Je recherche des textes de théâtre autour sur l'asexualité et la sexualité forcé.
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis à la recherche de textes de théâtre autour de la thématique de (ou avec une scène sur) : l'absence de désir sexuel, que ce soit dans le couple ou non ; l'asexualité ; la sexualité forcée. Auriez-vous des ouvrages à conseiller ? Je suis en ce moment dans l'impossibilité de me déplacer, d'où ma demande.
Cordialement,
Pauline P.
Réponse du Guichet
Nous avons davantage ciblé notre recherche sur l'absence de libido, l'asexualité plutôt que sur la sexualité forcée ou viol. Voici toutefois une sélection de textes abordant ces thèmes. Nous espérons que vous y trouverez ce que vous cherchez.
Bonjour,
Voici quelques titres trouvés sur Mascarille dont sont extraits les résumés, et avec l'aide de nos collègues d'arts vivants à la bibliothèque de Vaise que nous remercions :
- Il a livré ton bien à ceux qui meurent / DE OLIVEIRA Mickaël, 2006
La pièce tisse une fable où rien ou bien peu de choses arrive, où tout (échange verbal et corporel) reproduit l’immobilisme d’un corps - celui de la Fille - réduit à l’état végétatif. On ne sait si ce statisme est la conséquence d’un accident ou d’une maladie. La Mère, omniprésente, vit dans le souci de son enfant : elle lui procure des soins, entre désir, lassitude et désespoir et projette certainement sur ce corps léthargique ses propres désirs, son désarroi, ses espoirs, sa solitude, ses fantasmes et ses fantaisies. Une autre femme - l’Amie - et des hommes surgissent, à tour de rôle, des voix (un chœur) s’élèvent ; le tout est centré sur le corps fantomatique de la progéniture.
La pièce travaille la relation quasi maladive entre une Mère aimante presque dévorante et sa Fille ; elle explore le rôle de la filiation, de la femme et du corps sensuel et sexuel. L’auteur cherche surtout à explorer le dialogue ou monologue d’une Mère car une question circule : avec qui parle la mère en dialoguant avec ces visiteurs d’une chambre condamnée à être sépulture ?
REGARD DU TRADUCTEUR
Mickael de Oliveira est un nouveau venu sur la scène dramatique portugaise. Il est actuellement l’auteur de 7 pièces (dont l’une en cours de finition) qui dénotent dans une dramaturgie portugaise contemporaine qui s’intéresse plutôt au problème du langage et des faits sociétaux. Si ces éléments ne sont évidemment pas absents des préoccupations de ce jeune auteur (23 ans), leur traitement prend un pli différent, entre hyperréalisme et allégorie, non dénué de provocation.De Oliveira s’intéresse au corps, à la chair, à la sexualité et à la violence. Il revisite des fantômes portugais bien enfouis (société castratrice, hiérarchisée, où le dialogue est la chose du monde la moins partagée malgré l’apparente abondance des échanges) et les lie à des universaux : le rôle de la famille, de la filiation, de la communauté et de la religion ; le patrimoine mythique et biblique d’une culture grecque et latine.
Il a livré ton bien à ceux qui meurent — titre extrait du Prométhée de Heiner Muller — s’apparente à un poème dramatique en 20 scènes, où la parole dit tout et ne dit rien ; où les voix d’un choeur religieux plongent en enfer plus qu’elles n’apaisent. Sur la scène démultipliée pourtant par un jeu de projections vidéo, ce qui est dit joue avec l’absence de sens et l’excès : les images veulent arrimer l’oeil du spectateur qui aimerait soudain se dérober, le faire regarder là, sentir là. Entendre la parole vide, quasi autistique, l’hymne et le râle.
La pièce présente un huis clos familial et troué, comme la chair de la Fille, la jeune femme de 25 ans vue et touchée par 6 officiants : la mère, l’amie, deux hommes, le médecin, le prêtre. De simples noms. Le tout enveloppé dans les voix d’un chœur, faisant ricochet dans le montage visuel. La notion de projection (technique mais aussi la projection psychique et psychanalytique, à savoir la libido) est de ce fait fondamentale.
