Pourquoi et depuis quand les femmes ne sont pas considérées comme égales aux hommes ?
Question d'origine :
Bonjour
Pourquoi et depuis quand les femmes ne sont pas considérés comme égal aux hommes ?
Merci
Réponse du Guichet

Le mythe de l'infériorité des femmes est le fruit d'une longue élaboration dont l'histoire remonte au moins à l'Antiquité grecque : Aristote serait un champion de la théorie misogyne.
Bonjour,
Il y a quelques mois nous publiions une réponse à la question Pourquoi les femmes semblent être considérées inférieures aux hommes ? qui apporte de nombreux éléments :
La prétendue infériorité des femmes est le résultat d’une longue élaboration intellectuelle.
Ainsi, en 2021, lors d’un évènement sur les conditions de vie et mobilisations féministes et une exposition sur le corps des femmes, En corps elles, nous montrions comment ce discours patriarcal ou plutôt ces discours puisque touchant tous les domaines (social et politique, culturel, biologique …) s’inscrivaient dans un temps long.
Sans reprendre tout l’argumentaire, car il serait trop vaste pour être traité en une réponse du Guichet, nous évoquions que "dès l’Antiquité, Aristote décrit “la femme” comme un mâle incomplet, qui ne peut vivre que dans la subordination du sexe dominant, “l’homme”. Les auteurs médiévaux voient en Adam l’esprit et en Eve la chair mais une chair coupable". Dans cette logique, les femmes sont des êtres faibles, tentatrices et fautrices et sont plus proches de la nature alors que les hommes sont clairement positionnés du côté de la culture. Cette vision patriarcale, quoique remise en cause aujourd’hui persiste encore et maintient les femmes dans une position dominée.L’étude de Gabrielle Poeschl, Inégalités sexuelles dans la mémoire collective et représentations des différences entre les sexe (consultable à partir de la base de données cairn, disponible dans les bibliothèques municipales de Lyon), dont nous ne citons que quelques extraits mais qui mérite d’être lue dans son intégralité, montre comment la mémoire collective participe à la représentation des différences entre les sexes : aux hommes la domination et aux femmes la faiblesse. Elle écrit ainsi :
"Ces plages reconstruites de l’histoire traduisent souvent des a priori ou des préjugés, lorsqu’elles ne servent pas à expliquer et à justifier les relations qu’entretiennent aujourd’hui certains groupes sociaux. Par exemple, la croyance selon laquelle, dans les premiers groupes humains, les hommes partaient chasser pour nourrir leur famille alors que les femmes restaient au campement pour s’occuper des enfants est commune, mais inexacte. Elle peut cependant être expliquée par le fait que nous assumons souvent que ce qui est vrai dans notre société est naturel ou normal, et qu’il en était de même à d’autres époques ou dans d’autres cultures (Nielsen, 1990).
La conviction que les hommes et les femmes sont faits pour vivre dans des sphères séparées, de statut inégal, est liée à une autre croyance, tout aussi largement répandue, selon laquelle les hommes et les femmes auraient des traits de personnalité, des compétences et des comportements différents. L’affirmation de l’existence de différences naturelles entre les sexes, qui a succédé à l’affirmation de l’infériorité des femmes, est une construction sociale relativement récente. Elle a fait – et fait encore – l’objet de nombreux débats, aussi bien dans les milieux académiques que dans les conversations quotidiennes. À l’heure actuelle, les oppositions entre les partisans de l’égalité dans la ressemblance et ceux de l’égalité dans la différence continuent à refléter des motivations différentes qui renvoient, inéluctablement, à des façons distinctes de concevoir les relations entre les groupes sexuels.(...)
Ainsi, alors que le modèle familial des classes moyennes se répand tout au long du XIXe siècle à l’ensemble des classes sociales, des théories destinées à expliquer et à justifier la position sociale des deux groupes sexuels par des dispositions naturelles vont se développer. Par exemple, les femmes n’échappent pas aux premières tentatives de classification scientifique des êtres humains, à laquelle se dédie la nouvelle science de la crâniométrie. S’inspirant des théories darwinistes, cette discipline cherche à baser les mesures de l’intelligence sur un critère objectif, le volume du cerveau. Ces mesures permettent de vérifier qu’il existe une relation entre la taille du cerveau et l’appartenance sexuelle, preuve évidente de l’infériorité des femmes. Comme l’explique clairement Le Bon (1879), « dans les races les plus intelligentes, comme les Parisiens, il y a une proportion notable de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus par le volume de ceux des gorilles que des crânes du sexe masculin les plus développés [...]. Cette infériorité est trop évidente pour être contestée un instant, et on ne peut guère discuter que sur son degré. Tous les psychologistes qui ont étudié l’intelligence des femmes ailleurs que chez les romanciers ou les poètes reconnaissent aujourd’hui qu’elles représentent les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont beaucoup plus près des enfants et des sauvages que de l’homme adulte civilisé » (cité par Gould, 1983, p. 120).
