Question d'origine :
Bonsoir.
A l'heure où le président Macron vient de rendre un hommage solennel à madame Gisèle Halimi, il se pose un grand débat sur sa "panthéonisation" à cause de ses positions sur la guerre d'Algérie et sa défense de militants du FLN pendant le conflit.
Pourriez-vous nous fournir quelques pistes de réflexion qui nous aideraient à nous forger une opinion éclairée sur le sujet, incluant le contradictoire évidemment ? Je ne pensais pas spécialement à des livres (mais pourquoi pas ?) mais à des articles disponibles en ligne ou des blogs abordant la question.
Cordialement.
Réponse du Guichet

Du rituel au "déversement de passions", la panthéonisation de Gisèle Halimi ne laisse pas indifférent. A travers différents articles de fonds et de la presse quotidienne française, nous vous proposons quelques pistes de réflexion qui nous l'espérons, permettront de vous éclairer et vous forger une opinion.
Bonjour,
La panthéonisation de Gisèle Halimi suscite beaucoup de commentaires. Pour aborder le sujet, il nous semble intéressant de redéfinir les contours de cette cérémonie, d'en comprendre les raisons et les effets.
Dans son article Olympe de Gouges au Panthéon, ou la tribu France et ses femmes, pp. 269-278, publié dans La démocratie "à la française" ou les femmes indésirables, Les Cahiers du CEDREF, Hors-série 2, 1996, Catherine Marand‑Fouquet citant Claude Rivière, explique que la panthéonisation est un rite :
... « le Pouvoir se donne en spectacle. Il entretient son image fascinante et redoutable par des célébrations qui l’auréolent de sacralité. Pour afficher une identité, mobiliser une collectivité, développer un loyalisme, il n’est pas de mouvement politique, de parti, de régime, qui n’ait recours à des rites, chargés de symboles redondants. Plus florissantes dans les terres du césarisme que dans celles des libertés, ces liturgies nationales évoluent au rythme des ferveurs nationales et des désamours 1. »
La panthéonisation est le rite qui, depuis 1791, exprime le mieux le particularisme de la démocratie à la française. Il n’est pas de monument plus symbolique de l’ordre républicain que le Panthéon. Il n’en est pas de plus sacré pour la mémoire nationale.
1. Claude Rivière, Les liturgies politiques, Paris, PUF, 1988
Pour Wanda Mastor,
« La Panthéonisation de Maître Halimi serait un geste symbolique fort, qui dirait aux femmes victimes, aux homosexuel-le-s et aux rescapé-e-s du colonialisme combien ces combats sont importants et combien la France les reconnait comme justes ».29
Cette épidémie des demandes de panthéonisation, même si nous la condamnons pour affaiblir les symboles, ne doit pas nous détourner de son analyse. Car, au fond, elle exprime aussi un malaise : celui de la recherche des icônes, du besoin de phares dans la tempête, comme si le fait de s’accrocher aux morts permettait d’oublier la faiblesse des vivants.
29. Pétition « Gisèle Halimi doit reposer au Panthéon ! », Change.org.
Source : Du traitement des grandeurs posthumes. Réflexions sur la « panthéonisation » / Wanda Mastor, 2021
On peut lire également ce que pense l'artiste Christian Guémy qui s'est invité au Panthéon en 2018, dans « Le street art, ou la mémoire comme empreinte du présent », Revue internationale et stratégique, vol. 125, no. 1, 2022, pp. 7-16 :
Ce qui m’angoisse cependant au sujet du Panthéon, c’est le déversement de passions qu’il suscite aujourd’hui sur ce qu’il doit être ou non. Or il faut comprendre son histoire : l’intérêt pour le Panthéon dans la société française est monté progressivement au cours du XXe siècle. Mais ce n’est pas le Père-Lachaise, et pour qu’il garde son sens, il doit y avoir une sélection, qui s’accompagne évidemment d’une forme d’injustice, déterminée par notre histoire politique et présidentielle. De fait, cette sélection est accidentelle, en quelque sorte, elle est imparfaite par nature, comme notre histoire qu’elle raconte, en particulier notre histoire présidentielle. Alors, chacun imagine son Panthéon idéal, mais il n’existe pas de Panthéon idéal. Et si on laissait faire les Français, il n’y aurait bientôt plus de caveaux disponibles.
Je trouve toutefois cet engouement intéressant dans une période où, justement, l’identité et l’histoire ont pris beaucoup trop de place, c’est-à-dire que parler d’histoire est aujourd’hui devenu une sorte de substitut du projet politique. Les gens parlent d’histoire à défaut de réussir à se projeter. C’est une manière de faire de la politique au présent, parce que l’histoire n’est que de la mémoire, or la mémoire ne parle que du présent. Les gens qui parlent d’histoire ne parlent que du présent, de leurs engagements et de leur positionnement idéologique, mais il y a en réalité un défaut de projection.