Le ton « cruel » et « ému », est dépourvu de pathos. Si la matière est ambiguë, le style qui joue avec le langage poétique (coupes, cadences, rythmes) explore tout autant les possibles d’un « dire ». Les mots flottent et cherchent leur place entre exclamation, interrogation et affirmation, brouillant ainsi les frontières de l’action et de la diction, déployant les seuils d’interprétation. En ce sens, ce théâtre est aussi celui d’un questionnement moderne de la lecture et de l’acte, une mise en abyme de l’espace de la communication.
Équilibre bien difficile dans cette pièce d’apparence petite bourgeoise, sentant la naphtaline d’un intérieur souffleté sournoisement par les mythes bibliques et les figures archaïques : la Mère dévoreuse, le corps monstre et machine, le chaos et la fondation. Si on est sans cesse au bord de la tragédie, la parodie - au sens premier - introduit un souffle dans cet univers de violence sourde et lourde.
Cette fable visuelle et auditive joue avec la platitude et prend, ici et là, sauvagement le contre-pied de nos rituels (naissance, enfantement, mort) pour asseoir crûment sur la scène ce que la cérémonie voile : le corps béant, le rictus de plaisir ou de douleur, les eaux, le sang, le sperme. Beaucoup de fluides pour parler de corps morts vivants, de mots qui ne passent pas, d’une parole inhabitée à la manière du corps de la jeune femme. Défier l’isolement, la mort ou l’amour ? Banalité sans doute mais il est nécessaire de sentir et de cesser l’attente. Se sentir vivre dans un toucher qui peut aussi être le Coup.
Questions et « matériaux » éternels et épineux, balancés sur scène, qui éveillent nombre de fantômes dans une époque où le corps est sans cesse montré, dans la caresse ou le massacre. Montré mais inconnu car peu aimé ou bien trop. Le corps, dans toute son intimité, on ne veut surtout pas le voir, le pénétrer. Espace même du sacré. Et sans doute la question serait-elle d’apprendre à devenir mortel, de sentir et de toucher par là une forme de vie, ou tout simplement la liberté.
- Tais-toi et parle-moi / THOMAS David, 2008
En une succession de tableaux, “Tais-toi et parle-moi” montre sept personnages aux prises avec leurs sentiments, leurs désirs, leurs difficultés à s’entendre.
Trois couples comme trois moments de la vie amoureuse : la rencontre, la crise, l’abnégation. Et une femme seule, écho du désir incontrôlé, encombrant.
Dans cette pièce drôle et grinçante de David Thomas, on peine à exprimer ce que l’on ressent vraiment parce que “les mots n’en font qu’à notre tête”, nous échappent… Il faut donc les prendre au pied de la lettre, cesser de s’interpréter.
Ici, une femme autorise un homme à la rencontrer mais elle précise bien qu’elle ne le rencontre pas, un homme perd sa libido comme on perd ses clés, un autre est un malade sans maladie, une femme traîne littéralement son ennui derrière elle et malgré toute leur bonne volonté pour y parvenir, un couple n’arrive pas à se disputer…
- Bienvenue aux Délices du gel / TODOROVIC Asja Srnec, 2008
Six personnages marqués par la guerre, qui essaient de reprendre pied et de croire en l’avenir : Lizika, vendeuse de produits surgelés,
Sebastian, psychiatre inquiétant et pitoyable,
Klara, sa femme à la libido perdue,
Bongo, ex-soldat hanté par ses tueries,
Johnny, à la sexualité incertaine,
et, cloué sur sa croix, Jésus, qui prodigue ses conseils.
Des liens complexes se nouent et mettent les personnages dans des situations grotesques, tragi-comiques...
- Les névroses sexuelles de nos parents / BÄRFUSS Lukas, 2006
Dora, handicapée, est bourrée de médicaments pour dissimuler sa "fêlure aux étages supérieurs".
