La population mondiale peut-elle habiter en un seule grande ville ?
Question d'origine :
Bonjour,
je me pose la question s'il existe des ressources traitant du fait de faire en sorte que tous·tes les habitant·es de la planéte habitent en un seule grande ville. Comment serait techniquement possible, comment cela s'organiserait-il, quels problème cela engendrerait etc.
ma seconde question qui est un peu l'inverse : y a t-il des histoires à propos de certaines idées plus où moins sur-dimensionnées telles que : construire un métro dans une commune de 5 000 âme par exemple... Ces questions ne sont pas du seconde degrés, je me les poses vraiment, par curiosité.
En vous remerciant, bonne journée,
B.L
Réponse du Guichet
Faire cohabiter 8 milliards d'être humains en un même lieu relève de la gageure ! Il faudrait repenser complètement notre espace de vie, son organisation matérielle et nos pratiques pour concevoir une ville durable et socialement acceptable à cette échelle.
Bonjour,
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, mais pas la même !
Heureusement pour nous car vivre aux côtés de 8 milliards d'être humains relèverait de la gageure, voire de la folie, mais de l'utopie sûrement.
Nous n'avons pas trouvé d'études abordant la question du regroupement de la population mondiale en un seul lieu mais l'analyse des écrits portant sur l'urbanisation actuelle et les problèmes qu'elle soulève nous laisse entrevoir les difficultés qui pourraient survenir si c'était le cas.
Quelques exemples :
- problèmes en matière d’environnement : accumulation et traitement des déchets, pollution générée par le trafic routier et les activités industrielles
- difficultés d'approvisionnement en eau, nourriture, énergie...
- problèmes de logement, de transport, de bruit
- développement de problèmes sociaux et de la violence liés à l'accroissement probable des inégalités sociales
Les urbanistes et chargé.es de l'aménagement du territoire auraient des défis de taille à relever en termes d'organisation matérielle et spatiale.
Peut-être faudrait-il envisager "la construction d’une ville nouvelle, sur de nouvelles bases, à une autre échelle, dans d’autres conditions, dans une autre société." (H. Lefebvre in Le droit à la ville) pour que cela puisse fonctionner ?
Que pensent les géographes des grandes villes et de l'explosion urbaine actuelle ?
Un facteur d'innovation économique et sociale
Quant à savoir si cette explosion urbaine est une bonne ou une mauvaise nouvelle… Synonymes aux yeux du grand public de pollution ou d’insécurité, les mégacités sont considérées d’un œil moins sévère par les géographes, qui préfèrent en premier lieu mettre en avant leurs avantages indéniables. « Aujourd’hui, les mégapoles ne sont plus des mangeuses d’hommes. Dans les pays les plus pauvres, les conditions de vie y sont nettement meilleures que dans les campagnes, affirme Denise Pumain. Les installations sanitaires sont meilleures, on compte moins de mortalité infantile. De la même manière, la qualification des populations tend à augmenter avec la taille des villes. »
« Lieux de l’innovation par excellence – économique, technologique, culturelle mais aussi sociale –, les mégacités sont de véritables espaces de conquête de droits », renchérit Michel Lussault. Ainsi, l’urbanisation des femmes fait le plus souvent baisser le taux de fécondité et augmente leur taux de scolarisation ; dans ces espaces plus ouverts, elles échappent en effet plus facilement à l’ordre patriarcal. Et même si le taux de pauvreté en ville reste très important – les favelas de Rio en sont une illustration criante –, la pauvreté absolue tend néanmoins à diminuer grâce aux nombreuses opportunités que la ville fournit : petits boulots en tout genre, vente à la sauvette, etc.
Des inégalités qui s'accroissent
Plus préoccupante est l’amplification des inégalités sociales et l’accroissement des tensions qu’elles engendrent au sein des villes. « Plus les villes sont grandes, plus les inégalités de revenus sont importantes, souligne Denise Pumain. Le capitalisme international qui développe des bureaux attire parallèlement une quantité d’emplois peu qualifiés, pour l’entretien, le ménage, etc. » Un phénomène qui se traduit aussi spatialement, avec une séparation toujours plus marquée entre quartiers riches et quartiers pauvres. La multiplication des « gated communities », ces quartiers aisés complètement fermés au reste de la ville, en est l’expression la plus forte – à l’image des fameuses tours d’Alphaville à São Paulo, ou des villas lacustres de Palm Springs Garden, à Chongqing (Chine), pour ne citer qu’elles.
