Pourquoi n'y a-t-il pas de section romance en bibliothèque ?
Question d'origine :
Pourquoi n'y a-t-il pas de section romance, comme c'est le cas pour les romans policiers, en bibliothèque ?
Réponse du Guichet
Le roman sentimental pose un problème épineux du point de vue bibliothéconomique au point de le rendre difficile à mettre en avant en tant que fonds documentaire propre.
Bonjour,
S’il est effectivement assez fréquent de retrouver dans une bibliothèque un secteur consacré à la littérature policière ou aux romans d’imaginaire, la littérature sentimentale ne connaît souvent pas le même traitement.
Si l’on entend souvent que, si un livre n’est pas présent dans une collection ou n’est pas mis en avant, c’est parce que les bibliothécaires s’orientent vers ce qu’ils aiment ou lisent eux-mêmes, soyez rassuré, il n’en est rien. La question de la place accordée en bibliothèque à la romance revêt en fait un caractère bibliothéconomique particulièrement complexe pour les professionnels, voire même épineux.
Il faut tout d’abord savoir que le roman sentimental est le type de roman qui se vend le mieux à travers le monde. En France, c’est chaque année plus de 12 millions de romans sentimentaux qui sont vendus, pour un chiffre d’affaire de plus de 34 millions d’euros. Résultats pour le moins vertigineux que viennent en outre compléter les ventes de livres numériques, où la romance fait une nouvelle fois preuve d’une réelle attractivité. Si l’intérêt du public pour ce genre est tel que de plus en plus d’éditeurs s’y essaient et lancent leurs propres collections, le paysage éditorial de la romance est cependant complètement dominé par une seule maison : Harlequin. Cette maison, créée en 1949, jouit d’une quasi hégémonie sur cette littérature. Harlequin vend ainsi plus de 4 romans par seconde à travers le monde, pour un total de 585 millions d’euros annuels, en grande partie via les réseaux de vente des grandes surfaces alimentaires.
Une situation qui peut être problématique pour les bibliothèques car celles-ci ne peuvent se permettre de ne représenter quasiment qu’un seul éditeur pour un fonds, et ce d’autant plus si celui-ci est dans une complète posture de domination du marché. En tant qu’acteur de la chaîne du livre, les bibliothèques on un certain devoir de pluralité de représentation des maisons d’édition, mais travaillent aussi à la visibilité des maisons indépendantes.
Alors qu’ils ont été longtemps rangés dans la catégorie des mauvais genres, le polar et l’imaginaire ont récemment trouvé des places de choix dans les collections des bibliothèques. Mais alors, pourquoi la romance, n’a elle pas bénéficié elle aussi d’un retour en grâce?
Là où polar et SF ont acquis leurs lettres de noblesse en se faisant des espaces de recherche stylistique, d’émergence de voix singulières ou de critique sociale sur les 30 dernières années, la romance, sans doute parce qu’elle se vend extrêmement bien et n’a jamais été boudée par les acheteurs, n’a que peu évoluée, à l’exception de la vague de «romance épicée» lancée par 50 nuances de Grey.
De fait, les critiques reprochent souvent à ce genre son absence d’innovation dans ses trames romanesques - au point de donner parfois l’impression que chaque auteur a le même cahier des charges à remplir. Enfin, et c’est là le plus gros souci, cette littérature souffre d’un statut de produit de consommation plus que d’œuvre de création. Situation qui tient en partie au fait que la romance ne bénéficie pas outre Atlantique de règles favorisant sa mise en valeur en tant que littérature. Ainsi, les deux maisons d’édition les plus présentes sur ce marché (Harlequin et J’ai lu) ne traduisent pas les sagas sentimentales dans leur intégralité, mais seulement les volumes les plus propices à la vente. Un choix qui se fait au détriment de l’intégrité de l’œuvre. Pour cela, protagonistes ou lieux sont renommés et les passages faisant référence à des situations rencontrées dans d’autres volumes sont retirés. De la même manière, afin de proposer un objet assez court et centré uniquement sur l’intrigue romantique, les scènes descriptives ou n’ayant pas trait à la relation sentimentale sont très souvent coupées du texte original.
De fait, si les bibliothèques proposent au sein de leurs collections une bonne part de romans sentimentaux, ce ne sont pas forcément les éditeurs spécialisés dans la romance qui ont la part belle dans ces structures. Pourquoi? Parce que bien souvent la romance se cache sous d’autres atours, et pose à ce moment-là au bibliothécaire un problème de classement. Où ranger une romance historique? En roman historique ou en romance? Et que faire d’une histoire d’amour fortement ancrée dans le réel avec une bonne dose de critique sociale?
Un véritable casse-tête qui fait que bien souvent, plutôt que de mettre en place un fond dédié à la romance, ces romans sont le plus souvent classés dans la littérature générale. Une façon également de désenclaver la romance, et de la traiter comme une littérature à part entière tout en ménageant ses adeptes qui, en plus d’être nombreux, sont de profils variés (parmi lesquels 22% d’hommes), car - et c’est bien dommage - lors d’une enquête réalisée en 2010 la plupart des lecteurs de romance ont avoués se sentir honteux de ces lectures romantiques.
Pour aller plus loin sur ce sujet :
Parfum de rose à la bibliothèque ? La romance en bibliothèque : approche sociologique et bibliothéconomique des romans sentimentaux par Laura Ciccarelli
Assises du livre numérique : L’évolution du marché de la romance en France en 2020 par Nausicaa Plas
Les mauvais genres en bibliothèques publiques. Quel place pour le roman sentimental paralittéraire? par Roman Vany
Oula… Du roman sentimental en bibliothèque? autour du projet de la Bibliothèque Assia Djebar
Romance Novels in American Public Libraries: A Study of Collection Development and Promotion Practices par Adkins, D., Esser, L. G., Velasquez, D. L., & Hill. H. L. (2008)
Promoting Romance Novels in American Public Libraries par Denise Adkins, Linda R. Esser et Diane Velasquez