Depuis quand les pianistes et les répétiteurs accompagnent-ils les cours de danse ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis pianiste accompagnatrice pour la danse classique.
Mes recherches restent vaines sur la date précise de la présence des pianistes accompagnateurs .trices pour les cours de danse classique au XIXème siècle, et plus précisément en France .
Dans l'idéal, peut-être même serait-il possible de retrouver le premier, ou première, pianiste accompagnateur -trice , et pour quel cours de danse classique?
Il n'est pas certain du tout que ce soit à l'Opéra de Paris .
Question subsidiaire: A cette époque les répétiteurs pour les ballets étaient -ils également chargés d'accompagner les cours de danse ?
Merci infiniment de votre apport de connaissances sur ce sujet.
Bien cordialement
lmpgabriel
Réponse du Guichet
Bonjour,
Rechercher qui a pu être le premier, ou la première, pianiste accompagnateur-trice pour un cours de danse classique relève de la gageure. Mais lançons-nous…
Un peu d’histoire
Il faut déjà savoir qu’avant l’invention du piano forte en 1709, il existait déjà au 17e siècle différentes façons d’accompagner les ballets de cour, les leçons de danse ou les répétitions : au clavecin ou au violon. C’est l’italien Bartolomeo Cristofori (1655-1731), déplorant le manque de contrôle des musiciens sur le niveau sonore du clavecin, qui aurait remplacé le mécanisme du pincement par un marteau. Ainsi est né le piano moderne ou « clavicembalo col piano e forte » (littéralement, clavecin pouvant jouer piano et forte) à l’aube du 18e siècle.
Soyons précis
Commençons par différencier le musicien accompagnateur d’un cours de danse, du répétiteur, lui-même bien différent du pianiste de formation classique.
Le métier de pianiste accompagnateur de cours de danse, à la fois classique et contemporaine, de spectacles chorégraphiques et de chef de chant attaché à la danse, fait la part belle à l’improvisation. Cela nécessite de maîtriser le répertoire de la danse, de savoir déchiffrer le mouvement en tant que schéma musical. L’analyse de la relation entre la musique et la danse est cruciale pour structurer une improvisation autour d’une proposition corporelle.
« Dans un cours de danse, l’accompagnateur a un rôle moteur. C’est un vrai “challenge” : il faut être prêt à improviser, construire des ambiances, susciter des énergies, réagir très vite si une proposition ne fonctionne pas… Et il faut parvenir à improviser tout en maintenant le tempo et le rythme, sans quoi la danse “tombe” ! L’une des difficultés, pour les débutants, est de lâcher prise quant à leur technique : au départ, c’est la clarté que l’on recherche ; le musicien doit alors apprendre à révéler la beauté de la simplicité. Ce qui ne l’empêchera pas, par la suite, de développer des improvisations extrêmement élaborées… Parallèlement, les accompagnateurs apprennent à apporter un soutien aux danseurs, ce qui implique de comprendre la durée et la qualité de leur phrasé. Quand on improvise pour soutenir le mouvement des danseurs, on sort de soi-même, on est constamment emporté ailleurs. Devenir disponible, ouvert, prêt à retomber sur ses pieds en cas d’événement inattendu… autant de choses impossibles si l’on veut tout maîtriser. Mais cela révèle au musicien un autre aspect de sa musicalité : il explore ses propres choix d’harmonies, d’ambiances ; il peut développer une voie musicale personnelle, différente des horizons qu’on lui propose en tant que musicien classique. Cette aventure apporte énormément aux instrumentistes – quel que soit, d’ailleurs, le choix de carrière qu’ils feront par la suite… »
Citation de Déborah Shannon, accompagnatrice aux cours de danse contemporaine au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (2013)
Le pianiste-répétiteur dans un opéra, un corps de ballet, un chœur d'opéra ou une chorale, est le musicien qui, sous la direction du chef d'orchestre, du chorégraphe ou du chef de chœur, remplace l'orchestre pendant les répétitions de l'œuvre mise au programme. Il doit savoir réaliser et jouer en direct une réduction de la partition d'orchestre (conducteur) et doit maitriser le déchiffrage le plus complexe du solfège. Il accompagne les auditions et les répétitions des artistes interprètes.
«Dans tous les théâtres où la danse est employée, l’un des violonistes de l’orchestre remplit les fonctions de répétiteur de ballet, fonctions qui consistent à jouer la musique des airs sur lesquels les danseurs apprennent et exécutent leurs pas. Tout d’abord, il faut que le maître de ballet, dont c’est le rôle spécial, imagine et règle les pas de chacun des danseurs, aussi bien que les pas d’ensemble. A cet effet, il se fait jouer par le répétiteur chacun des motifs de la musique, les lui faisant recommencer plusieurs fois de suite jusqu’à ce que chacun de ces motifs lui ait inspiré les motifs de la danse. Puis, lorsque chaque pas est réglé, le répétiteur en joue l’air aux danseurs qui sont chargés de l’exécuter, autant de fois qu’ils en ont besoin pour l’apprendre. Et enfin, quand chaque pas est bien su et bien établi, on fait les répétitions d’ensemble de toute la danse, toujours avec le secours de l’indispensable répétiteur»
Source: Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885.