Lorsqu'elle cesse son traitement, elle exerce une liberté retrouvée avec une naïveté et un appétit que son entourage - parents, mais aussi psychiatre, patron - ne parvient pas, malgré des principes affichés d'ouverture et de tolérance, à accepter.
Pendant des années, la jeune Dora a vécu dans les ténèbres psychiques, sous l'influence de tranquillisants administrés par son médecin et ses parents. Il s'agissait de la protéger, elle et son environnement, de son altérité psychologique, qui s'exprimait surtout dans des épanchements de sentiments incontrôlables, et de lui permettre de mener une vie " normale " ; elle parvient même à trouver un travail, comme auxiliaire dans une boutique de légumes où l'a généreusement embauchée un patron bienveillant. Un jour, à la demande de sa mère, on arrête les médicaments - la mère voudrait découvrir la véritable personnalité de sa fille. Dora s'éveille de sa docilité artificielle : elle développe un immense appétit de vivre, montre sa propre volonté et découvre, surtout, sa sexualité. Et ce dans une mesure qui dépasse largement le point de vue des adultes sur la vie que devrait mener Nora. Elle se met donc en ménage avec un représentant en parfums qui la maltraite et la viole. Ses parents sont effarés, mais pour Dora cela apparaît comme une manière de sortir d'un environnement trop protégé. Les mises en garde et les conseils de son médecin, des parents et des employeurs ne l'atteignent plus, elle ne se force à rien, touche avec ses opinions naïves et exprimées sans la moindre inhibition les points faibles d'un monde adulte qui a l'apparence de la tolérance, et profite sans la moindre gêne de sa joie de vivre. Au bout du compte, celle-ci n'est même pas atteinte lorsque les parents, dans un acte de double-morale fondé sur la croyance qu'ils doivent intervenir dans la vie de Dora, l'envoient subir un avortement et la font stériliser de force.
À propos de la pièce:"Lukas Bärfuss décrit la situation de Dora avec une concision objective, dans des scènes dont l'épice laconique révèle combien de peine on y a consacré. Il se garde de tout commentaire sur la problématique sociale explosive, que l'on aurait aussi pu tirer de cette histoire. Il ne prend ni position, ni parti. Il observe et il montre. Il observe certes avec le regard légèrement malveillant du satiriste sur des gens dans le malaise, ce qui signifie que ses scènes prennent toujours le chemin le plus direct vers le point critique, mais il n'accuse pas. Il n'y a jamais de place pour le discours édifiant autour de la bouillie brûlante. Et c'est cette retenue qui fait la force de sa pièce. Avec Dora, évidemment. Il n'en fait ni une héroïne, ni une sainte, et encore moins une victime misérable. Il ne se place pas devant elle, omniscient. Il l'observe avec une distance presque timide. Il est tout à fait précis lorsqu'il s'agit des détails de son comportement, mais il ne l'écrase pas sous les connaissances de l'auteur. Ainsi, on ne lève pas le mystère de sa naïveté, pas plus que celui de son indestructibilité. Et ce n'est pas seulement bien ainsi. C'est beau."
(Dorothee Hammerstein, programme des Theatertage de Müllheim 2003)
- Quatre saisons en enfance / Catherine de la Clergerie, 2019
L’héroïne dont le milieu d’origine vit comme au XIXe siècle, fait connaissance, à Paris et en province, avec la modernité de l’émancipation féminine des trente glorieuses, Sa perception d’être justement une femme, bute sur la découverte de la sexualité, enfin, surtout celle des autres. Cela lui provoque des mauvais tours comme celui de se retrouver à la fois vierge et enceinte.
Cette ingénue zigzague d’étonnements en déconvenues, dans un monde parfois cruel, toujours saugrenu, dont on ne lui a pas fourni le mode d’emploi et qu’elle cherche, perplexe, à déchiffrer. Trop tard, à chaque fois. La solution serait-elle dans les livres qu’elle dévore, là où ça n’arrive qu’aux autres ?
EXTRAIT
Je partage une chambre avec Christine. En me déshabillant, je demande :
— Qu’est-ce que ça veut dire « violer » ?
