Existe-t-il des travaux confirmant que Nicolas de Lange s'est opposé au massacre de la St-Barthélémy ?
Question d'origine :
Chers Bibliothécaires du Guichet
La page Wikipedia sur Nicolas de Lange (dont une rue porte le nom à Fourvière) mentionne qu'il fut le seul magistrat de Lyon à s'opposer au massacre de la Saint-Barthélémy en 1572.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Lange
Malgré la présence de références en note de l'article, je n'ai trouvé aucune source réellement fiable pour étayer cette affirmation. A part des pages internet qui se contentent de la répéter sans plus de détail, seuls deux documents en parlent :
- l'Armorial historique cité par l'article de Wikipedia, qui date du XIXè siècle et qui fait seulement mention d'une notice sur Nicolas de Lange rédigée par un certain abbé Pernetti :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54159264/f387.item.
- la notice descriptive d'un manuscrit numérisé de Nicolas de Lange conservé à la BM de Lyon, qui contient exactement la même phrase que l'article de Wikipedia (je ne sais pas qui a copié/collé l'autre) mais sans aucune référence :
https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_06PRV010003174171012.
Est-ce qu'il existe des sources historiques ou des travaux de recherche sérieux qui confirment cette position de Nicolas de Lange face au massacre des Protestants ? Si c'est vrai, je suis très étonnée de ne pas trouver son nom sur le site du Musée protestant.
Merci à vous !
Réponse du Guichet

Le texte à l'origine de cette affirmation pourrait être les Mémoires de l'estat de france sous charles IX (1878), et plus précisément un passage semble-t-il rédigé par un témoin des massacres. L'allusion au lieutenant de sénéchaussée est malheureusement brève et ne laisse pas deviner la mesure de l'engagement de Langes.
Vous avez raison, à première vue (c'est-à-dire en faisant une recherche rapide sur le nom de Lange(s) dans l'ouvrage numérisé sur Gallica), l'Armorial historique - pourtant cité comme source de l'information par Wikipédia - reste muet sur la position du magistrat au cours du massacre de la Saint Barthélémy. Il faudrait peut-être lire ce document plus attentivement, mais nous avons préféré nous orienter sur d'autres sources.
Par chance, nous avons trouvé cette affirmation réitérée par un court compte rendu de la Revue du Lyonnais au sujet de l'ouvrage Mémoires de l'estat de france sous charles IX. Voilà ce qu'on lit :
Les scènes du massacre de la Saint-Barthélémy a Lyon sont décrites assez longuement dans l'ouvrage intitulé : Mémoires de l'Estât de France sous Charles neufième. Meidelbourg, 1576, 1er vol., page 476. Comme cet ouvrage émane d'une plume huguenote et très-exaltée, on ne doit adopter son récit qu'avec beaucoup de réserves ; néanmoins il est curieux et renferme de précieux documents sur l'histoire de Lyon. Comme cela arrive souvent, on se servit du prétexte religieux pour assouvir des vengeances particulières. L'auteur cite un Italien, Alexandre Marsilli, qui fit trancher la tête à un Lucquois, nommé Paul Minutily, pour avoir la récompense promise par la seigneurie de Lucques aux meurtriers des bannis. Le bourreau et les soldats refusèrent de massacrer les prisonniers enfermés dans la maison de l'archevêque. Ce fut Mornieu, le plus inculpé dans cette affaire, qui se chargea de l'exécution.
Le Clou, capitaine des arquebusiers, un Genevois, nommé Merelle, le notaire Dorlin et un nommé Boydon y sont les plus accusés, tandis que l'auteur rappelle la belle conduite du lieutenant de la sénéchaussée de Langes.
Il se trouve que l'ouvrage dont il est question dans cet article (Mémoires de l'Estât de France sous Charles neufième) reprend en fait pratiquement verbatim le témoignage de Jean Ricaud publié par ailleurs sous le titre Discours du massacre de ceux de la religion réformée. Ce dernier ouvrage pourrait donc constituer la source primaire de l'information qui nous occupe.