À titre personnel, j’aurais bien sûr été très heureux que Giselle Halimi puisse figurer au Panthéon. Emmanuel Macron peut le décider quand il le souhaite et peut-être le fera-t-il. Mais je ne m’en indigne pas, parce que chacun pourrait s’indigner de ne pas trouver untel ou unetelle, et que cela ne parle jamais que de soi. Je m’étais toutefois un peu offusqué de l’absence de résistant communiste parmi les quatre Résistants de la grande panthéonisation collective de François Hollande, car il était clair que c’était la Résistance tout entière qui devait entrer au Panthéon. Je trouvais le différentiel important entre le si grand nombre de résistants communistes pendant la Seconde Guerre mondiale et leur absence actuelle au Panthéon. Ernest Pignon-Ernest s’était notamment exprimé, et d’autres encore. Nous étions ainsi plusieurs à souhaiter voir figurer des résistants communistes comme Missak Manouchian ou Marie-Claude Vaillant-Couturier. Là encore, cela viendra peut-être, mais il faut bien reconnaître qu’il y a une certaine fatalité à la panthéonisation.
D'après Mustapha Harzoune, dans son article «Impasses mémorielles», Hommes & Migrations, vol. 1336, no. 1, 2022, pp. 213-217, où il oppose Joséphine Baker entrée au Panthéon en 2021 et Gisèle Halimi, la panthéonisation de cette dernière " a été écartée, sans doute à cause de ses prises de position contre la colonisation."
Mais afin d'approfondir votre analyse et pour vous faire votre propre opinion sur ce sujet, la lecture de différents articles revenant sur l'Histoire commune de la France et l'Algérie semble indispensable :
- Thibaud, Paul. « L’Algérie et la France », Commentaire, vol. 175, no. 3, 2021, pp. 557-568.
- Stora, Benjamin. « Quelques réflexions sur mon rapport remis en janvier 2021 au Président de la République », Outre-Mers, vol. 414-415, no. 1, 2022, pp. 165-180.
- Moumen, Abderahmen. « Les harkis (1954-2022). Histoire, mémoires et pardon », Outre-Mers, vol. 414-415, no. 1, 2022, pp. 111-128.
Outre ces articles de fond, voici ceux qui ont été publiés ces derniers jours dans la presse française :
Gisèle Halimi, Emmanuel Macron et l'immense colère des femmes, Libération, 5 mars 2023
L’un des fils de Gisèle Halimi ne participera pas à l’hommage national à sa mère, L'Obs, 5 mars 2023
France : polémique autour de l'hommage à Gisèle Halimi, symbole de la lutte pour le droit des femmes, RFI, 8 mars 2023
Hommage à Gisèle Halimi : revivez la Journée internationale des droits des femmes et l’intervention d’Emmanuel Macron, Le Monde, 8 mars 2023
"Instrumentalisation" et "tergiversations" : pourquoi l'hommage national à Gisèle Halimi fait polémique, Midi Libre, 80 mars 2023
Hommage national à Gisèle Halimi : on vous explique la polémique autour de la cérémonie présidée par Emmanuel Macron, France info, 8 mars 2023
Derrière l’hommage à Gisèle Halimi, la protection constitutionnelle de l’IVG, La Croix, 8 mars 2023
Hommage à Gisèle Halimi : des féministes en colère contre la « malhonnêteté » du pouvoir, Médiapart, 8 mars 2023
Pourquoi l’hommage d'Emmanuel Macron à Gisèle Halimi suscite une polémique, La Dépêche, 8 mars 2023
«Je suis fondamentalement opposée à la panthéonisation de Gisèle Halimi», affirme Marine Le Pen, Le Figaro, 8 mars 2023
Hommage à Gisèle Halimi : « Nous lui sommes toutes redevables », Le Monde, 9 mars 2023
Emmanuel Macron rend hommage à Gisèle Halimi, Affiches parisiennes, 10 mars 2023
Tous les articles Gisèle Halimi - Causette
La plupart des ces articles est consultable à la bibliothèque municipale de Lyon ou à distance pour ses abonnée·es via Europresse.
A lire aussi cet article de Marion Charpenel, «Les enjeux de la mémoire chez les historiennes des femmes, 1970-2001», Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 223, no. 3, 2018, pp. 12-25 qui analyse "à la fois comment les historiennes des femmes se saisissent de la mémoire comme objet d’étude et comment elles s’engagent dans des pratiques de construction du passé à des fins politiques."
Enfin, vous trouverez dans cette bibliographie des ouvrages sur Gisèle Halimi ou dont elle est l'autrice présents à la BML. Et citons pour finir ces ouvrages récents qui ne sont pas actuellement dans nos collections :
Gisèle Halimi : une jeunesse tunisienne / scénario, Danièle Masse ; dessin et couleur, Sylvain Dorange, 2023
Gisèle Halimi : la fauteuse de troubles / Ilana Navaro, 2022
Bonne journée.
DANS NOS COLLECTIONS :
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