Comment s'appelle la cérémonie au cours de laquelle un dissident au régime énonce ses tords ?
Question d'origine :
Bonjour,
Comment s'appelle la "cérémonie" au cours de laquelle un "dissident" au régime ou au parti (dans les régimes communistes) va devoir énoncer en public ses tords, ses erreurs afin d'être "réintégré" par le groupe ?
J'ai en tête les termes "comités de sécurité" ou "comité de salut public"...
quel est le déroulement connu de cette "séance de mea culpa" public. Que vise-t-elle ? l'humiliation est-elle une des dimensions d'existence de cette pratique ?
Merci ;)
Réponse du Guichet
C'est l'autocritique qui était pratiquée sous les régimes communistes. Cet exercice, également considéré comme une forme de travail sur soi, servant "à s’éduquer et à purger mutuellement ses fautes", "à entraîner et à façonner les comportements du futur cadre", a été institué à des fins de contrôle. La pratique est cependant devenue meurtrière.
Bonjour,
La séance publique au cours de laquelle des membres du parti énoncent leurs tords et leurs erreurs est une séance d'autocritique et de critique publique.
Fin 1923, Trotski écrivait : « Nous ne serions que des impuissants si nous renoncions à l’auto-critique de crainte de fournir par là un atout à nos ennemis. Les avantages d’une auto-critique salutaire sont incomparablement supérieurs au tort qui peut résulter pour nous ».
Les purges de Moscou, dans la seconde moitié des années 1930, en sont un exemple célèbre : les condamnés devaient faire leur autocritique publique, en avouant toutes sortes de crimes et en s'accusant d'avoir voulu nuire à l'URSS ou au Parti, ce qui ne les empêchait pas d'être pour la plupart condamnés à mort.
L'autocritique était très répandue en Chine pendant la Révolution culturelle.
L'auto-critique se disait en Union soviétique samokritika, en République populaire de Pologne samokrytyka. En Chine, on parle de jiǎntǎo (检讨).
Source : Autocritique, WikiRouge
Selon Alexandra Vinogradova dans Renier son credo quia absurdum : Autocritique (1959) d’Edgar Morin, "de l’idée à la réalisation, l’autocritique est devenue forcée, elle s’est transformée en un mode de contrôle politique". Elle était aussi réalisée par écrit :
L’autocritique a été imposée par les partis communistes à leurs militants ou à leurs cadres dirigeants sous forme de questionnaires autobiographiques, d’auto-narration ou de discours. Cet exercice de confession publique servait d’outil de contrôle et était censé fournir aux membres du Parti un modèle biographique qui permettait en retour de repérer les déviations ou les apostasies à condamner.
Dans son article, 6. Parler de soi au parti : L’autocritique dans les milieux du Komintern en urss durant les années trente In : Parler de soi sous Staline : La construction identitaire dans le communisme des années trente. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2002, Berthold UNFRIED confirme cela et décrit le déroulement d'une telle assemblée :
Chacun devait se présenter de manière autocritique au cours de réunions du parti, organisées au niveau de la cellule (jachejka) sur le lieu de travail. Ces séances ont alimenté d’épaisses liasses de procès-verbaux dactylographiés, retranscrivant le plus souvent des interrogatoires pendant lesquels les accusés exposent eux-mêmes leurs fautes et où les aveux prennent la forme d’autocritiques. Certaines de ces « autocritiques » étaient aussi soumises par écrit au comité de parti (partkom) et servaient de point de départ à la discussion. L’autoprésentation sous la forme de "d’autobiographie" de parti pouvait également prendre le caractère d’une évaluation autocritique du curriculum vitae destiné au parti. Chaque membre était tenu de rédiger ce type de cv, exposant sa vie et sa carrière politique tout en énumérant et en analysant ses fautes.
Le déroulement de ces assemblées de cellule est clairement lisible dans les documents relatifs à la chistka de 1933. Chacune se passe en soirée et donne lieu à l’« épuration » de quatre à dix militants. Celui qui est soumis à la chistka monte sur un podium placé entre la commission qui préside la réunion et le public. Il présente son autobiographie qui mentionne obligatoirement ses fautes et ses faiblesses. Il s’expose ensuite à la discussion où on l’interroge sur ses activités idéologiques et sur sa vie « privée ». En outre, la commission le questionne sur son attitude et son instruction politiques (politproverka). Dans les cellules du pc/b auprès du Komintern, les membres étrangers et soviétiques, le personnel technique et les fonctionnaires se retrouvaient tous ensemble. Pour les derniers, la politproverka s’apparentait à une prise de position par rapport à la ligne politique générale et aux déviations patentes ; pour le personnel technique, elle se limitait à une vérification de connaissances factuelles : qu’a dit Staline lors du XIVe congrès ?, qu’est-ce qu’un koulak ? quelle est la tactique actuelle de la lutte des classes ? quelle est la nature du trotskisme ?