L’accroissement des inégalités est loin d’être le seul défi posé par le changement d’échelle. Les transports et les pollutions engendrées par les embouteillages quotidiens – dans des villes comme Pékin, Shanghai ou encore Mexico, les émissions sont telles que le ciel est désormais constamment laiteux –, sont devenus la préoccupation numéro un des géantes urbaines. Autre défi majeur : celui du réchauffement climatique, particulièrement prégnant dans les mégacités avec le phénomène des « îlots de chaleur ». « Le cœur minéral des villes est beaucoup plus chaud que leur périphérie, explique Michel Lussault, et cela ne risque pas de s’arranger tant que la planète continuera de se réchauffer. Dans une ville comme Paris, par exemple, il fait en moyenne 2° C de plus qu’en banlieue, mais ce différentiel peut monter jusqu’à 5° C en cas de canicule… »
source : Des villes toujours plus grosses / CNRS
Mickaël Labbé dans Quelle ville voulons-nous ? Des pathologies urbaines au droit de la ville, (Cahiers philosophiques, 2016/3 (n° 146), p. 61-81) indique que les transformations urbaines actuelles ne vont pas dans le sens d'une vie collective socialement acceptable :
Nous ne citerons ici que quelques tendances contemporaines très bien étudiées par ailleurs, notamment dans les ouvrages toujours détonants de Mike Davis: la constitution du monde urbain comme «bidonville global» dans une bonne partie du monde, le développement des gated communities et autres «ghettos du gotha» climatisés et sécurisés et la relégation des populations exclues dans des espaces de plus en plus à l’écart, ce que l’on pourrait appeler une forme de «dubaïsation» des grandes mégalopoles, la «dysneylandisation» et la muséification des villes et notamment de certaines villes européennes (Bruges, Dubrovnic, etc.), la «gentrification» des centres-villes et l’expulsion des populations historiques de leurs habitations populaires, le shopping et le tourisme comme mode de rapport principal à l’espace urbain, la raréfaction des programmes d’espaces verts et d’espaces libres pour les rencontres non productives, l’absence de toute planification en termes d’habitat social dans de grandes parties du monde, le «manque» de logements, etc. Tous ces phénomènes de fond qui affectent le devenir de nos villes vont bien dans le sens d’une distension du social et d’une privatisation de l’espace au service d’intérêts avant tout spéculatifs et marchands. Et s’il est bien connu que l’urbanisation est dès l’origine liée à l’industrialisation capitalistique et implique ainsi une matérialisation explicite des antagonismes économiques, il pourrait également être intéressant de réinterpréter l’ensemble de ces phénomènes urbains et sociaux sous l’angle du concept de «pathologie du social» développé par le philosophe Axel Honneth.
La solution ? Repenser complètement l'urbain et concevoir une "ville durable". Quelques avis émergent :
Le thème de la « ville durable » s’avère désormais indispensable. Depuis le Sommet des Nations unies sur l’homme et l’environnement, à Stockholm, en 1972, et le rapport Brundtland de 1987, la notion de durabilité est établie. Si désormais le concept est fondamental, il est très complexe compte tenu de la diversité des systèmes urbains. Si tout le monde est d’accord sur les effets pervers de l’urbanisation, les méthodes à suivre se multiplient. L’étalement spatial est pourtant très différent du principe de ville. Il faut préserver les espaces naturels, protéger les zones agricoles, gérer l’eau et les sols, réduire la consommation d’énergie. Pourtant, le plus souvent, la ville compacte, associant le travail et l’habitat a disparu pour céder la place au polycentrisme. [...]