Ces deux ouvrages sont heureusement disponibles en ligne, en particulier sur Google Books où nous avons pu les consulter:
- Mémoires de l'estat de france sous charles IX (1578 - Volume 1, p.358 de la présente édition)
- Discours du massacre de ceux de la religion réformée(1574 - p.34 et suivantes) (ou dans une version de 1847 en français moderne plus lisible - le récit du massacre commence p. 35)
Le témoignage de Ricaud se fait à charge contre les meneurs qui pousseront les Lyonnais au massacre des protestants réfugiés à la maison de l'archevèque, aux Célestins ou encore aux Cordeliers, plutôt que sur la louange de ceux qui auraient résisté à l'impulsion mortifère de la foule (Langes peut-être?). Mornieu et Le Clou (surnommé par la suite l'« archibourreau »!) sont clairement désignés, ainsi que quelques uns, civils ou soldats, s'étant abandonnés à la barbarie, évoquée au fil d'exemples de ce sanglant week-end. Si la réaction indignée du gouverneur, absent au moment du massacre, est soulignée, il n'est pas absout pour autant (le gouverneur de l'époque est François Mandelot, dont le mandat était jusque-là plutôt tolérant à l'égard des protestants - Revue du Lyonnais » série 5 - n°3 ( 1887 ) » pp.083 ). Le refus des soldats et des bourreaux officiels - galvanisés pourtant par la population - de procéder au massacre semble n'être évoqué que pour montrer à quel point ce massacre est insensé et illégitime.
Ce récit, de première main semble-t-il puisqu'il est attribué à Jean Ricaud, ministre du culte protestant alors présent à Lyon (et dont l'évasion à coup de pots-de-vin versés à la garde est même évoqué - à la troisième personne - dans le texte), ne mentionne pas le lieutenant de sénéchaussée Langes, ou du moins notre lecture pourtant attentive n'en garde aucune trace. Mémoires de l'estat de france sous charles IX reprend pour l'essentiel le récit de Ricaud (cf. p.358 le chapitre Massacres de ceux de Lyon).
Pourtant, en regardant de plus près, les deux textes divergent à partir de la page 40 du Discours (et la page correspondante 359 bis des Mémoires). Les Mémoires (postèrieur aux Discours, rappelons-le) proposent une longue digression historique, puis le récit est ponctué de détails qui n'apparaissent pas dans l'édition antérieure, voire de passages complètement remaniés. On peut également noter quelques bizarreries : le nom d'une victime est spécifiée (Genou) dans les Mémoires alors qu'elle n'est pas nommée dans le Discours, mais apparait pourtant bien dans sa réédition de 1847, sous une autre orthographe (Genon). N'ayant aucune idée de l'histoire de ces textes ni de la façon dont ils ont pu s'influencer, nous nous garderons d'en tirer une conclusion. Ceci étant dit, Le Discours est attribué à Jean Ricaud, présent au moment des faits. Les Mémoires reprennent de larges portions du Discours mais relatent également des anecdotes et apportent des précisions qui ne sont pas dans le Discours. Par exemple, à propos des protestants massacrés aux Célestins, il est mentionné que se trouvait « entre autre un bourgeois nommé Léonard Méraud, la maison duquel aurait été ruinée plusieurs années auparavant à l'occasion d'une prétendue myne de la citadelle bâtie à Lyon. » Le Discours est-il une version abrégée d'un texte repris dans les Mémoires plusieurs années après ?
Et justement l'une de ces précisions du Discours concerne le lieutenant de sénéchaussée Nicolas de Langes. Page 304 bis, on lit :
« [...] le Gouverneur fut de retour de son voyage de la Guillotière, & lui étant rapporté par les gens apostés le massacre fait à l'Archevêché , comme si ç'eut été chose advenue par émotion populaire, et non de son exprès commandement, se transporte avec les officiers de justice, aussi gens de bien que lui (hormis le lieutenant de Langes, lequel n'accorda ce malheureux massacre) sur le lieu où gisaient ces pauvres corps morts, où retenant encore quelque sentiment d'humanité eurent horreur de voir tant de sang humain répandu, tellement qu'il révoqua le commandement peu auparavant fait, d'achever ceux des prisons de Roanne, & pour mieux faire la farce, fut fait par lesdits de la justice procès-verbal contenant que lesdites prisons avaient été brisées par l'émotion populaire, et ce qui s'en était ensuivi. »
Ce passage est radicalement différent de celui qu'on peut lire dans le Discours à ce stade du récit (p. 40), mais le sarcasme que le texte entretient à l'endroit du Gouverneur (« retenant encore quelque sentiment d'humanité ») reste assez dans le ton du Discours (« faisant fort le marri », ...), et on a donc le droit de spéculer que ces précisions pourraient être de la plume de Ricaud.
Il apparait donc en effet que Nicolas de Langes, d'après l'auteur, était opposé au massacre, même si le texte n'évoque rien de plus qu'une opposition de principe. On ne sait pas si le lieutenant s'est activement mobilisé pour l'éviter.
Il faudrait étudier plus en profondeur les différentes versions de ce texte pour comprendre les évolutions ou transformations de certaines informations trouvées, afin de mettre à l'épreuve leur fiabilité.
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