Christine Montaigu se redresse et s’appuie contre le radiateur sous la fenêtre.
— Tu sais ce que c’est faire l’amour ?
— Oui.
— Hé bien, c’est faire l’amour quand une fille n’en a pas envie.
— Oh ben, c’est pas si grave que ça.
Elle me regarde.
— Tu sais vraiment ce que ça veut dire faire l’amour ?
— Oui je sais, bien sûr, c’est pas drôle d’être forcée…
Elle dit :
— Laisse tomber, tu ne sais pas ce que c’est.
— Mais si. Et je laisse tomber.
Je vois très bien la scène, le garçon embrasse de force la fille sur la bouche, et en plus, peut-être il est tout nu. Je reconnais que ce n’est pas drôle.
J’espère quand même qu’il n’existe pas quelque chose de pire.
- Retour en sens unique / LINDEEN Marcus, 2006
Deux personnages, Orlando et Mikael, la soixantaine, sont assis à une table. Le décor est sobre : un studio d'enregistrement. Comme nous l'a préalablement annoncé un texte projeté au fond, c'est la première rencontre entre ces "deux hommes suédois" — précision qui n'est pas sans importance, car ce sont deux êtres à l'identité sexuelle sans doute indéfinissable.
L'entretien démarre, façon documentaire. Le ton est spontané, direct, sans artifice. Les deux hommes commencent par se raconter le long parcours de leurs changements de sexe respectifs, et ce qui les y a menés. Orlando, adolescent, fréquentait le parc mal famé de Stockholm, se prostituait, se faisait insulter et traquer par la police. Rêvant d'une petite vie rangée de femme au foyer, il fut l'un des premiers au monde à se faire opérer dans les années 60. Quant à Mikael, son changement de sexe eut lieu dans les années 90. Croyant que cela allait "arranger tous ses problèmes" et lui permettre de fuir "le vieux Mikael", il eut cependant toujours un doute quant au bien-fondé de sa décision, et se mit à pleurer en se voyant dans la glace après la première intervention chirurgicale, constatant que "tout était parti." Il avait voulu se prouver à lui-même qu'il était capable d'aller jusqu'au bout du processus. Il fait également état d'une seconde motivation : tout cela coûtait si cher à la société qu'il eut été indécent de changer d'avis.
Mikael admet cependant qu'il y eut des avantages à être une femme : "Mikaela, elle était plus courageuse, d'une certaine manière. [...] En tant qu'homme, je risquais de me prendre une beigne si je la ramenais et que je disais ce que je pensais. Mais on ne met pas un pain à une bonne femme. Personne de normalement constitué ne fait ça."
Sur scène, les deux hommes projettent des diapositives d'eux-mêmes durant leur période "féminine". Il est maintenant question des difficultés qu'ils vécurent après le changement de sexe, pour se fondre dans leur rôle de femme. Excès de zèle et de maquillage, talons trop hauts, transpiration sous les perruques... Les deux hommes racontent les erreurs qui ont fait d'eux des personnages tragi-comiques. Ou l'erreur au singulier... Car ils en sont venus à considérer leur changement de sexe comme une erreur.
Puis, ils franchissent un pas de plus dans la dimension de l'intime. Orlando évoque sa vie commune avec un homme qui n'apprit qu'après 11 ans de mariage qu'Orlando avait changé de sexe, bien que le vagin d'Orlando n'eut jamais été, pour ainsi dire, opérationnel. Cette découverte étrangement tardive entraîna la rupture. C'est alors qu'Orlando, voyant sa vie de couple et son rêve de ménage brisés, décida de redevenir un homme.
Quant à Mikael, il avoue n'avoir eu de rapports sexuels qu'une seule fois dans sa vie et ce, juste avant sa transformation en femme. Il se dit avoir toujours été attiré par les femmes, ce qui laisse Orlando quelque peu perplexe. Mikael lui explique que, se sentant martyrisé ou ignoré par elles, il avait compté se passer de relations sexuelles pendant le restant de ses jours. Pas question pour lui de vivre en lesbienne dans un corps de femme, ni pour autant de s'intéresser aux hommes.