Les défauts de l’étalement urbain sont connus, depuis l’impact sur l’environnement, jusqu’au coût des infrastructures. Ainsi, 51 % des ménages périurbains ont deux voitures mais seulement 20 % dans les centres villes. Il faut pourtant maintenir la proximité de l’habitat, des services et des fonctions. Dans certaines communes, les habitants de pavillons ou d’immeubles n’ont pas de transports en commun à une distance raisonnable : il faut une voiture ou parcourir des kilomètres pour aller travailler et faire ses courses. Dans le périurbain, la voiture est essentielle (ou le transport en commun) mais c’est un facteur de pollution et de contribution à l’effet de serre. Rodolphe Dodier pense que « l’étalement urbain semble donc devoir être combattu si on applique les perspectives du développement durable » [2005]. On critique aussi dans l’étalement urbain une ségrégation sociale mais cette constatation est l’objet de désaccords. Dans la France de l’Ouest, cette opposition ne serait pas remarquée. Le rôle des Schémas de cohérence territoriale (SCoT) est de maîtriser la consommation d’espace mais les territoires des SCoT sont très variés ; faut-il densifier l’occupation des territoires : ce sujet est fondamental. Les sites de transports sont des pôles essentiels mais les petites agglomérations, les banlieues, les campagnes sont mal desservies. Un débat est donc ouvert car il concerne les formes urbaines. Quatre thèmes seront l’objet de discussions : « la ville compacte », « l’intensité urbaine », « la densification acceptée » et « la relation urbanisme-transport ».
De nombreux auteurs, partisans de la « ville durable » s’opposent pourtant à la ville compacte. Certains projets sur la durabilité veulent dissoudre le concept de ville avec un étalement spatial « harmonieux » abolissant la coupure ville-campagne ! D’autres critiques sur la notion de « ville compacte » reposent sur l’absence d’étude décisive concernant les effets positifs de cette concentration : elle ferait même augmenter la pollution, la congestion. Il est bien évident que la concentration ne résout pas des problèmes comme celui du trafic ; la corrélation entre forte densité et diminution des déplacements n’est pas établie. En revanche la forme polynucléaire paraît intéressante avec un réseau de sous-centres. Le fait majeur est donc le système de transport : il s’agit d’accepter des banlieues très peuplées à condition qu’elles soient bien desservies. Dans ces projets on oublie toujours l’importance du désir de « nature », de voyages, de liberté et de services à proximité. Il ne s’agit plus dans ce cas de « ville durable » mais d’un mitage difficilement contrôlable.
source : PAULET Jean-Pierre, « Chapitre 17 - Problèmes urgents et avenir des villes », in La France : villes et systèmes urbains publié sous la direction de PAULET Jean-Pierre. Paris, Armand Colin, « Collection U », 2010, p. 185-205.
Et que penser de l'un de nos besoins humains les plus primaires : comment s'alimenter dans l'espace urbain ? Se nourrir sans agriculture rurale est-ce possible ? L'agriculture urbaine ne permet pas encore aux villes d’être autosuffisantes. "Dans des villes comme Paris, le manque d’espace au sol, l’inclinaison des toits et le manque d’accès à l’eau limitent les capacités de production. " Encore une fois, il faudrait complètement repenser la construction et l'espace urbain ainsi que nos modes de consommation.
Ajoutons à tout cela une considération toute personnelle : les différentes cultures existeraient-elles encore dans votre ville surdimensionnée ? Ce qui fait la richesse de notre planète et des peuples qui l'occupent, c'est aussi sa diversité.
Pour aller plus loin, quelques articles qui imaginent les villes du futur :
- À quoi ressembleront les villes du futur ? / Nathalie Mayer - Futura Sciences - 3 mars 2017
- Mégalopoles : les projets les plus fous / Paul Molga - Les Echos - 25 févr. 2014
- Villes du futur : les projets les plus fous des cités futuristes / Usbek & Rica - 29 Oct 2013
Nous vous invitons également à venir consulter les ouvrages proposés dans notre fonds "focus" consacré à la thématique de la Ville, situé au département Société de la Bibliothèque de la Part-Dieu. Vous y trouverez des documents généraux d'urbanisme, ainsi que des livres sur l'aménagement du territoire, la géographie urbaine, la sociologie urbaine, sur la thématique du vivre ensemble, des mobilités et transports, sur la ville durable, les politiques de la ville, des quartiers et banlieues, ainsi que des DVD et périodiques.
Pour répondre à votre deuxième interrogation, c'est Lausanne (130 000 habitants) qui semble être la plus petite ville dotée d'une ligne de métro automatique.
Vous trouverez une liste de grands travaux inutiles sur Wikipedia un un ouvrage à consulter : Le petit livre noir des grands projets inutiles / Camille.
Ces autres articles pourront vous intéresser :
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Bonne journée.