Après autoprésentation et examen du candidat, son cas était discuté publiquement par le collectif. Ensuite, la commission d’épuration élaborait sa décision à huis clos. Le résultat s’exprimait sous forme de catégorisation : x est un bon camarade qui devrait cependant améliorer son travail dans le secteur y ; Z est un élément dégénéré, etc. En bref, ceux qui avaient été soumis à cette épreuve étaient classés comme dignes ou indignes d’être membre du parti. Ceux qui étaient considérés comme capables d’être réformés recevaient des admonestations et des pénitences, le plus souvent sous la forme de « travail social » à accomplir dans des comités d’usine ou des cercles du parti. Parfois, le collectif était exhorté à « porter assistance » à certains camarades.
La plupart des « éléments indignes » de rester dans le parti n’étaient pas des opposants politiques mais, bien plutôt, des membres passifs, des buveurs, des bagarreurs, des indisciplinés ou tout autre type de personnes se faisant remarquer par une mauvaise conduite sociale.
L'article continue en précisant les objets de l'autocritique :
Les objets privilégiés de l’autocritique, telle qu’elle se déploie lors de ce type de réunions, ne concernent pas la politique dans un sens étroit du terme, même si on en parle souvent. En réalité, la majorité des sujets relève du social ou de la vie quotidienne. Le « comportement non-communiste à l’égard des femmes » était [...] un thème récurrent durant les réunions de parti. Ces assemblées revêtaient alors un caractère de procès, à l’occasion duquel toutes les sphères de la vie étaient traitées. Ainsi, la (quatrième) épouse d’un communiste allemand dépose au partkom une plainte contre son mari qui l’a quittée. L’homme avait déjà reçu un avertissement pour polygamie et « comportement frivole ». Dans son autocritique, il dénonce l’« attitude petite-bourgeoise » qu’il adopte dans sa vie familiale. L’enquêteur du parti (partsledovatel’) confirme qu’il s’agit bien d’un « comportement négatif et petit-bourgeois envers les femmes » ; l’accusé reçoit une sévère réprimande et se fait congédier du poste qu’il occupait dans l’appareil du Komintern.
Femmes battues, polygamie, abandon de jeunes filles enceintes – l’espace privé éclate dans la sphère publique du parti [...]. Un élève autrichien de l’École léniniste fait ainsi la connaissance d’une Russe, lui écrit et la fait venir dans l’établissement. Il a certes essayé de cacher cette relation qui constitue une infraction sévère aux règles de la « conspirativité ». Mais il est découvert et son cas est examiné. On estime alors qu’il a une « attitude frivole » envers le sexe opposé. « Il a déjà fréquenté une jeune fille – cela a été toléré. Après, une autre. Il s’en est aussi séparé, bien qu’il ait obtenu une permission pour elle. Maintenant, c’est sa troisième. Cela fait mauvaise impression... Était-il correct de soulever cette question ? » L’interrogation de l’instructeur russe chargé d’examiner la chose est ici toute rhétorique et pointant le collectif autrichien y répond unanimement par la négative. Il estime que de telles affaires se traitent dans une réunion de parti.
Il n’y a pas de sphère strictement « privée » dans le parti. La vie elle-même lui appartient. Une tentative de suicide peut devenir thème d’autocritique (Becher 1992 :236). Mais c’est rare. Les « déviations » de la vie quotidienne et politique dominent.
Dans son article Alexandra Vinogradova parle de l'autocritique sous Staline, comme d'une discipline de fer qui "s’est développée dans tous les domaines de la vie quotidienne en URSS. Même les slogans inscrits sur les assiettes des cantines soviétiques et les affiches de propagande ont visé à susciter l’autocritique chez les peuples soviétiques."
