Dans "genre queer" le schéma sur la différenciation sexuelle est-il validé scientifiquement ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans l'excellent roman graphique "Genre Queer" de Maia Kobabe", on trouve en pp. 200 à 203, quatre planches dans lesquelles, Patricia Churchland décrit les étapes biologiques de la différenciation sexuelle au cours de la grossesse.
https://i83.servimg.com/u/f83/15/49/53/29/queer_10.jpg
https://i83.servimg.com/u/f83/15/49/53/29/queer_11.jpg
e schéma est-il confirmé par la communauté scientifique ?
D'avance je vous remercie.


Réponse du Guichet

Le schéma semble reprendre correctement la thèse de Patricia Churchland, thèse qui ne fait pas l'unanimité dans les communautés scientifiques.
Bonjour,
Il n’est pas aisé de vous répondre car la question des neurosciences divise profondément les communautés scientifiques et l’approche du genre par les neurosciences soulève de nombreuses réticences. Aussi, au-delà du schéma même qui semble respecter la pensée de Patricia Churchland, c’est la thèse de cette scientifique qui fait l’objet de controverses. N’étant pas les plus expert.es pour nous prononcer sur celle-ci, nous allons également solliciter des contributions plus expertes que nous ne manquerons pas de vous transmettre.
Pour revenir sur cette thèse, le journal Los Angeles Times consacre une recension à l’ouvrage de Kobabe dans lequel il indique
Kobabe includes a fascinating section about the philosopher Patricia Churchland, a professor emerita at UC San Diego, who popularized the concept of “neurophilosophy,” a discipline that connects neuroscience and philosophy.
In her 2013 book, “Touching a Nerve: Our Brains, Ourselves,” Churchland delves into the biochemistry of fetal sexual development to explain why it’s possible to have female reproductive organs but feel like a male, and vice versa. It has everything to do with biology, hormones and the developing fetal brain. “In most cases,” writes Churchland, gender identity “is purely biological.”
“So, Lady Gaga was right,” writes Kobabe exultantly. “I was born this way.”
Traduit d’après deepL :
Kobabe inclut une section fascinante sur la philosophe Patricia Churchland, professeur émérite à l'université de San Diego, qui a popularisé le concept de "neurophilosophie", une discipline qui relie les neurosciences et la philosophie.Dans son livre de 2013, "Touching a Nerve : Our Brains, Ourselves", Mme Churchland se penche sur la biochimie du développement sexuel du fœtus pour expliquer pourquoi il est possible d'avoir des organes reproducteurs féminins mais de se sentir comme un homme, et vice versa. Tout est lié à la biologie, aux hormones et au développement du cerveau du fœtus. "Dans la plupart des cas, écrit Churchland, l'identité de genre est purement biologique.
La critique de la thèse de Patricia Churchland dans newhumanist.org est assez virulente. En voici une courte citation,traduite via deepl, Google traduction et avec quelques apports personnels:
Patricia Churchland défend la thèse centrale de son dernier livre – nous sommes "nos cerveaux" – depuis plusieurs décennies et souhaite arrêter de polémiquer. Au lieu de cela, elle accuse ceux qui remettent en cause ce dogme (éminemment contestable) d'être résistants à « la connaissance qui annonce un changement dans toute une façon de penser ». Elle les compare aux cardinaux qui ont refusé d'accepter la découverte par Galilée des lunes de Jupiter et ont refusé de regarder à travers son télescope, ou aux âmes aveuglées qui nient l'évolution darwinienne.Cette stratégie ad hominem est particulièrement coupable dans un livre tel que Touching a Nerve qui semble être destiné au grand public qui ignore peut-être qu'il existe de nombreux philosophes éminents (dont Saul Kripke, Thomas Nagel et David Chalmers) et des neuroscientifiques bien informés ne souscrivant pas à sa conviction que les esprits et les cerveaux sont identiques….
Cette thèse est en revanche défendue dans l’article« Mind reviews touching nerve » publié dans scientificamerican.com (2013) dont voici une traduction :
Lorsque Galilée a annoncé son observation des lunes de Jupiter, sa découverte a remis en question une façon profondément ancrée de penser notre place dans l'univers.
Les neurosciences modernes ont déclenché une révolution similaire dans notre façon d'appréhender le cerveau. Dans Touching a Nerve, le neurophilosophe Churchland affirme que toutes les choses que nous avons traditionnellement attribuées à une puissance supérieure - la moralité, le libre arbitre, l'âme - sont en fait des produits du cerveau. La mystérieuse masse de matière qui se trouve dans notre tête est responsable non seulement de tout ce qui fait de nous des êtres humains, mais aussi de ce qui nous rend uniques.
Cette idée que le cerveau est responsable de tous les aspects de notre vie physique et mentale a fait son chemin parmi les neuroscientifiques, mais l'idée du moi en tant que cerveau s'est également heurtée à des résistances. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi, note M. Churchland. Certaines recherches, par exemple, montrent que les schémas d'activité cérébrale peuvent prédire nos choix ou nos actions avant que nous ne soyons conscients d'avoir pris une décision, et il peut être difficile de réconcilier cette évidence avec la notion de libre arbitre.
Churchland illustre comment notre compréhension du cerveau commence à révéler la base biologique de traits tels que l'agression et la moralité. Par exemple, le zapping du lobe temporal par stimulation cérébrale profonde peut améliorer la mémoire spatiale, et l'utilisation d'un puissant aimant pour modifier l'activité de la jonction temporo-pariétale droite peut dérégler notre boussole morale, rendant admissibles des comportements que nous considérons comme immoraux.
