Existe-t-il des recueils de textes de suicidé.es ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je souhaiterais savoir s'il existe des recueils de textes écrits par des personnes juste avant leur suicide.
Merci par avance pour votre réponse.
Réponse du Guichet
L'ouvrage Lettres de suicide de Simon Critchley devrait correspondre à vos attentes. On trouve également des travaux de psychologie et de sociologie s'appuyant sur les lettres de suicidé-es, ainsi que des oeuvres d'écrivains sur le sujet.
Bonjour,
Nous possédons un ouvrage consacré aux lettres de suicidé.es célèbres : Lettres de suicide de Simon Critchley, traduit de l'anglais par Georges Barrère. Voici ce qu'en dit l'éditeur :
Le suicide a été vanté dans l'Antiquité gréco-latine comme un geste d'honneur (mieux vaut une mort digne qu'une vie infâme) avant d'être condamné par les religions ou d'être vu comme une pathologie par la psychiatrie. Simon Critchley parcourt sans jugement les histoires de suicides, de Sénèque à Kurt Cobain, et démonte les arguments moraux et théologiques selon lesquels un individu n'a pas le droit de disposer de sa vie. Mais inversement il critique l'individualisme qui prétend que chacun est l'exclusif propriétaire de soi-même. C'est en examinant les lettres d'adieu laissées par les suicidés que Critchley accède au plus près du suicide. La manière de se tuer, les lieux choisis, les mots et les symboles qui accompagne le geste meurtrier ont une importance essentielle. La façon de mourir donne un sens à la vie passée, ce qui effraie et fascine les survivants. Car l'horreur du suicide se tient dans cette question qu'il pose à tous : la vie vaut-elle la peine d'être vécue ? [source éditeur]
Si nous n'avons pas trouvé d'autre ouvrage francophone se présentant exclusivement comme un recueil de textes de suicidé.es, il existe d'autres pistes : des écrivains de renom ont documenté leur propre geste, des psychologues et sociologues, notamment québecois, ont utilisé les lettres de suicide comme source.
On peut penser au roman Suicide, du photographe et écrivain Edouard Levé, posté à son éditeur quelques jours avant que l'auteur mette fin à ses jours :
Une évocation de la mort par suicide d'un ami de l'écrivain, il y a vingt ans. E. Levé interroge les circonstances, les hypothèses et imagine non pas tant ce qui a conduit son ami à cette extrémité que ce qui a entouré cette décision. Il s'emploie ainsi à décrire avec minutie les faits et gestes de son ami. Quelques jours après avoir remis ce texte à son éditeur, E. Levé s'est suicidé.
Dans un ordre d'idées semblables, on peut citer Porter la main sur soi : traité du suicide de Jean Améry, traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart. L'auteur, ancien déporté, l'a publié en 1976, deux ans avant son suicide. En voici une évocation sur le site canadien agora.qc.ca :
Améry ne regarde pas « la mort volontaire de l’extérieur, dans l’optique du monde des vivants ou des survivants, mais depuis le for intérieur [des] suicidaires ou suicidants » (p. 11-12). Il se rend compte que « toute recherche sur le suicide, qu’elle soit psychologique ou sociologique, parle au nom de la société […] au lieu de chercher le suicide au seul endroit où on peut le trouver : à l’intérieur de son système propre et inaliénable » (p. 109). C’est pourquoi Améry choisit son point de vue particulier pour regarder le phénomène : « l’espace et [le] logis du vécu immédiat », où l’inclination à la mort est perçue « comme une donnée immédiate de la conscience » (p. 86). Cette œuvre phénoménologique est foisonnante de raisonnements subtils qui se construisent et se déconstruisent au gré du jeu d’un esprit qui pénètre, « avec l’œil de l’oiseau de nuit », la densité opaque de la mort volontaire.
On citera également Adieu, la vie : étude des derniers messages laissés par des suicidés, publié en 1990 sous la direction d'Eric Volant et désormais épuisé mais dont vous pourrez lire des passages sur Google livres.
Il existe également des travaux de psychologie sur le suicide s'appuyant sur les lettres des auteur.es du geste fatal. On citera "« Croyez surtout pas que j’ai perdu la tête » : quand les lettres d’adieu de suicidés québécois défient les verdicts du coroner" l'article de Jean-François Cauchie, Patrice Corriveau et Bryan Hamel paru en 2017 dans le tome 29 de la revue Frontières, "Les jeunes et la mort" et consultable sur erudit.org. En voici le résumé :
Selon l’OMS, 90 % des suicides sont liés à des problèmes de santé mentale. Or associer le suicide à une altération de l’esprit ne va pas de soi. Au Québec, il est par exemple historiquement aisé de montrer qu’un tel couplage dépasse largement des considérations d’ordre psychiatrique. Sans prendre position davantage dans ce débat, notre analyse de lettres d’adieu part néanmoins du principe que dès lors qu’il y a mise en mots du geste suicidaire, il y a, à travers ce récit, interpellation d’un futur dans lequel l’auteur entend rester acteur de sa vie comme de ce qui la suit. La majorité des lettres de notre corpus rend d’ailleurs explicitement compte des raisons de la mort à venir. Pourtant, dans 91 % des dossiers, le coroner conclut au geste d’un fou. Y compris quand le suicidé précise ne pas l’être.
Le corps de l'article cite abondamment des dernières lettres.
Vous intéressera également l'article de Jean‑Louis Pan Ké Shon, "Suicides en situation d’enfermement au début du XXIe siècle - Approche compréhensive à partir de la dernière lettre des suicidés en prison", Sociologie, 2013, mis en ligne par ResearchGate.
Enfin, peut-être trouverez-vous également des témoignages de suicidé.es dans l'ouvrage de référence Histoire du suicide : la société occidentale face à la mort volontaire de Georges Minois, présent à notre catalogue.
Bonne journée.