Dans la ligne de la phrénologie introduite par Gall au début du siècle, on présente les femmes comme dominées par les instincts et les émotions, manifestations inhibées chez les hommes par leur intelligence supérieure (Shields, 1986). En outre, la forte proportion de génies de sexe masculin et d’hommes dans des positions de pouvoir et de prestige reflète la grande variabilité des compétences intellectuelles masculines, tandis que l’infériorité intellectuelle s’impose comme un trait commun à l’ensemble des femmes, qui justifie que leur éducation soit adaptée à leurs rôles d’épouse et de mère (Shields, 1986). Finalement, les différences morphologiques entre les sexes expliquent leurs différences d’aptitudes, de tempérament et d’intelligence, puisque « les énergies de la femelle sont orientées vers la préparation à la grossesse et à la lactation, ce qui réduit l’énergie disponible pour le développement d’autres qualités » (Herbert Spencer, 1891, cité par Shields, 1986, p. 52).
Les conclusions de l’élite intellectuelle du XIX e siècle semblent largement converger. Pour Darwin (1871), la supériorité masculine est naturelle et universelle et l’homme est supérieur à la femme dans tout ce qu’il entreprend ; Comte, selon Rigolage (s/d), constate l’infériorité des femmes dans les beaux-arts et dans les fonctions du gouvernement, même lorsque celles-ci ne s’appliquent qu’à la gestion de la famille ; Durkheim (1893) attribue au progrès de la civilisation le fait que les cerveaux des deux groupes sexuels se différencient toujours davantage, cette différenciation étant due au développement des crânes masculins et à l’arrêt, voire à la régression, des crânes féminins.Rares sont les auteurs qui se risquent à prendre la défense des femmes. …"
Dans notre réponse précédente, Aristote a-t-il affirmé que les femmes avaient moins de dents que les hommes ?, nous mentionnions :
C'est en effet dès l'Antiquité que se construit le mythe du sexe faible "grâce" entre autres à Aristote qui déclare que les femmes ne sont que le résultat d'un développement embryonnaire imparfait et inachevé.
Aristote cherche à établir l’idée d’une infériorité de la femme par rapport à l’homme, en s’efforçant de démontrer qu’il existe entre eux une différence de nature, de même qu’entre la matière et la forme la différence est de nature et non pas simplement de degré. En effet, le marbre qui est la matière, n’est pas de la même nature que la forme de la statue que le sculpteur se représente dans son esprit et qu’il se propose de créer. Or, selon Aristote, la matière ne se laisse pas « informer », « structurer » par la forme sans opposer une résistance. C’est cette résistance qui est la source de tout désordre, de toute imperfection, c’est-à-dire de tout écart par rapport à la perfection de la forme. Ainsi, la femme, étant à l’homme, selon Aristote, ce qu’est la matière à la forme, la laisser à elle-même, lui confier des responsabilités politiques, c’est courir le risque de précipiter la société dans le désordre. Cette conception de la femme comme source de chaos, d’absence d’ordre, remonte si loin dans l’imaginaire de l’humanité qu’elle se pare de la dimension d’un mythe.
Dans notre réponse, la guerre des sexes, nous présentions certaines études dont l’ouvrage Féminins / Masculins : sociologie du genre qui revient, dans son premier chapitre, sur la construction des identités masculines et féminines :
""On ne naît pas femme [ou homme], on le devient. "L’idée d’une construction culturelle des identités de genre, de leur production comme résultat d’une socialisation est loin d’aller de soi. […]
L’argument selon lequel la nature déterminerait la culture est bien connu. Il est repris par tous ceux qui estiment que les différences biologiques entre hommes et femmes justifient des rôles sociaux distincts. Parce qu’il est fort et agressif, l’homme fait la guerre. La femme est, elle, faite pour des tâches demandant moins de force mais plus de patience, de précision, d’attention à autrui comme le maternage, la cuisine, la couture. La femme doit s’adonner à des activités plus simples, plus manuelles, car son cerveau est moins gros que celui de l’homme. « Il est [donc] permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle », écrivait ainsi le médecin français Paul Broca, en 1861 (Vidal, 2008, p.76).
Ces raisonnements peuvent assez aisément être inversés et, comme le montre C. Vidal (2008), si les études scientifiques qu’ils mobilisent apparaissent peu crédibles, celles qui montrent combien la culture peut transformer la nature, le biologique, le physique, apparaissent au contraire très sérieuses. A titre d’exemple, aucune étude non contestée a pu prouver un lien véritable entre degré d’intelligence et taille du cerveau – celui d’Einstein, conservé après sa mort, étant notoirement sous la moyenne. La légitimité d’une affectation à chaque sexe de certaines tâches sous prétexte que la femme, dotée d’un cerveau plus petit, serait moins intelligente, paraît donc très limitée. […]"
Divers sujets, traités par nos soins permettent de comprendre comment les femmes ont été invisibilisées, infériorisées :
carnet de chèque pour les femmes
Quelle est la place des femmes dans les sciences ?
