Faut-il marquer les coins en tenue de Franc Maçon quand nous déambulons en loge au R∴ F∴ ?
Question d'origine :
j'aimerais savoir si en tenue de Franc Maçon au rite français si il faut marquer les coins quand nous déambulons en loge
Réponse du Guichet
Il ne semble pas exister de règles précises instituant ce rituel. Si cette pratique existe dans certaines loges, elle ne semble relever ni d’une obligation, ni même d’une tradition avérée.
Bonjour,
Petit rappel de vocabulaire à l’intention du néophyte :
«Le Rite français, ou Rite français moderne, ou encore Rite moderne est un rite maçonnique constitué et codifié par le Grand Orient de France en 1783-1786».
Voir l’article Rite français sur Wikipedia.
«Une loge maçonnique est le nom donné à l'association civile —parfois qualifié de confrérie civile— que forme un petit groupe de membres de la franc-maçonnerie au niveau local.»
Voir l’article Loge maçonnique sur Wikipedia
Une tenue est une «séance de travail maçonnique se déroulant suivant un rituel». (La franc-maçonnerie pour les nuls en 50 notions-clés, Philippe Benhamou).
Pendant ces tenues, il arrive que les participants (les frères (FF∴)) déambulent, ce qui est aussi nommé la circumambulation, «en étroite liaison avec le symbolisme solaire» (Question Soleil, Guichet du savoir).
Enfin, pour ce qui est de «marquer les coins», aussi énoncé «marquer les angles», il s’agit de figurer un angle droit avec les pieds (en «équerre») aux angles du pavé mosaïque ou du tapis de loge pendant la déambulation (voir figure 20. Circumambulation de l’Apprenti pour la pose de la Pierre Brute sur le Tapis de Loge, p. 185 du Rite français philosophique, du Grand Orient de France).
On ne trouve que peu d’indications sur cette pratique.
Sur les Cahiers bleus de la Grande Loge Indépendante de France, Cahier n°20 p. 3 (Rite écossais d’Ecosse), elle n’est indiquée que pour les cérémonies de réception :
«Les déplacements en loge ouverte, hors cérémonies de réception, où le candidat déambule en marquant les angles pour passer devant les FF., se font sans tourner autour de la loge, sans marquer les angles et sans direction privilégiée.»
Pour le rite français, on n’en trouve pas trace dans Le régulateur du Maçon.
«Au début de l'année 1804, paraît Le Régulateur du maçon. Les rituels de la franc-maçonnerie y sont décrits en détail pour la première fois. La publication non autorisée de ce texte, dont la teneur est très fidèle aux rituels des années 1740-1760, provoque de très vives réactions. Ironie de l'Histoire, il est devenu « le » rituel de référence pour les francs-maçons pratiquant le Rite Français après avoir été redécouvert dans les années 1930 par Arthur Groussier, Grand Maître du Grand Orient.» (Historia, janvier-février 2005)
Dans les nombreux volumes sur Le rite français publiés par Hervé Vigier, seul le tome III, La lettre et l’esprit de la synthèse des grades symboliques, en fait mention p. 80.
«Déplacements en Loge : Les Frères ne se déplacent pas, excepté les FF∴ Experts, dont font partis les FF∴ Couvreur et Préparateur, sans être accompagnés (précédés) du 1er ou du 2e Maître des cérémonies qui doit notamment aller chercher tous les visiteurs à la porte de la Loge. Certaines Loges ont l’habitude d’effectuer ces déplacements à l’ordre, toujours dans le sens solaire, sans jamais marquer les angles. D’autres ont fait le choix d’un libre déplacement, sans se mettre à l’ordre. Il y a toujours eu des différences, qui tenaient souvent à la taille et à la disposition des locaux utilisés. En dehors des moments où la cérémonie prévoit un déroulement précis et symboliquement marquant, toute latitude doit être laissée à ceux qui ont la charge du déroulement harmonieux des travaux.»
Dans Des us et des coutumes du travail en Loge, Grand Orient de France p. 11, on peut lire :
«La déambulation dans le Temple est dextrogyre (dans le sens des aiguilles d‘une montre) de telle façon que le Frère qui se déplace ait toujours à sa droite le Pavé Mosaïque ou le Tableau de Loge. On doit marquer les quatre coins du Pavé Mosaïque seulement quand les Travaux sont ouverts. Il convient d’éviter un cérémonial par trop militaire en claquant des talons par exemple. Le bon sens doit prévaloir.»
