Existe-t-il des études expliquant l'écart entre les volontés collectives et individuelles ?
Question d'origine :
Bonjour,
Existe-t-il des études (en psychologie ou en sociologie) qui chercheraient à mesurer ou expliquer l'écart entre les volontés collectives et les volontés individuelles ?
Par exemple : beaucoup de gens sont favorables au développement des transports en commun et des déplacements doux (souhait pour le collectif) mais un nombre plus restreint est prêt à abandonner sa voiture pour ces modes de déplacement (souhait individuel).
Il en est de même pour le développement des services et le paiement des impôts, défendre le pays et aller faire la guerre, ou tout autre choix politique...
Est-ce que ces contradictions ont été étudiées par des chercheurs ?
Merci pour vos renseignements !
Réponse du Guichet
Ces contradictions ont en effet été étudiées et portent le nom d'effet Nimby, acronyme de l'expression anglaise « Not In My BackYard ». Elle illustre le paradoxe entre les discours généreux et l'égoïsme individuel.
Bonjour,
En 1911, Frédéric Paulhan écrit :
Une large contradiction soulève l’humanité contre elle-même, et j’y vois la raison d’être de toute notre morale. C’est l’opposition que crée visiblement en chacun de nous la dualité de l’homme, animal social, et de l’homme, individu égoïste. Notre vie entière, nos sentiments, nos idées, notre conduite font saillir continuellement cette discorde, révèlent cette incohérence, cette scission de notre moi. C’est d’elle que sort toute notre vie morale, avec ses joies et ses remords. Elle est la cause non point unique, mais prépondérante sans doute, de nos luttes intérieures et de nos hésitations. Elle produit les plus fortes, les plus vives, les plus dramatiques et les plus angoissantes. Partout elle agit, non seulement sur notre vie personnelle, mais sur la naissance, le développement, l’expression de nos idées sur le monde et de nos conceptions politiques et sociales. L’individualisme, l’anarchisme, le collectivisme sont là pour en témoigner, ainsi que bien des tentatives diverses de synthèse et de conciliation entre différentes doctrines.
La lutte du moi individuel et du moi social fut bien souvent remarquée. Comment ne l’eût-elle pas été ? Je crains qu’on n’en ait pas assez reconnu l’importance.
Les études que vous recherchez portent sur l’effet «Not in my backyard» aussi appelé Nimby, qui a été étudié en psychologie sociale, par exemple dans cet article :
Le phénomène Nimby de Denise Jodelet, publié dans L'Environnement, question sociale (2001), pages 91 à 97, document que vous trouverez très partiellement en ligne. En voici un court extrait :
Au cours des dernières décennies, on a souvent constaté des mouvements d’opposition, individuels ou collectifs, à la réalisation d’ouvrages présentant un intérêt public. On a regroupé ces attitudes sous le terme de « phénomène Nimby », acronyme de l’expression anglaise « Not In My Backyard », qu’on traduit en français par « Pas de ça dans mon jardin ! », ou « Pas de ça chez moi ! ». Ce terme rendrait compte d’une réaction courante qui amène à rejeter l’installation de ces ouvrages près de chez soi, même si, sur le plan des principes, on est d’accord sur leur utilité. Les réponses « Nimby » s’appliquent à une grande variété d’installations d’intérêt général, qu’il s’agisse d’équipements collectifs (infrastructures de transport routier et ferroviaire, réseaux d’approvisionnement en énergie, comme les barrages, les ouvrages de transport d’électricité) ou d’ouvrages nécessaires à la gestion de l’environnement, notamment les sites de traitement et d’enfouissement des déchets.
Un article de Libération donne quelques exemples supplémentaires :
Tout le monde veut une ligne TGV pour désenclaver sa région, mais personne ne la souhaite à portée d'oreille ou de vue. Tout le monde désire voir l'emploi local se développer, mais les usines sont jugées polluantes. Tous se plaignent de la surfréquentation des aéroports, mais personne n'entend pâtir d'une nouvelle nuisance sonore. Idem pour les élevages porcins, les décharges d'ordures, les hangars pour détruire les farines animales, les centrales nucléaires...
Dans le sillage de ces préoccupations, le phénomène Nimby a gagné de nouveaux acronymes comme le Lulu pour local unwanted land uses («utilisation foncière localement indésirable»), le Banana (build absolutely nothing anywhere near anyone, c'est-à-dire «ne rien construire nulle part près de quiconque») ou le Noos (not on our street, «pas dans notre rue»)... Peu importent les termes, ils renvoient dans tous les cas à une réaction (au sens propre) locale. Comme l'indiquait le sociologue Gérard Mermet dans Libération d'hier : «Au quotidien, il y a un certain repli sur le microsocial, le local, face à la globalisation : on voit se développer ce que j'appelle le "petisme", des gens se replient sur leur sphère domestique et personnelle.»
source : La France cède au syndrome Nimby / Nicole PENICAUT et Pascal VIROT - Libération - 26/12/2002
Lire aussi : Nature humaine : un autre regard sur l'écologie : l'écologie, l'individuel et le collectif
et cet article en anglais : Psychological parameters to understand and manage the NIMBY effect (Paramètres psychosociaux pour la compréhension et la gestion de l’effet NIMBY)
Voir aussi les notions de «distance psychologique» et d’«acceptabilité», qui recouvrent des mécanismes proches, notamment sur les questions de lutte contre le changement climatique.
Les termes sont définis dans Psychologie environnementale : 100 notions clés publié sous la direction de Dorothée Marchand, Enric Pol, Karine Weiss. Vous y retrouverez aussi une définition du Nimby.
La notion de distance psychologique est au centre de la thèse en cours de Camille Langlois « Vite, ça chauffe : faut-il réduire la distance psychologique au changement climatique pour favoriser les écogestes ? », qui a écrit un chapitre de l’ouvrage Anticipation psychologique et représentations de l’avenir.
Elle est également abordée dans la thèse de Pauline Van Laere : Une approche psychosociale de la protection de l’environnement, disponible en ligne.
Vous pourrez aussi effectuer quelques recherches sur les notions d'opinion, d'attitude et de comportement que l'on retrouve traitées dans Sociologie des opinions [Livre] / Claude Dargent (chapitre 8).
Lire aussi : Attitudes et représentations sociales / Alessandro Bergamaschi, Revue européenne des sciences sociales, 49-2 | 2011, 93-122.
et le livre Psychologie sociale / Vincent Yzerbyt et Olivier Klein.
Enfin, vous l'avez souligné dans votre question : l’intérêt collectif n’est pas l’addition des désirs individuels. Voici pour aller plus loin quelques éléments bibliographiques sur les relations entre individus et lien social :
- Individualisme et lien social / Maxicours
- Individualisme et lien social paradoxe ou opportunité pour des imaginations nouvelles ? / Danièle Peto
- L'antinomie individu/société dans les sciences humaines et sociales / Marc Joly,Revue européenne des sciences sociales, 52-1|2014, 193-223.
- Individu et société : le lien social en question ? / B. Ennuyer
Terminons par cette maxime à méditer : Le bonheur vous appartient quand ce que vous pensez, ce que vous dites et ce que vous faites sont en harmonie.
Bonne journée.
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