je recherche des informations sur l'histoire de la chevalière
Question d'origine :
Bonjour,
Dans le cadre d'un argumentaire de vente sur les produits aux symboles historiques importants, je m'intéresse en détails à l'histoire de la chevalière (la célèbre bague). J'ai comme à mon habitude visité la page wikipédia associée à ce sujet (qui est très fournie d'ailleurs) : https://fr.wikipedia.org/wiki/chevaliere
Auriez-vous des compléments d'information sur cette thématique svp ?
Merci par avance,
Cordialement,
Laura
Réponse du Guichet
L'histoire de la chevalière se confond avec celle de la bague et plus spécifiquement avec celle de la bague-cachet gravée en intaille pour servir de sceau. On peut établir son origine à la civilisation sumérienne et celle de l'Egypte antique. Mystèrieuse, objet de dialogue mais aussi dépositaire d'une identité et d'une position dans la société, elle fut portée au travers les âges, par différentes classes sociales allant du pape aux marchands. A partir du XVe siècle, en Angleterre, en Italie et en France, la bague des nobles et des chevaliers est construite selon les règles de l'héraldique. Celle des marchands portent des marques qui firent leur apparition au XIVe siècle. "Au début du XXe siècle, la chevalière devient un accessoire vestimentaire à la mode et se transforme en marqueur social chargé de symboliques diverses."
Bonjour,
Dans le livre Bagues : tour du monde en 500 créations artistiques dirigé par Nicolas Estrada, Elizabeth Shypertt et Carolina Hornauer écrivent que la bague contient du mystère et qu'elle est un objet de dialogue :
Le cercle est la description la plus élémentaire d'une bague. le cercle commun représente pourtant, entre autres choses, un certain nombre de concepts difficiles à définir tels que l'infini et la perfection, et celui-ci a fasciné l'humanité et particulièrement les mathématiciens depuis au moins cinq millénaires. Cette fascination aboutit à la création de "pi" et immédiatement à la recherche de sa vraie valeur, pour finalement éclairer et consolider toute une branche des mathématiques - la géométrie. Nous savons maintenant que "pi" représente un nombre irrationnel - il ne peut pas en effet être représenté de façon absolue et il est toujours une approximation, même après que les ordinateurs aient calculé des millions de décimales. Par conséquent, la circonférence et l'aire d'un cercle ne peuvent être calculées avec précision absolue, et le cercle continue alors de renfermer une partie de ce mystère originel.
[...]
La bague comme pièce artistico-culturelle peut exprimer des traits du créateur (joaillier), du porteur, de l'observateur et de la bague en elle-même. En ce sens, elle est un objet de dialogue, et c'est ce qu'elle a été historiquement pour des rois, des empereurs, des prêtres, des bourgeois et des aristocrates, mais aussi pour la majorité des hommes et des femmes après la sécularisation et l'industrialisation de la mode.
Harold Mollet dans Bagues d'homme, pointe la chevalière comme symbole d'appartenance et de reconnaissance, "dépositaires d'une identité et d'une position sociale" :
Elles se transmettent de génération en génération et témoignent à leur manière d'une histoire familiale. A partir du XIe siècle, les blasons se peignent sur les armures des chevaliers pour faciliter leur identification sur les champs de bataille. Ces armoiries décorent l'ensemble de leur équipement et se portent aux doigts, gravées en intailles pour servir de sceaux. Elles sont construites selon les règles de l'héraldique. L'écu, au centre, est découpé en champs, accueillant les charges, décors géométriques, figures naturelles ou imaginaires, tels la fleur de lys, la croix et le griffon. Les ornements extérieurs complètent les armes : supports, animaux réels ou inventés de part et d'autre de l'écu, couronne, heaume et lambrequins en partie supérieure, devises et terrasse en partie inférieure. Chaque titre de noblesse est codifié, chaque fonction au sein de la hiérarchie catholique et militaire se traduit par un ornement différent. L'épure des blasons du Moyen-Age laisse place peur à peu à des décors chargés, colorés et complexes. Interdites par décret en 1790 lors de la Révolution française, les armoiries trouvent un nouveau langage visuel avec la création de la noblesse d'Empire par Napoléon Ier.
Au XIXe siècle, "les armoiries, réelles ou fantasques, se succèdent, sur argent, cornaline, agate et cristal de roche. Les anneaux sont dépouillés ou richement décorés..."
Au début du XXe siècle, la chevalière devient un accessoire vestimentaire à la mode et se transforme en marqueur social chargé de symboliques diverses. Elle est portée avec préciosité par les dandys, tel Oscar Wilde immortalisé par Napoléon Sarony en 1882 et Balzac décrit par Léon Gozlan dans une biographie. Elle est prisée par les milieux artistiques à travers l'Europe. la bague fait également partie intégrante du style américain, surnommé "pinky ring", en référence au doigt sur lequel elle se porte.