Quel était le statut des femmes gauloises ?
doctrine chrétienne sur l’âme des femmes
Dans les réponses en lien ci-dessus, nous vous invitons à consulter celle sur le statut des femmes gauloises : celles-ci, si elles étaient exclues de toute participation physique aux affaires guerrières, exerçaient un rôle crucial dans la vie économique et la gestion des domaines agricoles. Égales économiquement notamment sur le plan de l'héritage, elles exerçaient à l'occasion des responsabilités judiciaires.
Notons que la Gaule n'eut pas le monopole de la (relative) bonne condition des femmes. Selon le travail de Coralie Verstraete pourson mémoire de Master à l'Université de Nanterre et dont vous découvrirez le propos dans l'article Naître et vivre femme en Égypte ancienne, disponible sur cmhnhypotheses.org, l'Egypte ancienne instaura une quasi-égalité entre les sexes :
La femme en Égypte ancienne peut être perçue comme une arbitre d’elle-même. Contrairement aux femmes de la Grèce antique, qui étaient d’éternelles mineures, elles avaient accès, en Egypte, à plus de libertés, les femmes étant considérées comme des égales de l’homme. En effet, les Egyptiens pensaient que le dieu qui avait créé ces deux sexes n’avait pas fait de différenciation. Ainsi, la femme n’avait de différent de l’homme que son sexe naturel.
Symboles de sagesse, les Égyptiennes ont accès à l'éducation, à la fonction publique, à l'artisanat, et connaissent l'égalité salariale avec les hommes ! L'égalité juridique est également effective :
La place des femmes en Égypte ancienne est un trait aujourd’hui des plus frappants d’une société de l’Antiquité. Elle est l’égale de l’homme dans chacun des moments de sa vie : elle peut faire des études, elle a la possibilité d’hériter, de divorcer, et même d’intenter un procès contre son mari pour récupérer des biens, pouvant également le gagner. Après son divorce, elle pouvait se remarier. L’égalité des sexes n’était pas un acharnement ou une lutte continuelle. C’était un don des dieux, qui avaient façonné les hommes et les femmes comme des êtres égaux, et que leur sexe, par nature, n’était pas un élément de différence. Comme nous l’avons vu, chacun avait son rôle, la femme étant la maîtresse de maison et la mère des enfants du mari.
Alors que non loin de là, la femme en Grèce était une éternelle mineure, utilisée par son mari et son père dans l’unique but de procréer, ne pouvant travailler, ou avoir des droits au sein de sa polis, en Égypte, la femme était protégée au point qu’un scribe, Ani, a écrit pour un jeune mari : « Si tu es sage, garde ta maison, aime ta femme sans mélange, nourris-la convenablement, habille-la bien. Caresse-la et remplis ses désirs. Ne sois pas brutal, tu obtiendras bien plus d’elle par les égards que par la violence. Si tu la repousses, ton ménage va à vau-l’eau. Ouvre-lui tes bras, appelle-la; témoigne-lui ton amour. » (papyrus d’Ani)
Lorsqu'on veut remonter plus loin, se pose le problème des sources écrites, qui ne seront pas antérieures à l'avènement de la civilisation mésopotamienne. Malgré la rareté des sources, une histoire des femmes en Mésopotamie est en train de se constituer. Voyez les articles de Cécile Michel :
Cécile Michel. Femmes et ancêtres. Le cas des femmes d'Assur Topoi Orient Occident. Supplément, 2009, 10, pp.27-39.
Cécile Michel. Les femmes et les dettes: problèmes de responsabilité dans la Mésopotamie du IIe millénaire avant Jésus-Christ. Méditerranées, 2003, 1 (34-35), pp.13-36.
Enfin, le regard sur nos ancêtres préhistoriques est en train de changer, comme nous l'explique la préhistorienne Marylène Patou-Mathis dans L'homme préhistorique est aussi une femme : une histoire de l'invisibilité des femmes et dans son entretien à France Inter en avril 2021 : alors qu'il était il y a peu évident que le pouvoir au paléolithique était détenu par des brutes masculines, les recherches les plus récentes montrent que l'inégalité sociale entre les sectes est indétectable dans les vestiges de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, et que les premières hiérarchisations commencent avec le développement de la sédentarité, de l'agriculture et de l'élevage.
Le sujet est bien entendu trop vaste pour être résumé ici. Pour poursuivre vos recherches, vous trouverez dans le Point G (centre de ressources sur le genre) situé en salle Civilisation à la Part-Dieu, une sélection de documents ciblée sur les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle. Plus généralement, de nombreuses ressources sont disponibles à notre catalogue :
Oeuvres de Michelle Perrot sur l'histoire des femmes
Histoire des femmes en Occident. 01 : L'Antiquité / sous la dir. de Georges Duby et Michelle Perrot/ / sous la dir. de Pauline Schmitt Pantel ; [préf. par Georges Duby et Michelle Perrot]
Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes / Soledad Bravi, Dorothée Werner
La construction sociale de l'inégalité des sexes : des outils et des corps / Paola Tabet
Les femmes dans l'ancienne Égypte : les filles d'Isis / Joyce Tyldesley ; trad. de l'anglais par Isabelle Maillet
La véritable histoire des femmes : de l'Antiquité à nos jours / présenté par Yannick Ripa
Bonne journée.
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