Orlando et Mikael n'en sont pas au même point dans leur seconde transformation. Mikael tente de convaincre les autorités sanitaires qu'il doit redevenir un homme. Orlando considère pour sa part que c'est chose faite, même s'il n'a pas eu le courage de subir les toutes dernières interventions, la reconstruction de son pénis n'étant pas entièrement achevée.
Une fois l'enregistrement terminé, un texte projeté au fond nous annonce succinctement ce que sont devenus les deux hommes après l'entretien, à la manière d'un documentaire. Les acteurs sont toujours sur scène et, en guise d'épilogue, Orlando annonce qu'il compte rentrer chez lui, en passant par le magasin pour prendre un plat surgelé pour le dîner. Avant de partir, Orlando et Mikael échangent deux-trois conseils sur les meilleurs plats au micro-ondes, le plus banalement du monde.
Regard du traducteurLa pièce de Marcus Lindeen s'inscrit dans une nouvelle tendance du théâtre suédois : le théâtre documentaire.Elle a été élaborée à partir d'un entretien enregistré, auquel un travail de "montage", de construction et d'écriture que l'on devine précis, donne une structure dramaturgique solide. À mesure que se développent les thèmes de l'entretien, mouvements et points d'orgue — ces derniers prenant ici la forme de révélations intimes — se dessinent clairement. Le langage est celui de la conversation informelle, le registre, familier. La simplicité de ton et la sobriété d'un décor impersonnel — un studio d'enregistrement — évite tout sentiment de voyeurisme ou d'obscénité, malgré les sujets éminemment privés qu'abordent les deux personnages. À travers cette parole d'apparence triviale se déroule petit à petit le drame de deux destins tragiques. Les corps des protagonistes sont là pour en attester, car leurs tragédies respectives s'inscrivent bel et bien dans leurs corps, par lesquels ils ont cru pouvoir exister pleinement, sans jamais y parvenir — objets vivants mutilés, soumis aux sévices répétés des multiples interventions chirurgicales de leurs changements de sexe.
Nous avons là deux magnifiques rôles de composition. Dans la mise en scène de Lindeen au Théâtre de la Ville de Stockholm, Orlando était joué par un homme, et Mikael, par une femme.
Le grand écart entre l'apparent apaisement de deux hommes qui ont, à leur manière, tout vécu, et la violence de leur récit, du sens profond de l'œuvre, de la remise en cause qu'elle suscite chez le lecteur/spectateur, est soigneusement entretenu d'un bout à l'autre de la pièce. Sous la surface de ce registre familier, voire banal, s'ouvre progressivement un gouffre vertigineux, la douleur et l'effroi de ne jamais comprendre qui l'on est, de voir chacune de ses certitudes les plus fondamentales anéanties, celles-là mêmes que nous identifions à l'origine de notre être et à l'apparition de notre corps, celles qui définissent notre existence, notre vie, et notre place parmi les autres, dans le corps social. Car bien au-delà de la problématique de cette œuvre, ce sont nos constituants identitaires les plus enracinés, ceux que nous croyons chevillés à notre corps, qui sont ici inquiétés, ébranlés, mis à mal. Homme ? Femme ? Quand le devient-on ? A la naissance ? Est-ce du ressort de chacun d'en choisir le moment ? Pouvons-nous en quelque sorte renaître autre ?
N'allez pas croire que cette pièce soit un réquisitoire candide et politiquement correct pour la tolérance et la liberté de choix. Le personnage de Mikael bouscule la donne. Ses commentaires misogynes épaississent le propos d'une ambivalence troublante. Point de vérité psychologique simpliste. L'opacité que le dispositif documentaire confère aux personnages est d'une efficacité redoutable.
