Quelle est l'origine de la symbolique des couleurs noir et blanc ?
Question d'origine :
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre site vraiment formidable !!!!
. J'aimerais en savoir plus sur l'origine de la symbolique des couleurs noire et blanche . Quelle est l'origine de la dépréciation de la couleur noire par rapport à la couleur blanche (avoir des pensées noires par exemple)
La couleur noire est associée fréquemment à quelque chose de négatif , et le blanc à quelque chose de positif .
Pour moi, cette vision est pour moi très subjective et stigmatisante .
Quel était véritablement le dessein de cette symbolique choisie ?
Un désir de supériorité de la couleur de peau claire? ou, une catégorisation sociale imposée , et par qui ?
On sait l'opposition au XIX ème siècle, mais pt-être déjà auparavant ? entre les peaux tannées par le soleil , réservées au Peuple, et la blancheur de la peau à préserver pour l'Aristocratie .
On le voit également dans les codes sociétaux occidentaux (en tout cas en France) dans les tenues vestimentaires : Un cadre ou Elu portera la plupart du temps un haut de couleur claire( souvent écru ou blanc).
Je vous remercie infiniment pour vos recherches pouvant apporter des éléments de réponse .
Bien cordialement
lmpgabriel
Réponse du Guichet
La consultation des ouvrages de Michel Pastoureau vous permettra de comprendre l'usage et la symbolique du noir et du blanc à travers les âges. Vous pourrez ainsi constater des approches et des sensibilités différentes en fonction des périodes.
Bonjour,
Nos deux réponses apportées sur couleur de deuil et Deuil en blanc vous donnent de premières considérations sur l’utilisation du blanc et du noir. Mais c’est surtout du côté de Michel Pastoureau que vous trouverez forts détails sur les codes autour de ces couleurs.
Ainsi dans l’article, "Du bleu au noir : Éthiques et pratiques de la couleur à la fin du Moyen Âge" (Médiévales, n° 14, 1988, pp. 9-21), Michel Pastoureau revient sur l’aspect économique et social de l’utilisation du noir :
"Le bas Moyen Age voit partout se développer la promulgation de textes normatifs et de lois vestimentaires ou somptuaires, spécialement dans les milieux urbains".
Il ajoute que "ces lois, qui sous des formes variées perdureront parfois jusqu’au XVIIIe siècle (ainsi à Venise) ont une triple fonction" : économique, morale, sociale et idéologique et permettent
ainsi d’instaurer une ségrégation pour le vêtement. Ainsi certaines couleurs sont interdites à telle ou telle catégorie sociale … mais pour revenir sur le noir, cette morale économique et sociale de la couleur vestimentaire favorise à grande échelle, dans l’Occident de la fin du XIVe siècle et du XVE siècle, la promotion du noir. Cette couleur, jusque là exclue du vêtement d’apparat – notamment parce qu’on ne sait pas la faire dense et lumineuse – devient une couleur à la mode. Le phénomène semble partir d’Italie dans les années 1350-1360, juste après la peste, et en quelques décennies touche toute l’Europe. Dans les milieux princiers, qui prennent le relais du monde des praticiens, le noir devient au XVe siècle non seulement une couleur en vogue, mais aussi une vraie valeur, un pôle nouveau (ou renouvelé) de la couleur, comme cela s’était produit pour le bleu au XIIIe siècle. Désormais, les teinturiers multiplient les prouesses techniques et chimiques pour fabriquer des noirs intenses et vifs, des noirs à reflets bleus ou bruns très lumineux, des noirs intenses et vifs, des noirs à reflets bleus ou bruns très lumineux (…)
Cette valorisation du noir se prolonge fort avant dans l’époque moderne et exerce ses effets jusque dans nos pratiques vestimentaires les plus contemporaines .. D’une part, en effet, la cour ducale de Bourgogne qui codifie et catalyse toutes les pratiques protocolaires du Moyen Age finissant, transmet à la cour d’Espagne cette mode du noir princier, et par le relais de la fameuse « étiquette espagnole », c’est ce noir qui envahit toutes les cours européennes, du XVIE siècle au début du XIXe siècle. D’autre part, et surtout, l’éthique de la réforme protestante s’empare de bonne heure de ce même noir moralisé par les lois vestimentaires ou somptuaires du XVE siècle, et en fait, jusqu’à l’âge industriel, le pôle essentiel de tous les systèmes de la couleur.