On peut vite déduire de ces déviations mêlant vie publique et vie privée, qu'elles pouvaient être humiliantes même si l’autocritique qui servait "à entraîner et à façonner les comportements du futur cadre", était aussi considérée comme étant l'occasion d'un travail sur soi :
L’autocritique, conçue comme forme de communication à l’intérieur du parti, était une pratique courante dans les écoles des cadres du Komintern. A l’École léniniste et à l’Université de l’Occident (KUNMZ), elle était une méthode d’enseignement que les élèves se devaient d’assimiler. Ils se familiarisaient avec un mode d’autoprésentation, désigné par les termes d’« autoévaluation » ou « autorapport » (samootchet), soit une évaluation autocritique de leurs prestations scolaires, de leur activité sociale et de leur comportement politique.
Dans ces établissements, on considérait l’autocritique comme la forme essentielle du travail sur soi. Selon un membre du Bureau, les réunions de parti servaient à s’éduquer et à purger mutuellement ses fautes. A l’intérieur de chaque cadre immature se tapit encore un petit-bourgeois qui inspire de « mauvaises pensées », pousse à l’expression de concepts incorrects et provoque une attitude idoine. Ce petit-bourgeois ne peut s’extirper qu’à l’aide des camarades et de l’autocritique. Être membre du parti ne signifie pas qu’on est déjà devenu un bon bolchevique. « Il est indispensable de travailler sur soi à l’aide de l’autocritique, dit le partorg du secteur allemand à la KUNMZ ; dans les pays capitalistes nous étions assujettis aux influences de la bourgeoisie et de leurs partis. Il est nécessaire de liquider cette influence. »
Dans leur régularité, ces différentes recensions de soi, intervenant lors des réunions de parti consacrées à l’examen de thèmes ou de « cas » particuliers, permettaient aux étudiants de s’exercer à un maniement correct de la méthode autocritique. L’assimilation de cette pratique ainsi que l’apprentissage de la prise de position ou de résolution se faisaient alors par appropriation des mots, des phrases et de la nomenclature propres au discours de parti. De telles séances servaient à entraîner et à façonner les comportements du futur cadre.
[...]
L’autocritique, est donc une méthode pour corriger des erreurs et démasquer l’ennemi. Lors de l’autocritique, le cadre « tourne son visage vers le parti », nu et sans masque. Il critique ses propres fautes « sans ménagement », ce qui permet aux camarades de les rectifier à travers une critique « camaradiale et bolchevique ». Celui qui cache ses erreurs, ne permet pas qu’elles soient corrigées, il se fige dans sa méprise. Il faut s’ouvrir aux camarades, au parti, en exposant ses égarements avant qu’ils ne soient découverts par eux.
C'est au milieu des années trente que ces séances deviennent meurtrières :
A partir du milieu des années trente, les campagnes régulières d’épuration furent remplacées par des réunions sur le « cas » (delo) d’un camarade contre qui des accusations et/ou des soupçons avaient déjà été retenus. En fait, il s’agit là de véritables procès qui avaient certes toujours existé, mais qui, dès lors, supplantent définitivement les purges. C’est dans ce cadre spécifique que la pratique de la critique et de l’autocritique prend un tournant meurtrier.
L’autobiographie « autocritique » que l’accusé livrait au début de la procédure était suivie de questions émanant du public. Cette opération débouchait obligatoirement sur une confession qui, jusqu’aux alentours de 1935, révèle un certain mode de vie et certaines formes de pensée. Mais, plus on s’approche de la Grande Terreur, plus les autocritiques deviennent fiévreuses et fantasmagoriques. On y retrouve des images de l’ennemi, visiblement promulguées d’en haut. Néanmoins, ces élucubrations contiennent des éléments de réalité : les classiques manquements quotidiens aux règles de comportement, les récriminations contre la dureté des conditions de vie. Tout est désormais retraduit dans une langue aux obsessions obsidionales, tout est susceptible d’être interprété « politiquement » : la gifle qu’un élève autrichien de l’École léniniste donne à un camarade trahirait ainsi un « sentiment caché de méfiance par rapport au parti », une « incompréhension du rôle du parti, de la critique et de l’autocritique bolcheviques » et une « surévaluation de sa personne » (McLoughlin, Schafranek et Szevera 1997 : 461).
En Chine, sous le régime de Mao Zedong et jusqu'en 1978, la séance d'autocritique est nommée séance de lutte. L'article de Wikipédia explique que
L'objectif était de réformer la pensée ou d'humilier. Le terme séance de lutte ou de dénonciation est aussi utilisé.
La victime devait y avouer ses fautes (prétendues ou avérées) devant d'autres prisonniers qui l'accusaient, l'insultaient et la frappaient. La famille, parents et enfants, les amis pouvaient être obligés d'y participer en critiquant la victime. Cette torture pouvait durer des semaines et conduire au suicide.