En regardant leurs diapositives respectives, prises lorsqu'ils étaient femmes, les deux hommes se font des compliments, se comparent à des actrices. Puis — coïncidence — ils découvrent avoir nourri tous deux les mêmes ambitions théâtrales. Ils ont eu quelques expériences de la scène, avant de laisser s'évanouir leurs rêves de comédiens. Nouveau questionnement : sommes-nous autres que la somme des multiples rôles que nous nous efforçons de jouer ? Ce "moi" que les personnages ont traqué dans leur chair, toute leur vie durant, sans jamais l'atteindre, existe-t-il enfin ? Ceux que nous voyons ne sont-ils que le résultat instable de leurs actes, douloureusement inscrits dans leurs corps ? "L'être femme" et "l'être homme" ne sont-ils que pures chimères ? Les deux personnages ne sont peut-être ni femme ni homme, mais ils sont bel et bien Orlando et Mikael... Deux personnages sur une scène de théâtre.
Mais "Retour en sens unique" ne frappe pas tant par la marginalité de son sujet, que par l'universalité des questionnements qu'il provoque — sur la nature de l'être, sur la nature du théâtre, sur la théâtralité de l'être.Tout cela y est inextricablement lié, forme et fond y contribuant avec une force égale. Convaincue de sa portée internationale, je souhaite bien entendu au public français de pouvoir partager l'émotion que suscite cette œuvre dérangeante.
- Tout va pour le mieux ! Merci, Vraiment ! / MOTOYA Yukiko, 2008
Après son divorce, Shintaro Sone, marchand de journaux, s’est remarié avec Midori. Shintaro a un fils, Koichi, issu de sa précédente union et Midori, son épouse actuelle, a une fille, Satoko, également née de son premier mariage.
Un jour où le propriétaire des lieux s’est absenté afin d’aller déposer de l’argent à la banque, toute la petite famille ainsi qu’Eimi, l’employée, vaquent à leurs occupations quotidiennes, quand une inconnue prénommée Akari débarque chez eux pour semer la zizanie. Cette belle et mystérieuse jeune femme prétend être la maîtresse de Shintaro. Elle ne cesse de multiplier les provocations afin de faire réagir l’épouse soi-disant trompée. Malgré sa peur, Midori tient bon et avec sa fille Satoko et son beau-fils Koichi qui rentre de sa tournée de livraisons de journaux, ils se liguent contre l’inconnue et réussissent à la mettre à la porte. Or, le mensonge d’Akari n’en est pas vraiment un : tout le monde sait que Shintaro est un coureur de jupons. Et même si Midori défend son mari bec et ongles, elle détient des preuves de son infidélité et sa maîtresse n’est autre que leur employée Eimi.
Une fois Akari jetée dehors, Eimi se précipite à sa suite et l’aide à s’introduire dans la maison, car elle prétend s’être reconnue en elle.
Ainsi, Akari va persuader Eimi que les relations sexuelles qu’elle entretient avec son patron ne sont pas consenties et qu’elle est victime de viols. La jeune femme fragile et habituée des tentatives de suicide devient alors l’alliée d’Akari et l’aide dans sa démarche de destruction de la famille. Elle ne tarde cependant pas à éprouver des remords, mais ne tente rien non plus pour se libérer de l’emprise de l’étrange inconnue.
Le mensonge d’Akari va petit à petit entraîner la révélation de tous les autres secrets de la famille. Midori finit par sommer Shintaro de s’expliquer à propos de sa relation extra-conjugale. Akari suggère à Koichi de réfléchir au nouveau mariage de son père six mois seulement après son divorce. Midori n’aurait-elle pas été la cause du départ de sa mère ? Eimi accuse Koichi d’entretenir une relation ambiguë avec sa sœur Satoko.
À plusieurs reprises, la famille Sone interroge Akari sur ses motivations. L’inconnue prétend qu’elle n’a nul besoin de raisons pour faire ce qu’elle fait. Elle dit pratiquer le « terrorisme aveugle ».
Chaque membre de la famille soutient qu’il est heureux, mais bientôt, Midori craque et déclare qu’ils n’avaient pas besoin d’Akari pour être malheureux, ils l’étaient déjà bien assez avant son arrivée. Shintaro craque à son tour et finit par reconnaître être un fieffé menteur. Car selon lui, sans mensonges, il ne peut y avoir de bonheur.
