Où trouver des listes de prisonniers rapatriés de Russie en 1815 ?
Question d'origine :
Bonsoir,
Ma question concerne les soldats français prisonniers en Russie en 1814.
Cherchant un soldat "présumé prisonnier" selon le registre matricule du 21ème régiment d'infanterie de ligne, j'ai vérifié vainement la liste des 16 000 prisonniers décédés (notaire E. MEHLISS).
Cependant, j'ai appris que 3 navires venant de Riga ont rapatrié 900 prisonniers au Havre ( Vl. SIROTKINE) et fin 1815, plusieurs milliers de prisonniers ont rejoint la France.
Où (archives et/ou livres) pourrais-je trouver des listes de prisonniers rapatriés ?
Déjà, merci pour vos suggestions et éclaircissements.
Réponse du Guichet
Dans le désordre de la retraite de Russie, la trace de nombreux prisonniers a été perdue. Ceux-ci peuvent avoir connu des destins divers. Certains sont morts suite aux privations et aux mauvais traitements infligés en captivité. Certains ont pu être rapatriés à l'occasion de plusieurs missions diplomatiques organisées à cet effet, ou sont rentrés par leurs propres moyens. Mais d'autres ont simplement choisi de rester en Russie, profitant d'une législation incitative. Dans tous les cas, les sources documentaires pouvant nous éclairer sur leur sort restent hélas très parcellaires et éparses, et peu d'études ont été consacrées au destin de ces prisonniers.
Bonjour,
Vous recherchez la trace d’un soldat français «présumé prisonnier» en Russie en 1814.
Dans l’ouvrage Lendemains d’Empire, les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Nathalie Petiteau revient sur le nombre important de prisonniers durant les campagnes Napoléoniennes, les conditions misérables de la captivité, et sur le difficile suivi des destins de ces prisonniers de guerre. Après une étude sur le 52e régiment d’infanterie, elle montre également que la fiabilité des registres de contrôle de régiments n’est pas absolue :
Plus de 28% des Vauclusiens engagés dans le 52e régiment d’infanterie de ligne en juillet 1807 ont été prisonniers de guerre. 7 des 38 hommes originaires du Doubs […] ont connu un sort identique. Si, pour deux des Vauclusiens, la mort dans les prisons étrangères est attestée, presque tous leurs camarades, à trois exceptions près, n’ont jamais réintégré leur régiment, et il en va de même des 7 Comtois: les silences des registres de contrôle de troupes laissent ainsi imaginer combien sont morts en captivité sans que jamais leurs familles aient pu savoir quel fut leur destin. Au total, 32% des hommes de la cohorte Vauclusienne ont disparu sans laisser plus ample trace dans le registre de contôle de leur régiment. Toutefois, il existe des cas où tel homme rayé pour longue absence sur les contrôles de troupes réapparaît dans son village natal: il en est ainsi pour l’un des militaires du canton de Lisle-sur-Sorgues, retrouvé dans les tables de déclaration de succession du canton. De même, Joseph Honoré Casimir Bailly, d’Ansouis, menuisier de son état, a été fait prisonnier en Russie en 1812 après un an de service: «rayé des contrôles pour longue absence», il est en réalité rentré en France, dès 1814 semble-t-il, «avec plusieurs blessures», ce qui suggère aisément les souffrances endurées sur le chemin qui l’a ramené de Russie en France.
Lors de la retraite suivant la campagne de Russie de 1812, et bien que les chiffres diffèrent d’une source à l’autre, il ne fait aucun doute que la grande armée napoléonienne a été cruellement décimée, comme l’indique Jacques-Olivier Boudon dans son ouvrage Napoléon et la campagne de Russie.
Sur les 600000 hommes ayant franchi le Niémen entre juin et octobre, ils ne sont que quelques milliers à revenir à la fin de décembre, entre 60000 et 80000 hommes selon les sources. Si le nombre de morts, que ce soit au combat ou du fait de la faim, du froid, ou des conditions sanitaires précaires est important, de nombreux soldats ont également été faits prisonniers. Leur décompte est toutefois difficile et leur retour s’est fait en plusieurs étapes.
Jacques-Olivier Boudon estime le nombre de prisonniers fait par les Russes à environ 200000, soit le tiers des troupes engagées en Russie en 1812 et dans les premières semaines de 1813. Il développe longuement sur les mauvais traitements dont sont victimes les soldats capturés, et qui entraînent une importante mortalité dans leurs rangs. Ainsi, parlant d’un groupe d’officiers faits prisonniers en décembre 1812 :
Au total, sur les quatre-vingts officiers[…], trente-deux décèdent. Les survivants sont envoyés vers l’est avec d’autres prisonniers, formant à nouveau un groupe de quatre-vingts au sein duquel cinquante meurent pendant le trajet.