Place à l’enquête
Une fois ce contexte posé, nous avons organisé nos investigations en interrogeant différents fonds d’archives dont le catalogue Philippe Lescat (Catalogue des ouvrages théoriques, manuscrits et imprimés en France entre 1660 et 1800). On voit dans le livre intitulé Des gloires de l'opéra et la musique à Paris, une liste de personnels de l’Opéra de Paris de 1771, mentionnant deux accompagnateurs à la suite du maître de danse : Messieurs Simoneau et Despreaux. Louis-Félix Despreaux (1746-1813) est connu également pour être l’auteur de nombreux traités d’instruments à clavier entre 1783 et 1808.
Étaient-ils les premiers accompagnateurs du 18e siècle au piano ?
On peut citer aussi Léo Delibes (1836-1891) auteur-compositeur d’opéras comiques et de ballets. Il fut recruté au Théâtre-Lyrique comme pianiste accompagnateur un peu plus tard, en 1853. Il occupera plus tard le poste de deuxième chef de chœur à l’Opéra de Paris à partir de 1864.
En France (contrairement à l'Italie), le chorégraphe n’était souvent pas l’acteur principal dans la création d’un ballet : œuvre collective où s’inscrivaient librettiste(s), compositeur(s), décorateurs et interprètes. Il n'en était pas de même pour les ballets italiens, où les chorégraphes Salvatore Vigano (1769 – 1821) ou Luigi Manzoni (1932-...), assuraient toutes les fonctions d'auteur de ballet, chorégraphe, librettiste, décorateur, y compris celle de répétiteurs.
(Source : extraits de Écrire pour la danse : les livrets de ballet de Théophile Gautier à Jean Cocteau (1870-1914) de Hélène Laplace-Claverie (pp.322-323).)
L’histoire du pianiste accompagnateur est peu documentée. Il a même été grandement dénigré vers la fin du XIXe siècle dans l’univers de l’Art lyrique. Selon le site internet de Scena Musicale Online : «le public ne le considérait souvent que comme un mal nécessaire et les solistes, particulièrement les chanteurs, traitaient ces partenaires avec condescendance et dédain». Dans l'article de Lucie Renaud intitulé Le pianiste accompagnateur : héros méconnu?, on peut lire :
« Il faut d'abord réaliser que le métier de pianiste accompagnateur est relativement nouveau dans le domaine de la musique classique. En effet, au départ, les accompagnements étaient plutôt joués sur des instruments à cordes de la famille du luth. À l'époque baroque, le claveciniste devient toutefois essentiel pour la réalisation de la basse continue. Il improvise des accompagnements élaborés, qui doivent demeurer dans les limites harmoniques prescrites par le compositeur…À la fin du XVIIIe siècle, le piano détrône définitivement le clavecin et devient l'instrument de prédilection pour l'accompagnement et la musique de chambre... Fin du XIXe siècle-début XXe, des accompagnateurs de haut calibre ont su redorer le blason de la profession. Parmi ceux-ci, Gerald Moore (1899 –1987) fut une figure de proue (dans le milieu de l’art lyrique)»
Un mémoire de fin d’étude s’est penché aussi sur cette question, mais n‘est hélas non consultable en entier sur internet. Il s’agit de « Les accompagnateurs de ballet à l’Opéra de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle : une réalité basée sur les documents conservés aux Archives nationales et à la Bibliothèque-musée de l’Opéra » par NAGAI Tamamo (Docteur ès Musicologie en 2015 à Université de Paris-Sorbonne). En voici un résumé très bref : c’est au 19e siècle que la direction de l’institution crée un poste d’accompagnateur de ballet qui sera rempli par un violoniste ou un artiste de l’orchestre… Dix instrumentistes à cordes seront en charge d’accompagner le ballet, dont neuf engagés par l’Orchestre de l’Opéra en tant que violoniste ou altiste (par exemple Gustave Collongues (1830-1906), un des altistes de l’orchestre et accompagnateur). Pour ces musiciens, l’accompagnateur de ballet était un emploi secondaire qui n’était autorisé que très rarement par la direction de l’Opéra.
Face à la faiblesse de documentations sur ce sujet, nous nous sommes adressés à la bibliothécaire du CNSMD (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon) qui s’est proposée de la soumettre à Florence POUDRU : historienne, professeur d'histoire de la danse au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Nous ne manquerons pas de publier un complément de réponse à votre question dès que possible.
En conclusion, ne résistons pas au plaisir de citer un autre nom et non des moindres : Erik Satie (1866-1925) que son expérience de pianiste-accompagnateur au cabaret Le Chat Noir a permis de se lier avec Mallarmé, Verlaine, ou Claude Debussy.
A consulter également :
Le ballet de l'Opéra : trois siècles de suprématie depuis Louis XIV / sous la direction de Mathias Auclair et Christophe Ghristi / Albin Michel : Opéra national de Paris : BNF / 2013 [Livre]
Nous espérons vous avoir aidé dans vos recherches et nous vous remercions pour votre confiance.
A bientôt !