Or, la famille reste tout de même unie. Finalement, Akari échoue dans sa mission — détruire le couple —. Une fois l’abcès crevé, les Sone retournent à leur train-train quotidien.
REGARD DU TRADUCTEUR
Yukiko Motoya dénonce ici avec humour le prétendu « bonheur familial » fait de mensonges et de non-dits. Pour la famille Sone, « tout va pour le mieux », oui, mais en apparence seulement. Car chacun possède un petit secret inavouable qu’il cherche à tout prix à protéger en érigeant des barrières de mensonges. Comment une étrangère peut-elle faire éclater cette bulle, révéler la véritable personnalité de chacun, et surtout le mal-être et la dépression qui les caractérisent tous ? Aucun de ces six personnages n’a une attitude raisonnable ; tous réagissent de manière absurde et démesurée.La venue d’Akari, au début jugée dérangeante, se révèle finalement être une bénédiction pour cette famille recomposée qui a vu ses secrets — qui n’en étaient pas vraiment — exposés au grand jour. Le bonheur est le fil conducteur de la pièce. Qu’est-ce qu’être heureux finalement ? Personne ne réussit à apporter la preuve de son bonheur. Akari déclare même à Koichi que s’il n’a pas de raison de ne pas être désespéré, cela signifie qu’il l’est.
Akari, jeune femme mystérieuse qui le demeurera jusqu’à la fin, refuse de parler d’elle et de ses motivations. Pourquoi fait-elle à faire croire à Eimi qu’elle est abusée par son patron ? Akari a-t-elle été victime d’un viol ? Cherche-t-elle à punir son violeur en punissant Shintaro ? Pourquoi est-elle seule le jour de son anniversaire ? Pourquoi se rend-t-elle chez des étrangers en ce jour particulier afin de semer le chaos ?
Akari est également un personnage aux tendances autodestructrices. N’ayant pas réussi son entreprise, elle s’asperge d’essence, mais finit tout de même par hésiter : doit-elle utiliser le briquet pour s’immoler ou pour allumer les bougies de son gâteau ? Elle choisit finalement les bougies, mais ne parvient pas à les allumer, car le malheur est sa seule option.
Yukiko Motoya est l’emblème de la « génération perdue ». Tout va pour le mieux, merci, vraiment ! (Shiawase saiko arigato maji de !) a fait couler beaucoup d’encre sur les blogues et dans la presse japonaise.
Dans cette pièce, Yukiko Motoya nous fait découvrir la famille japonaise de l’intérieur et fait tomber les masques avec un humour grinçant et une écriture vive qui ne laisse aucun instant de répit.
- L’asexualité des abeilles / Gabriel Guertin-Pasquier, 2022
« C’est l’histoire d’un homme homoromantique, gai, de Montréal qui désire avoir un enfant. Et à cet enfant-là, qui va naître après le don, il décide de raconter toutes ses anciennes relations, son parcours, le fait d’être asexuel, surtout ce qui se passe lors du dating, des rencontres. C’est difficile d’assumer d’être asexuel, en particulier dans la communauté gaie masculine et dans la société hypersexualisée. C’est difficile de se retrouver, d’avoir des modèles », dit-il en entrevue.
Souvent extrêmement mal à l’aise dans le contexte d’agences de rencontre ou sur la piste de danse d’un bar, Gabriel Guertin-Pasquier a lui-même décidé de devenir un modèle pour les asexuels, peu après avoir fait son coming-out à l’émission de téléréalité Si on s’aimait, diffusée sur les ondes de TVA. « Ça a été bénéfique. J’ai pu en parler et faire découvrir cette orientation, poursuit-il. J’ai reçu beaucoup de messages de personnes de tous âges, de tous genres, qui se retrouvaient dans ce propos et dans cette orientation. »Source : Sans sexe et sans regrets, Le Devoir
Bonne journée.