pourquoi met-on des robes aux filles et pourquoi sont-elles habillées en rose ?
Question d'origine :
Bonjour , pourquoi on met des robes aux filles ? Pourquoi elles sont souvent rose ? Merci
Réponse du Guichet
L'usage de la robe rose pour les filles est un marqueur de genre important qui se développe tout particulièrement à partir du XIXe siècle.
Bonjour,
La question de la tenue vestimentaire est le fruit d’un long héritage culturel et s’inscrit dans des considérations politiques, sociales, religieuses ... sur le genre. L’usage de faire porter des robes roses aux filles est un marqueur du sexe, prolongement d’une scission masculin / féminin sexiste déjà ancienne puisque mentionnée dans la bible (deutéronome 22,5) : « une femme ne portera pas un costume masculin et un homme ne mettra pas un vêtement de femme … » et imposée plus fortement au XIXe siècle.
Cette différenciation est ainsi inscrite dès 1804 dans le code civil et Christine Bard qui s’intéresse à l’histoire du genre rappelle dans une Histoire politique du pantalon qu’en 1800, "une ordonnance de la préfecture de police de Paris interdit aux femmes le costume masculin. Il paraît alors logique que la différence de vêtement redouble une différence de nature biologique. Or, pour les scientifiques, la différence sexuelle ne se limita pas aux organes génitaux : tout le corps est sexuée".
Aussi, a cette période, "le simple fait pour une femme de porter un pantalon l’assimile à une travestie" et Christine bard rappelle que "le rapport entre les sexes est aussi engagé par cette dissymétrie vestimentaire".
Dans cet ouvrage Christine Bard dresse une histoire de l’accès du pantalon (dont l’interdiction du pantalon aux filles à l’école avant 1968) et montre que dans certains pays, l’usage du pantalon pour les femmes est encore interdit. Il importe aussi de souligner qu’en France l’ordonnance interdisant aux femmes de porter un pantalon n’a été abrogé qu’en 2013 !
(voir là-dessus, la question soulevée au sénat)
Christine Bard s’est aussi intéressée à une autre tenue symbolisant le genre féminin, la jupe. Ainsi dans l’ouvrage, Ce que soulève la jupe, elle revient sur les diverses injonctions vestimentaires faites aux femmes.Vous en saurez plus en consultant son ouvrage et vous pourrez approfondir le sujet en lisant par exemple le mémoire de Corne Lett, Le prétexte du vêtement : sociologie du genre au prisme des pratiques vestimentaires ou en parcourant le propos de l’exposition En corps elles, que nous avions organisée en 2021 à la bibliothèque municipale de Lyon.
Pour autant, si désormais, la robe symbolise la féminité, il n’en a pas toujours été le cas, notamment pour les jeunes enfants puisque la robe était aussi portée par les garçons. Ainsi, Clémentine Brosseau dans l’article, « Petite histoire de la mode pour bébés en Occident » (Spirale, 2020/4, n° 96, consultable via la base de données cairn disponible dans les bibliothèques municipales de Lyon) détaille cette longue évolution et note une distinction progressive faite entre les filles et les garçons :
Dès l’apprentissage de la marche et jusqu’à 7 ans, l’enfant, qu’il soit de sexe féminin ou masculin, porte une longue robe sans sous-vêtements. Cela s’arrête à sa septième année, considérée comme l’âge de raison à l’époque médiévale. La robe est la tenue de prédilection pour les jeunes enfants. Cette robe qui apparaît dès le Moyen Âge est l’héritière de la tunique portée par les enfants sous l’Empire romain. Selon l’historien Philippe Ariès, la robe n’est rien de plus que l’habit long des adultes pendant la période médiévale puisque, jusqu’au début du xive siècle, les hommes et les femmes portent la robe ou la cotte
Les premiers signes d’une mode spécifiquement dédiée aux enfants apparaissent au xviiie siècle. Le premier vêtement réservé aux enfants marque en même temps une différenciation entre les vêtements des garçons et ceux des filles. Cette distinction ne concerne que les garçons des familles bourgeoises qui se mettent à porter, à partir de l’âge de 3 ou 4 ans, un petit costume de type.Il s’agit d’un ensemble avec une veste et un pantalon, alors que les filles continuent à porter des robes.
La mode pour enfants se développe également, avec les normes de couleurs associées à chaque sexe. La tradition du rose pour les filles et du bleu pour les garçons apparaît au xxe siècle. Son origine est assez incertaine et de nombreuses hypothèses s’opposent.
