’égalité des genres, on y apprend que
l'Opéra national de Paris a commandité un rapport qui prend acte que beaucoup d’œuvres anciennes posent un problème quant à la sensibilité des personnes discriminées et qui propose de faire davantage appel à des œuvres contemporaines qui respectent mieux cette diversité ou en font même un argument politique.
Si vous êtes intéressé·e par la question du sexisme dans le milieu de la musique, l'étude Musique et sexualité de Esteban Buch et Violeta Nigro Giunta publiée en 2021 vous donnera d'autres informations.
Enfin, si les cantatrices en décolleté ne semblent pas avoir froid même en des lieux glacials, il se pourrait que ce soit parce que, à l'instar de Claude Nougaro dans Armstrong, chanter tient chaud : "Chante, chante, chante ça tient chaud". En effet, la chaleur des projecteurs est une réalité.
Bonne journée.
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