Sébastien-Joseph Comeau, un officier fait prisonnier à Polotsk et ayant survécu, témoigne de l’importante mortalité parmi leurs rangs :
Cette ville était le lieu de réunion d’un grand nombre de blessés et de prisonniers mourant de froid et de misère. J’ai passé ces neuf mois au milieu de la mort et des cadavres. On fut obligés de brûler tous ces corps pour éviter de plus grands maux au dégel. Cinquante-six mille corps furent brûlés à Polotsk sur trois bûchers.
Si leurs conditions s’améliorent sensiblement à partir de janvier 1813, elles restent très rustiques, et dépendent beaucoup de la bonne volonté du gouverneur du lieu, certains seront ainsi répartis chez les paysans locaux, quand d’autres seront soumis aux travaux forcés, voire purement et simplement éliminés.
Les survivants, sont alors souvent conduits en Sibérie, là aussi dans des conditions très difficiles, comme en témoigne un autre officier prisonnier :
Ce voyage se fit encore une fois au milieu d’actes d’inhumanité inouïs et de la brutalité la plus excessive. Ceux qui avaient le malheur de rester en arrière de la colonne, par suite de congélation au pied ou à quelque autre partie du corps, par suite de fatigues excessives, par épuisement, étaient très souvent dépouillés de leurs vêtements par les cosaques et assassinés à coups de lance ou à coup de sabre.
D’après Boudon, la captivité des soldats survivants dure entre 18 mois et deux ans, leur condition s’améliorant lorsqu’ils parviennent à leur destination, qui s’étend sur une vaste zone de Moscou à la Sibérie. Ils reçoivent alors des vêtements, de la nourriture, ainsi qu’un petit pécule. Toutefois, leur situation sanitaire est alors déplorable, entraînant là encore une importante mortalité. Les officiers sont alors laissés libres de leurs mouvements, alors que les soldats sont employés à divers grands travaux, et restent sous la surveillance de la police.
Ces différences de traitement en fonction du moment et du rang du soldat rendent selon Boudon impossible le calcul du taux de mortalité. Toutefois, il évalue, sur les deux cent mille prisonniers, la part de ceux qui rentrent à environ 30000 en 1814. Il évalue à plusieurs milliers le nombre de prisonniers qui restent en Russie, tout en insistant sur le nombre important de soldats qui disparaissent sans que l’on puisse connaître leur sort.
En effet, si de nombreux prisonniers rentrent au pays à la faveur de l’abdication de Napoléon, d’autres préfèrent rester en Russie. En effet, un oukaze de 1813 leur permet d’obtenir la nationalité russe, de manière provisoire ou définitive, et leur accorde des terres et le statut de colon dans diverses régions.
Spécialiste des français emprisonnés en URSS durant la seconde guerre mondiale, Régis Baty a consacré un article à ces milliers de prisonniers oubliés de la campagne de Russie. Il cherche à comprendre le nombre relativement faible de témoignages de soldats revenus de captivité compte tenu du nombre important de détenus. Il retrace les différentes études (ou leur absence) ayant abordé la question depuis la fin immédiate du conflit jusqu’à nos jours.
De son côté, François Houdecek a écrit un article en 2014, Le gouvernement de Louis XVIII et le retour des prisonniers de guerre français en Russie en 1814-1816, dans la revue Naoleonica, dans lequel il revient en détail sur les missions organisées par la France pour faire revenir les prisonniers français disséminés sur le continent et sur les difficultés qu'elles ont rencontrées, qu’elles soient d’ordre pratique ou diplomatique.
Il s’est notamment appuyé, pour cet article, sur les archives du service historique de la défense, en particulier la sous série C18, et également le carton d’archive 65 intitulé "Prisonniers de guerre rentrés de Russie, Prusse, Allemagne 1814" (voir l’inventaire de la sous-série, p.86).
L’ouvrage de Jérôme Malhache Retrouver un ancêtre soldat de la révolution ou de l’empire, mentionne également cette sous-série C18, au chapitre consacré aux prisonniers. Il insiste toutefois sur l’aspect lacunaire des sources disponibles, et sur le fait qu’elles concernent principalement les retours massifs de prisonniers. Concernant les prisonniers rentrés par leurs propres moyens, il renvoie aux registres de la sous-série Yc et de la série X.
Nous vous souhaitons bonne chance dans la suite de vos recherches.
Le département civilisation