Il revient sur le contexte du protestantisme qui "recommande et met en place des systèmes de la couleur entièrement construits autour d’un axe noir-gris-blanc. Chasse est désormais faite aux autres couleurs" …
Dans l’ouvrage Noir : histoire d'une couleur (2008), Michel Pastoureau étudie le noir et sa symbolique à travers les âges. Il souligne notamment qu’à partir de 1720, le blanc et le noir ne sont plus considérés comme des couleurs et explique qu’entre le XVIIe et le XIXe,
Les lumières ne sont pas seulement celles de l’esprit mais aussi celles de la vie quotidienne. Presque partout reculent les tons bruns, violets ou cramoisis, les nuances foncées et saturées, les contrastes violents en usage au siècle précédent. .. ; La France est pour quelques décennies le pays des couleurs vives et lumineuses, et Paris, la ville la plus débridée et la plus élégante. (.. ; ) cela dure jusqu’à la veille de la Révolution, puis un tournant se produit dans les années 1785-1788, qui voit le retour des couleurs plus sombres, notamment du noir auquel les années suivant-es, celles de la tourmente révolutionnaire, voueront une sorte de culte … on était donc allé trop loin dans le rejet du noir. Après 1760, celui-ci amorce son retour sur la scène artistique et littéraire par le biais de l’exotisme. Les voyages lointains, les découvertes de terres inconnues, les nouveaux horizons du commerce international changent l’échelle des connaissances et des curiosités des Européens…. il faut attendre quelques années encore, lorsque la vague romantique commence à emporter l’Europe artistique et littéraire dans ses sombres chimères et redonne peu à peu au noir la place qui avait été autrefois la sienne …
Nous vous laissons poursuivre la lecture pour en savoir plus et vous invitons à lire La couleur en noir et blanc (15e-18e siècle) [Article] / Michel Pastoureau, 1997.
Par ailleurs, dans « Les 100 mots de la couleur » (2019), Amandine Gallienne rédige une notice sur le noir dans laquelle elle spécifie :
En Occident, le noir devient omniprésent au xve siècle. La Réforme protestante, qui condamnait les couleurs vives et déclarait le noir, le blanc, le gris et le brun comme couleurs honnêtes et respectables, a renforcé cette tendance. C’est ainsi qu’est née une nouvelle élégance, faite d’austérité.
Couleur qui impose le respect, la tempérance, couleur des magistrats, des prêtres et des officiers publics.
Ce n’est qu’au xviie siècle que le noir devient la couleur du deuil.
En Orient, pour décrire les tonalités les plus sombres, on parle de plumes de corbeaux, de dattes, etc. En Inde, au Rajasthan, les yeux des enfants sont maquillés de khôl noir pour les protéger du mal.
245 En Norvège, les maisons de bois de la « vallée du Moyen Âge » sont souvent peintes en noir, un noir tiré de la sève d’un arbre qui protège le bois contre les intempéries.
En outre, France Culture consacre 4 émissions au noir dont la première est consacrée au noir à travers les âges par Michel Pastoureau
Déjà en 2017, Michel Pastoureau était l’invité de France Culture pour aborder Où on apprend que le noir n'est pas le contraire du blanc. Lors de cette émission il expliquait que :
comme toutes les couleurs, le noir est ambivalent : il a ses bons et ses mauvais aspects. En général, on pense d'abord aux mauvais : on associe la couleur à la mort, aux ténèbres, au monde souterrain, au diable, à l'enfer, à la faute, au péché... Alors que c'est aussi la couleur de la tempérance, de l'humilité, de la dignité, de l'autorité, du luxe, de l'élégance ! Chaque couleur a ses bons aspects et ses mauvais aspects, ça s'équilibre assez bien.
Noir : le contraire du blanc ?
Nous avons tendance à faire du noir le contraire du blanc. C'est pertinent, mais ça n'a pas toujours été comme ça : dans l'Antiquité, au Moyen-âge, le vrai contraire du blanc c'est le rouge, ça n'est pas le noir ! Donc l'histoire du noir qui nous est très familière est en fait relativement courte, même en se limitant à l'Occident...
et toujours sur France Culture le blanc une couleur ou pas ? ou De quoi le blanc est-il la couleur ?
Pour revenir sur le blanc, Amandine Gallienne, toujours dans les 100 mots de la couleur mentionne :
Il n’en demeure pas moins que le blanc est une couleur autant que les autres par sa portée symbolique et son histoire. C’est même une couleur absolue chargée des principes les plus fondamentaux : la vie, la mort, la pureté. En Occident, on porte le deuil en blanc jusqu’au xviie siècle. Marie Stuart, reine d’Écosse (1542-1587), est la dernière reine d’Europe à se faire portraiturer en robe blanche de deuil. En signe de pénitence et d’humilité, on portait également des vêtements bruts, non teints. Le blanc a aussi des connotations hygiéniques et morales : il est la couleur du linge de toilette, des draps et de la lingerie, pendant longtemps exclusivement blanche (les couleurs vives et sombres n’ont fait leur apparition que depuis peu). C’est aussi la couleur des anges, emblèmes de pureté et d’innocence.
Dans toute l’Asie, le deuil se porte aujourd’hui en blanc, pour signifier la pureté. Au Japon, il existe six termes pour définir le blanc, en fonction de sa brillance ou de sa matité et de l’énergie qu’il dégage. On y emballe les cadeaux de blanc pour les préserver des impuretés.
En Europe occidentale, c’est seulement à partir duxix esiècle que les mariages sont célébrés en blanc, symbole de la virginité de la mariée. Avant cela, la mariée portait sa plus belle robe rouge.
Au Mali, les Touaregs ont un lien affectif avec le blanc, car c’est la couleur du lait de leurs animaux, leur première source alimentaire.
En Inde, la couleur blanche est celle des prêtres brahmanes, membres de la caste la plus haute, en signe de détachement et de sérénité.Sur les îles grecques, le blanc éclatant des maisons est un précieux point de repère pour les pêcheurs.
Enfin, vous en en saurez plus en consultant, là encore, Blanc : histoire d'une couleur de Michel Pastoureau (2022), actuellement emprunté.