Le cinéma de genre contribue à l'associer aux milieux mafieux, de Edward G. Robinson dans Le Petit César de Mervyn LeRoy en 1931 à Robert de Niro dans Casino de Martin Scorcese et plus récemment James Gandolfini dans la série The Sopranos. L'industrie de la musique s'en empare également. Les crooners et musiciens de jazz la portent sobrement, quand les icônes excentriques que sont Liberace et Prince la détournent. Chantre de la masculinité, elle est maintenant reprise par les rappeurs, tels Puff Daddy ou Rick Ross, avec une opulence proche du faste des bijoux représentés sur les portraits de la Renaissance.
Symboles de réussite et d'excellence, les bagues de championnat sont remises à l'équipe victorieuse d'un tournoi sportif au Etats-Unis depuis les années 1930...
[...]
Destinées aux étudiants du lycée à l'université, aux académies et différents corps militaires, ces bagues sont des signes d'honneur, d'appartenance et de reconnaissance par excellence. Présente également au Canada pour les ingénieurs, en Suède et au Danemark pour les doctorants, cette tradition n'existe pas en France...
Portée sur l'alliance, elle conserve également son aura de pouvoir aux mains de Franklin Roosevelt ou du prince Charles. Elle est offerte aux garçons à leur majorité, décorée des armoiries familiales, des initiales ou non gravée. La chevalière trouve place dans chaque catégorie sociale, attribut de virilité comme apparat androgyne.
D'après les ouvrages La bague : parcours historique et symbolique de Sylvie Lambert et La bague : de l'Antiquité à nos jours par Anne Ward, John Cherry, Charlotte Gere et Barbara Cartlidge, l'origine de la chevalière dont le chaton est gravé en intaille pour servir de sceau, remonte aux civilisations sumérienne et égyptienne. Les "bagues étaient taillées dans un matériau tendre (allant de de la serpentine au coquillage)" :
La sculpture de la forme globale était exécutée en ronde bosse et à partir d'un seul bloc de matière. Le matériau devait donc favoriser ce travail minutieux et délicat de la taille puis celui de l'exécution de la fine gravure de motifs ou signes sur le chaton.
Choisis pour leur qualité intrinsèque, ces divers matériaux étaient également retenus pour l'éclat particulier de leur couleur : on taillait et réalisait des bagues dans de la serpentine, du lapis-lazuli, du gypse, de l'albâtre, du coquillage... Sur le chaton on peut trouver des inscriptions en intaille (en creux), des représentations figuratives ou des motifs décoratifs : représentations entières ou partielles d'animaux sauvages (lions, bouquetins) ou domestiques (taureaux), vus en général de profil et esquissant un léger mouvement. Comment comprendre ce choix iconographique ?
Pour les Sumériens, un objet sculpté et gravé possédait une entité propre. Porter sur soi une bague avec une figure animalière était pour le chasseur un signe de possession voire de domination, gage pour lui de protection. Cette fonction magique et animiste du monde donnait ainsi à ces bagues une liberté et une source de signe et de sens. Par extension, elles devaient parler au nom même de leur propriétaire : cette aptitude à pouvoir étendre son influence, à imposer, à marquer une présence dans une absence physique est à rapprocher des débuts de l'écriture. Ces bagues devaient en fait être pressées sur de l'argile humide ou de la cire afin d'y laisser leur impression en relief. Véritables sceaux de propriétaire, elles avaient pour fonction de parler au nom de leur possesseur, de sceller une parole, une décision, un engagement, de marquer un bien, de fermer un coffre...
Il serait pertinent de rapprocher ces bagues sceaux avec les sceaux cylindres, motifs caractéristiques de l'époque sumérienne. Mais l'avantage de la bague sceau sur le sceau cylindre est d'être plus facilement utilisable et en tous lieux sans être contraint de l'enlever du doigt. Signe évident de reconnaissance, elles avaient donc valeur de signature et accompagnaient leurs propriétaires défunts dans leur tombe.
Les Égyptiens, soucieux d'assurer leur immortalité, "de laisser à tout prix une trace matérielle, preuve de leur passage réussi dans l'au-delà", "d'exister et de durer grâce au nom", l'écrivaient sur différents supports comme les monuments, les murs, les bagues, etc. Des bagues-cachet ont été retrouvées dans des tombes. Elles étaient en or et en faïence ou entièrement en faïence.
Depuis au moins le XIIIe siècle, la bague-cachet, l'annulus piscatoris (anneau du pêcheur), partie essentielle de la tenue du pape, était aussi utilisée par le pape qui l'utilisait pour sceller les bulles et les lettres :
Au moment de son intronisation, le monarque ecclésiastique reçoit un anneau en or, confectionné spécialement pour lui, avec son nom gravé autour de l'image de saint Pierre. A travers le rituel et l'iconographie (le pêcheur comme symbole de la fondation de l'Eglise) l'anneau est en mesure d'exprimer la domination et le pouvoir réservés uniquement à celui qui l'utilise. L'objet représente la puissance de Dieu transférée à son représentant sur terre, qui détient le plus haut rang au sein de l'Eglise. Cet anneau renforce l'identité de l'utilisateur en s'appropriant les valeurs symboliques contenues dans l'objet. L'immense pouvoir qu'il confère est matérialisé par le fait que le pape sans son anneau ne peut être définit comme tel. Il l'utilise pour sceller les bulles et les lettres. C'est celui-ci qu'on baise pour saluer le souverain pontife. Comme geste ultime, après la mort de son porteur, l'objet est brisé solennellement par le cardinal camerlingue.