C’est dans le blog de Roger Dachez, que l’on trouve plus amples explications :
«Faut-il "marquer les angles" ? :
Une origine anglaise
Cette question est souvent posée car cette pratique, qui consiste à faire un léger arrêt pour former avec les pieds un angle droit lorsqu’on déambule autour de la loge, reçoit souvent des interprétations à la fois abusives et tout simplement erronées.
Il faut d’abord rappeler un fait très simple : l’usage de « marquer les angles » est d’origine purement anglaise – cela se dit « squaring the lodge » – et fut parfaitement inconnu de la tradition maçonnique française pendant tout le XVIIIème siècle, encore au XIXème et même pendant une bonne partie du XXème siècle…
[…]
Et encore, le squaring n’est-il pas universel ni observé de temps immémorial en Angleterre même : on ne le pratique que pendant les pérambulations du candidat, lors des cérémonies de réception aux trois grades, sous la conduite du Deuxième Diacre au premier grade et du Premier Diacre pour les deux grades suivants. En toute autre circonstance, on se déplace librement dans une loge anglaise, sans marquer les angles ni d’ailleurs respecter un sens de déambulation particulier. Dans la plupart des loges – mais pas dans toutes – l’espace central de la loge est d’ailleurs libre, car il n’y a pas de tableau au sol ni de chandeliers ou de colonnes au milieu de la loge.
[…]
La pratique de marquer les angles n’a en tout cas jamais fait partie des usages maçonniques français, ni dans le Rite Français – le plus ancien dans notre pays, dérivant du système de la première Grande Loge de 1717, introduit en France vers 1725 – ni dans le Rite Écossais Rectifié, très précisément codifié à la fin du XVIIIème siècle avec un grand raffinement rituel, toujours pratiqué de nos jours, et qui l’ignore absolument. On pourrait encore citer d’autres Rites disparus.
Une ancienneté … très récente !
La question se pose alors : quand et pourquoi a-t-ton introduit cet usage en France ? La plupart des textes demeurent muets mais il est assez facile de déduire que, comme beaucoup de pratiques rituelles jugées « très anciennes » dans certains Rites – comme le REAA notamment –, cela ne remonte guère au-delà des années 1950…
[…]
Le fait de marquer les angles, du reste non documenté dans les rituels de cette période, a dû apparaître en même temps, sans aucun doute d’abord à la GLDF, déjà soucieuse de « régularité » et songeant à copier certaines pratiques anglaises jugées plus « traditionnelles » – sur un fond de solide méconnaissance des antécédents historiques de ces pratiques…
Avec la foi des convertis, on est même allé bien plus loin que les Anglais, qui ont pourtant inventé le squaring : on s’est mis à l’utiliser pour tout déplacement en loge, et naturellement en dehors des cérémonies elles-mêmes. On a même vu, par la suite, des loges du GODF, suivant pourtant la tradition purement continentale du Rite Français, se mettre à l’adopter par « rigueur rituélique » !
Trêve de fraternelle ironie : c’est incontestablement un usage qui peut donner une certaine dignité dans les travaux, et c’est pour cela qu’il a été inventé. Il a été introduit originellement pour rappeler au candidat qu’il « trace » la loge par son parcours symbolique lors de sa réception aux différents grades. Si l’on veut en faire un usage constant, pourquoi pas ? Mais à condition de comprendre et de ne pas oublier qu’il s’agit d’une convention récente, que toute la tradition maçonnique française, depuis ses origines, s’en est passée, et qu’en ce domaine tout zèle intempestif risque fort de produire un effet contraire à celui qu’on recherchait…
Pierres vivantes, Blog de Roger Datchez
Cet usage normalement circonscrit aux cérémonies dans toutes les obédiences (voir aussi p. 124 et 175 du Rite français philosophique, déjà cité) et encore parcimonieusement, a donc pu se répandre en Loge «ordinaire». Il s’agit cependant apparemment d’un choix de la loge et non d’une obligation rituelle.
Bonnes lectures !