En 2013, un article de RFI, Mao revient en Chine : les séances d'autocritique font rire les internautes, annonce leur retour, ce qui "suscite[nt] à la fois de l’inquiétude et des rires de la part des internautes" :
Le secrétaire général du parti communiste chinois, Xi Jinping parle aux cadres. L’heure est grave : «Je ne suis pas venu entendre des fadaises, prévient le chef de l’Etat. Je veux de vrais critiques et autocritiques.» On voit ensuite, un par un, les responsables du PC de la province confesser leurs fautes, face caméra. Le ministre de la province du Hebei par exemple, Ai Wenli, avoue qu’ils ne se sont pas ennuyés lors du gala du Nouvel an chinois 2012, qui a coûté près de 3 millions 500 000 yuans, soit plus de 400 000 euros pris dans les caisses du parti et du gouvernement local.
Internet a vite réagi
Ces séances d’autocritique suscitent à la fois de l’inquiétude et des rires de la part des internautes. Il y a ceux qui s’inquiètent d'une pratique mise en place il y a un demi-siècle et qui est donc considéré comme un retour aux années Mao et à la révolution culturelle. «Cela touche les corps et les âmes, c’est insupportable», estime notamment l’écrivain Murong Xue Cun (sous le pseudo « Murong Yicun »). Et puis il y a surtout ceux qui se moquent de ce qui est qualifié de «farce» et de ces auto-contritions jugées peu sincères. Il y a par exemple ce dessin qui a circulé sur les réseaux sociaux montrant un cadre du parti le pantalon baissé et se plantant une seringue marquée «autocritique» dans le postérieur, sous entendu la piqûre n’est pas douloureuse.
En vous rendant à la bibliothèque de Lyon vous pourriez lire le témoignage de Matei Gall, «Une autocritique approfondie», Les Temps Modernes, vol. 618, no. 2, 2002, pp. 164-186 publié sur Cairn et en consultation gratuite en bibliothèque uniquement.
Pour aller plus loin sur cette question vous pourriez également vous intéresser à :
- L'unité d'un homme d'Edgar Morin qui contient Autocritique (partiellement consultable sur Google livres) du même auteur, membre du Parti communiste français de 1941 à 1951 :
Son appartenance au Parti avait duré dix ans, au cours desquels il avait vu comment l'Appareil pouvait transformer un brave en lâche, un héros en monstre, un martyr en bourreau. Ce livre, publié pour la première fois en 1959, plusieurs fois réédité et augmenté ici d'une nouvelle préface, est le récit sincère d'une aventure spirituelle. Dans ce détournement de l'exercice tristement célèbre de confession publique que le pouvoir soviétique exigeait de ceux dont il entendait se débarrasser, Edgar Morin ne se contente toutefois pas de dénoncer le dévoiement d'une idéologie. Il restitue le communisme dans sa dimension humaine en montrant comment celui-ci a pu tout à la fois porter et trahir les plus grands idéaux. En élucidant le cheminement personnel qui l'avait conduit à se convertir à la grande religion terrestre du XXe siècle, il se délivre à jamais d'une façon de penser, juger, condamner, qui est celle de tous les dogmatismes et de tous les fanatismes. Ce témoignage, qui est celui d'une génération, est aussi une leçon actuelle dans notre époque menacée par de nouveaux obscurantismes.
- Spire, Arnaud. « J'ai chevauché l'Histoire, J'étais au Parti Communiste »,Nouvelles FondationS, vol. 3-4, no. 3-4, 2006, pp. 49-53.
- Devenir un ex : désaffiliation et autocritique dans le monde communiste en France par Aleksandra Vinogradova
- Parler de soi sous Staline: La construction identitaire dans le communisme : [colloque tenu à Paris, Maison des Sciences de l'Homme en octobre 1999] / édité [par] Brigitte Studer, Berthold Unfried et Irène Herrmann, version consultable partiellement sur Google livres
- Nicolas Aude, « Quand dire c'est défaire : repentirs littéraires et autocritiques staliniennes en Union Soviétique », Fabula / Les colloques, Autocensures et reniements,Le négatif de l’écriture. Enquêtes sur le pouvoir de décréer, 2020
- Critique et autocritique - Gaston Monmousseau (1949), syndicaliste, homme politique et écrivain, Les dossiers des Archives d’Indre-et-Loire, avril 2013
Jean Piel - L'autocritique au Parti Communiste
Bonne journée