Source : Carolina Hornauer dans Bagues : tour du monde en 500 créations artistiques / Nicolas Estrada
L'ouvrage La bague: de l'Antiquité à nos jours consacre tout un paragraphe à la bague-cachet dont voici des extraits :
Les bagues-cachets possèdent des chatons gravés : la marque du propriétaire de la bague peut ainsi être imprimée sur de la cire afin d'authentifier une lettre ou un document à la manière d'un sceau. On apprécia particulièrement les intailles classiques : elles furent réutilisées comme bagues-cachets aux XIIe et XVIIe siècles ; leur emploi est un aspect de ce renouveau d'intérêt en France et en Italie pour l'Antiquité classique qui caractérise la Renaissance du XIIe siècle. On appréciait les intailles à la fois pour leur beauté artistique et pour leurs propriétés de charme et d'amulette. Au Moyen-Age, on tailla également des pierres précieuses, certainement en Italie et en France, régions où l'on entreprit la gravure de saphirs et de rubis. [...]
La légende TECTA LEGE: LECTA: TEGE inscrite sur une bague reproduite p.66 du livre, "prouve clairement que l'on utilisait la bague-cachet pour fermer une lettre."
Quelques intailles médiévales furent gravées de têtes de profil imitant les intailles de l'Antiquité classique. On les rencontre sur des bagues italiennes et peut-être anglaises. Des pierres précieuse de ce type, classiques ou médiévales, sont presque toujours montées sur de l'or et enfermées dans une bande portant une légende à la manière d'un sceau ; elles sont rarement serties par des griffes, comme la bague trouvée dans la tombe de l'évêque de Chichester. La valeur attachée aux cachets sertis de pierres est illustrée par le don que fit Edmund, comte de March, en 1380, à Sir John de Bishopstone, de sa bague en or au rubis gravé comme un cachet.
On ne voit pas exactement la différence d'usage qui existait entre une bague-cachet et un petit sceau. Il est difficile de distinguer sur un document scellé par un cachet en cire l'empreinte faite par une bague de celle faite par un petit sceau. La même confusion règne lorsqu'on se réfère au cachet d'Edouard III tantôt comme un sceau secret, tantôt comme un cachet. Dans certains cas, la bague servait manifestement de contre-seing pour sceller le revers d'un plus grand sceau.
L'épuisement relatif des pierres gravées eut pour effet que les bagues-cachets gravées dans le métal furent de plus en plus fréquentes à la fin du Moyen Age. Il en résulta une plus grande liberté dans l'utilisation d'emblèmes variés associant l'empreinte et le propriétaire de la bague, comme dans des emblèmes héraldiques, des marques de marchands, des rébus, des monogrammes et des initiales.
Dès le début du XVe siècle, on utilisa des écussons héraldiques sur les bagues en Angleterre, en Italie et probablement aussi en France. Les bagues héraldiques italiennes sont particulièrement belles. Au XVe siècle, on utilisa un écusson associé à une devise personnelle de préférence aux armoiries, en particulier en Angleterre. [...]
Les marchands et les artisans qui n'avaient pas licence de porter blason imprimaient souvent leur marque de marchand (un symbole composé de lignes souvent basées sur la croix ou sur le chiffre 4) : ces marques figuraient quelquefois isolées sur la bague et quelquefois enfermées dans un écusson. La marque de marchand était habituellement placée sur le chaton, parfois avec le nom du propriétaire, plus rarement sur l'épaule de la bague. Les marques de marchands firent leur première apparition au XIVe siècle ; on les rencontre sur des bagues de tous les pays : Germanie, Angleterre et Italie.
De temps en temps, on voit sur le chaton d'une bague-cachet un outil d'artisan comme le marteau de maçon sur la bague de Guillaume Maçon. Des bagues-cachets portent quelquefois des emblèmes liés à une position officielle ; ainsi la bague-cachet ill. 174 qui peut avoir servi comme bague de shériff.
Les rébus, ces emblèmes où le nom de famille était illustré par divers objets pour leur assonance avec le nom, furent très populaires aux XVe et XVIe siècles. [...]
Il existe un type de bague-cachet plus courant et fabriqué plus souvent : il porte la gravure d'une lettre, quelquefois sous une couronne, qui était probablement l'initiale du prénom de son propriétaire ; par exemple, R pour Richard, Roger ou Robert. Ces bagues étaient couramment en argent et en bronze, plus rarement en or ; elles furent populaires au XVe siècle et au début du XVIe siècle.
Autres sources à explorer sur Google livres :
- Le prix des bijoux : 1986-1987-1988 / Françoise Cailles, Jean-Norbert Salit, 1989
- Le petit roman des bijoux / Claudette Joannis, 2011
Bonne journée