La première remonte à la période médiévale, où le rouge symbolise la féminité et le bleu la virilité. Les couleurs auraient été adoucies pour être portées par des enfants. Cependant, la différenciation n’est pas nette : on sait également que le bleu, couleur du manteau de la Vierge Marie, symbolise la pureté féminine, tandis que le rouge, couleur du sang et du courage, est une couleur virile, traditionnellement attribuée au masculin. Le rose, une variante du rouge, l’est également.
On sait également qu’au xviiie siècle, à Versailles, Madame de Pompadour met le rose à la mode à un point tel que toute la cour doit suivre le mouvement, y compris les petites filles. Le rose devient alors une couleur associée aux valeurs féminines de l’époque. Les explications sont ainsi diverses.
Une des hypothèses les plus vérifiables semble toutefois remonter au xixe siècle. En 1860, apparaissent de nouvelles techniques de teinture qui permettent de créer des couleurs pastel, comme le bleu ciel ou le rose pâle. La différenciation vestimentaire entre les filles et les garçons devient progressivement la norme à partir des années 1920.
Ce qui est certain, c’est qu’à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, ces distinctions entre la mode enfants/adultes, filles/garçons, se pérennisent, avec la fabrication industrielle d’habits et donc l’arrivée du marketing et de la publicité. Il semble alors que les normes bleu pour les garçons et rose pour les filles se cristallisent. Ce phénomène touche aussi bien les classes aisées que les classes populaires.
Ainsi, la symbolique des couleurs n’est pas neutre et celles-ci connaissent une profonde évolution. Le rose et le bleu, sont, aujourd’hui, des « indicateurs de genre ».
Dans une réponse précédente, Quel est l'historique de la couleur rose ? nous évoquions le fait que la couleur rose, devenue une connotation féminine vers le début du XXe siècle, fut longtemps celle des garçons et notamment des héritiers royaux alors habillés en rouge.
Michel Pastoureau s’est intéressé à la symbolique des couleurs et à fréquemment publié à ce sujet. Dans Dictionnaire des couleurs de notre temps, il étudie l’usage du bleu pour les garçons et du rose pour les filles et nous trouvons de semblables informations :
Historiquement, on peut observer que cette pratiques est en France déjà attestée à la fin du XIXe siècle et qu’elle est encore courante aujourd’hui, même si elle n’a plus le caractère systématique qu’elle avait dans la première moitié du XXe siècle. Géographiquement, on peut souligner qu’elle concerne une large partie de l’Europe et des pays relevant de la civilisation occidentale, notamment les Etats-Unis (…) socialement, il faut souligner combine une telle habitude est longtemps restée une pratique bourgeoise, avant de se diffuser vers le bas de l’échelle sociale. Aujourd’hui, elle concerne surtout la petite bourgeoisie et les classes défavorisées (mais en général de tradition chrétienne), même si une certaine aristocratie conservatrice lui est restée fidèle (…)
Des motifs religieux ont parfois été avancés pour expliquer cet usage vestimentaire du bleu et du rose : on aurait donné aux nouveau-nés les couleurs de la Vierge, afin que celle-ci les protège pendant la période difficile et dangereuse de la petite enfance. Pareille affirmation ne résiste guère à l’analyse. Si le bleu est bien la couleur de Marie (depuis le XIIe siècle), le rose ne l’est pas et ne l’a jamais été. C’est le blanc qui constitue la seconde couleur de la Vierge, depuis l’adoption du dogme de l’Immaculée Conception (1854). En outre, s’il est vrai que c’est parmi les familles chrétiennes que cet usage du bleu et du rose a été le plus volontiers pratiqué, il semble avoir été plus précocement et plus largement répandu dans les pays protestants que dans les pays catholiques. Il paraît donc difficile d’y chercher une pratique liée au culte marial (…)
Il y a d’abord une idée de pureté et d’innocence dans le choix de ces deux couleurs. Il y a ensuite –mais ensuite seulement – une distribution qui reprend une distinction relativement ancienne dans la culture occidentale : le bleu est masculin et le rouge est féminin. Cette opposition des sexes par le bleu et le rouge se met en effet en place à la fin du Moyen Age (avant le XIIIe siècle, le bleu n’est jamais le contraire du rouge), et se développe à l’époque moderne. Elle s’appuie sur des considérations symboliques à la fois diverses et floues, et ne fonctionne vraiment que par rapporte au couple : le bleu n’est masculin qu’en tant qu’il s’oppose au rouge ….
Sur l’usage des ces couleurs, nous vous laissons consulter de précédentes réponses :
Symbolique des couleurs
rose et bleu
et parcourir Le bleu : dictionnaire de la couleur : mots et expressions d'aujourd'hui : XXe-XXIe / Annie Mollard-Desfour ; préface de Michel Pastoureau ; épilogue de Jean-Michel Maulpoix.