Les patients souffrant de lésions cérébrales fournissent certaines des preuves les plus solides de la façon dont notre cerveau nous fait devenir ce que nous sommes. Les lésions de différentes parties du lobe frontal peuvent empêcher certaines personnes de parler ou modifier leur personnalité, entraînant des comportements impulsifs ou antisociaux, et les lésions du lobe temporal médian peuvent effacer nos souvenirs ou empêcher la formation de nouveaux souvenirs.
Mme Churchland mêle harmonieusement ces recherches à des expériences tirées de sa propre vie. Elle décrit, par exemple, comment, alors qu'elle grandissait dans une ferme en Colombie-Britannique, une amie a perdu la conscience de ses jambes après s'être blessée dans un accident de vélo, et comment sa grand-mère a perdu le sens de soi à cause de la maladie d'Alzheimer.
En s'inspirant d'histoires personnelles et de la recherche moderne sur le cerveau, Mme Churchland crée un récit convaincant pour faire avancer l'idée du moi en tant que cerveau. Son analyse prudente et bien étayée permet de comprendre comment nous avons développé des traits tels que l'empathie et l'altruisme et explore les facteurs génétiques et biologiques qui déterminent le sentiment unique de soi d'un individu. Grâce à ses exemples, nous pouvons tous comprendre plus clairement nos actions et nos intentions.
L’analyse de Churchland est néanmoins retrouvée dans de nombreux travaux. Il en est ainsi de l’étude de Julie Bakker,
L’α-fœtoprotéine protège le cerveau femelle en développement des effets masculinisants et déféminisants des œstrogènes, Med Sci, Volume 22, Number 5, 2006.
Sur le plan de la sexualisation, le cerveau et le comportement sont initialement indifférenciés. Puis il existe une période critique du développement embryonnaire durant laquelle, sous l’action des hormones sexuelles, le cerveau s’engage de façon irréversible dans une voie de différenciation de type mâle ou femelle. Selon la théorie « classique », établie durant les années 1960-1970, la testostérone sécrétée par les testicules fœtaux induirait une masculinisation (c’est-à-dire une augmentation des caractéristiques typiquement mâles) et une déféminisation (diminution des caractéristiques typiquement femelles) du cerveau et par conséquent du comportement sexuel chez le mâle [1]. Il faut remarquer que chez les rongeurs, les effets masculinisants et déféminisants de la testostérone sont produits principalement par son métabolite, l’œstradiol, synthétisé au niveau cérébral (Figure 1A). Contrairement à ce qui est observé chez le mâle, la différenciation du cerveau chez la femelle serait indépendante de toute sécrétion hormonale. Chez les mammifères, la différenciation sexuelle du cerveau conduirait donc spontanément au cerveau femelle : en l’absence de testostérone, les caractéristiques neurobiologiques et comportementales femelles se développeraient « par défaut ».
Cette étude est elle-même reprise et mentionnée dans l’article Un cerveau mâle ou femelle ? Une question d'oetradiol ! dont voici un court extrait :
Alors que les tabous autour de la sexualité tombent les uns après les autres depuis la fin du XXème siècle, le transexualisme reste relativement réprimé dans les sociétés occidentales. En effet, il y est souvent considéré comme une simple excentricité. Et pourtant, le transexualisme est une réelle discordance entre l’identité de genre et l’identité de sexe ressentie d’un individu. Pourquoi certaines personnes, malgré une anatomie parfaitement développée, ont-elles le sentiment d’appartenir à l’autre sexe ? L’origine de ce trouble est encore mal connue à l’heure actuelle. Une des pistes suivies par les scientifiques est le rôle des hormones sexuelles au cours du développement embryonnaire. Celles-ci seraient en effet impliquées dans la différenciation sexuelle du cerveau humain et programmeraient l’identité et l’orientation sexuelle d’un individu dès le stade embryonnaire.
« Les hormones sexuelles ont deux types de rôle qu’il faut distinguer », explique Julie Bakker, chercheur qualifié FNRS au sein de l’Unité de recherche en Neuroendrocinologie du Comportement du GIGA de l’ULg. « Au cours du développement, c’est-à-dire jusqu’à la puberté, ces hormones interviennent dans l’organisation du comportement. Ensuite, à la puberté, elles jouent un rôle plus activateur au niveau des comportements sexuels ».
Une féminisation du cerveau « par défaut »
Selon la théorie classique, les différences sexuelles au niveau du cerveau des mammifères et de leurs comportements se développent sous l’influence des hormones gonadiques. Ainsi le cerveau évoluerait selon une voie de type mâle sous l’action de la testostérone secrétée par les testicules. « Chez le mâle, les testicules se développent au cours des premiers mois du développement embryonnaire. Elles sécrètent la testostérone qui atteint le cerveau dans le courant du deuxième trimestre de développement et induit sa masculinisation », précise Julie Bakker. En réalité, pour induire cette masculinisation du cerveau, la testostérone doit paradoxalement être transformée en œstradiol – hormone de la catégorie des œstrogènes, considérée comme la véritable hormone femelle - par une enzyme appelée «aromatase ». Il faut noter que la nécessité de cette conversion de la testostérone en oestradiol est surtout importante pour la masculinisation du cerveau chez les rongeurs. Par contre, nous pensons que c’est la testostérone et pas l’oestradiol qui masculinise le cerveau humain !
En attendant des informations complémentaires, nous vous laissons parcourir les articles suivants qui s’opposent clairement à la « neurophilosophie » et aux neurosciences » :
•Hardwired for Sexism? Approaches to Sex/Gender in Neuroscience, Neuroethics, December 2011
Charles T. Wolfe. Brain Theory Essays in Critical Neurophilosophy: Introduction. Brain Theory
Essays in Critical Neurophilosophy, 2014 .
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