Qui a écrit quatre vers au crayon sur la tombe de Jean Valjean ?
Question d'origine :
Bonjour,
je voudrais savoir qui a écrit quatre vers au crayon sur la tombe de Jean Valjean à la fin des Misérables. Merci !
Réponse du Guichet

Victor Hugo ne précise pas à qui appartient cette main qui écrit au crayon ces quatre vers ; probablement pour laisser place à la force du message qu'il veut transmettre, celui de l'effacement. Marius, Hugo lui-même, l'effet d'une transmutation profonde ? Nous vous laissons choisir !
Bonjour,
Qui a écrit ce quatrain en guise d'épitaphe ? Victor Hugo ne le précise pas. Il écrit :
" une main y a écrit au crayon ces quatre vers qui sont devenus peu à peu illisibles sous la pluie et la poussière, et qui probablement sont aujourd’hui effacés :
Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange ;
La chose simplement d’elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. »
Victor Hugo, Les Misérables, V, IX, 6. "
A qui appartient cette main ? L'auteur laisse délibérément planer la question. Peut-être cette omission signifie-t-elle que là n'est pas l'important. Le message l'est davantage.
Certains pourront se risquer à avancer quelques hypothèses.
S'agit-il de la main de Marius (comme le propose Pierre Campion) ou de celle de Cosette ? Après tout c'est à eux que Jean Valjean adresse ses dernières volontés avant de mourir :
Mes enfants, vous n’oublierez pas que je suis un pauvre, vous me ferez enterrer dans le premier coin de terre venu sous une pierre pour marquer l’endroit. C’est là ma volonté. Pas de nom sur la pierre. Si Cosette veut venir un peu quelquefois, cela me fera plaisir. Vous aussi, monsieur Pontmercy. Il faut que je vous avoue que je ne vous ai pas toujours aimé; je vous en demande pardon. Maintenant, elle et vous, vous n'êtes qu'un pour moi. Je vous suis très reconnaissant. Je sens que vous rendez Cosette heureuse.
Ou doit-on y voir simplement un hommage de l'auteur à son héros à travers une mise en abyme... ? (source : Les misérables, roman pensif / Myriam Roman, Marie-Christine Bellosta, page 74)
Le volume des misérables paru chez La Pléiade et annoté par Henri Scepi et Dominique Moncond'huy explique :
"La main qui, in fine, grave cette inscription pour mieux la promettre à l'effacement est sans nul doute celle d'un écrivain soucieux de manifester par là l'effet d'une "transmutation profonde", comme l'écrit Victor Brombert. Le destin de Jean Valjean, que sa vie terrestre ne résume pas, accède à un degré de lisibilité supérieure, égal à Dieu ou à l'infini, et qui fait l'économie des signes usuels du langage articulé. Voir V. Brombert, "V. H. : l'auteur effacé ou le moi de l'infini", Poétique, n°52, novembre 1982, p.417-429.
Nous avons parcouru cet article de Victor Brombert qui indique que la thématique de l'effacement est récurrente dans l’œuvre d'Hugo. En voici quelques extraits :
Toute une stratégie de l'effacement se vérifie d'un bout à l'autre de l’œuvre hugolienne. [...] Acteurs, histrions, bouffons même, prêtres du rire, passent sur la scène et disparaissent le grand évanouissement du devenir. Rien de plus significatif que la récurrence, dans le lexique de Hugo, du substantif verbal "le passant". Le narrateur des "Misérables" est un "passant" dans le paysage historique de Waterloo ; Cambronne est un "passant de la dernière heure" au moment où il atteint la grandeur eschyléenne en se servant du plus misérable des mots pour réaffirmer le prestige du verbe ; Jean Valjean apparaît d'abord en tant que "passant" dans la ville de Digne, avant de devenir un "passant" dans la vie de Cosette, et de finir comme passant dans la tombe qui ne porte pas de nom. Il n'est pas jusqu'aux quatre vers anonymes signalant une image de départ (et se terminant par "lorsque le jour s'en va"), qui, crayonnés sur la pierre tombale, ne soient devenus peu à peu illisibles. Effacement de la personnalité, effacement scriptural, qui sont tous deux au service d'une transmutation profonde. [...]
Car l'effacement hugolien est en réalité un élargissement démesuré. Il est affirmation d'un moi évanoui dans le tout, partant tout le contraire d'une poétique de la négativité. Dans une page importante du "Promontorium somnii", Hugo en effet raille ceux qu'il appelle "les visionnaires de la négation", et ceci dans le voisinage immédiat du verbe s'effacer : "Disparaître, s'effacer, se dissoudre, se dissiper, devenir fumée, cendre, ombre, zéro, n'avoir jamais été, quel bonheur ! Quel encouragement à être ! C'est une si douce chose d'espérer Rien. Hugo ironise lourdement, mais c'est qu'il lui en tient à coeur d'affirmer l’immanence de l’œuvre et, au-delà de l’œuvre, celle de l'acte créateur. Il y a chez lui à la fois une poétique de l'effacement et une affirmation de la plénitude.
Peut-être pouvez-vous également demander son avis à la Société des Amis de Victor Hugo ?
Bonne journée.