Comment expliquer les performances exceptionnelles des coureurs du Tour de France ?
Question d'origine :
Titre suggéré : Un Tour à l'eau claire, vraiment ?
Bonjour Cher Guichet,
Serait-il possible de savoir s'il existe des études pouvant expliquer scientifiquement les causes des performances exceptionnelles, mesurées par certains analystes en watts-étalons notamment, sur le Tour de France cycliste 2023 et les épreuves comparables de ces dernières années : Alimentation, entraînement, mode de vie des coureurs, matériel utilisé, état du réseau routier emprunté, niveau de l'encadrement médical ou autre, etc...?
Réponse du Guichet
Plusieurs facteurs peuvent expliquer les performances des cyclistes du Tour : le travail de préparation physique et mentale des athlètes et leur formation, une modernisation des vélos, notamment une meilleure technologie roue-pneu qui permet de gagner quelques watts, une nutrition plus élaborée, le renforcement de la pharmacopée légale, une aide plus soutenue des coéquipiers...
Bonjour,
Plusieurs arguments sont avancés pour expliquer ces performances : l'aide plus soutenue des coéquipiers notamment dans les cols, mais aussi :
la modernisation des vélos, les investissements dans des microdétails de préparation, des formations les plus puissantes et une nutrition toujours plus élaborée. [...]
« Pogacar et Vingegaard ont encore passé un cran depuis l'année dernière. Je les classe dans les mutants dans les performances accomplies dans les ascensions de ce Tour. Ils font des choses que l'on n'a jamais vues depuis 1998 », s'exclame-t-il, s'appuyant sur son modèle des watts étalons, mesure qui indique la puissance nécessaire à un coureur type de 70 kg pour suivre les leaders de cette Grande Boucle. Dans les radars de Vayer, les deux coureurs tournent autour des 450 watts étalons dans les cols, là où leurs meilleurs poursuivants avoisinent les 430.
Les sceptiques assurent ainsi que l'évolution technologique des vélos reste un fait marginal, la fédération internationale ayant fixé un poids plancher de 6,8 kg dès 2000. « Beaucoup de choses ont évolué en vingt ans, maintient le manageur de la performance de la Fédération française de cyclisme, Emmanuel Brunet. Après la gravité, le deuxième facteur qui va limiter la vitesse d'un coureur dans une montée, c'est la résistance au roulement. On a beaucoup travaillé sur les pneumatiques, sur l'ensemble roue-pneu. On a gagné 12 watts sur ce plan-là. Si vous rajoutez les gains aérodynamiques, vous montez jusqu'à 18 dans une montée comme Joux Plane. Et à l'arrivée, vous gagnez une minute dans ce col. »
Ont-ils la « meilleure pharmacie » ?
Autre facteur où les observateurs se rejoignent : le renforcement de la pharmacopée légale. L'agence mondiale antidopage a retiré la caféine de ses substances interdites depuis 2004, tandis que les cétones, compléments alimentaires controversés, ne sont utilisées que par certaines équipes, comme le Thyrax (lire ci-dessous), un médicament pour la thyroïde qui, couplé à la cortisone, aide à maigrir. Une zone grise médicale s'est installée, où s'engouffrent ceux qui flirtent avec les limites.
« Pour moi, les meilleurs sont désormais ceux qui ont la meilleure pharmacie et qui s'entourent de gens spécialisés dans ce domaine, estime Jean-Pierre Verdy, ex-responsable des contrôles à l'Agence française de lutte antidopage. Une chose à faire à mon sens, c'est d'interdire les médicaments au sein même des équipes. Il faudrait une structure indépendante qui ferait office de pharmacie générale. »
« L'amélioration des performances s'explique facilement sans parler de tricherie, glisse l'ancien médecin de l'épreuve et spécialiste du dopage Jean-Pierre de Mondenard. Il faut rester vigilant, mais il ne faut pas non plus douter systématiquement des performances, surtout sans preuve. Si Pogacar et Vingegaard sont si loin devant les autres, c'est d'abord parce qu'ils sont plus forts. Jusqu'à preuve du contraire. »
source : Plus rapides qu'Armstrong, c'est inquiétant ? / Romain Baheux, Christophe Bérard, Éric Michel et Cyril Simon - Aujourd'hui en France - mercredi 19 juillet 2023
C'est également ce qu'indique Vingegaard (l'actuel maillot jaune) en conférence de presse : « C'est vrai que nous allons plus vite, que tout s'améliore, la nutrition, le matériel et l'entraînement... Tout cela est différent du passé, ce qui explique que les performances sont meilleures mais c'est quand même bien de penser à ce qu'il y a eu avant et d'être sceptique ».
Nous vous invitons à lire l'article très complet (citant quelques résultats de recherches scientifiques) de Sidney Grosprêtre, Maître de conférences en neurophysiologie à l'Université de Franche-Comté intitulé Cyclisme : et si on entraînait, aussi, le cerveau des coureurs ?. En voici un extrait :
En effet, si l’optimisation des performances sportives est souvent, à tort, attribuée uniquement à l’amélioration de nos capacités musculaires, elle dépend tout autant d’un autre élément qui compose notre corps : le système nerveux central, composé du cerveau et de la moelle épinière.
L’optimisation de cet important système est aujourd’hui au centre de toutes les attentions par les entraîneurs de haut niveau. En cyclisme, si la modulation de la performance a souvent été principalement attribuée à des facteurs physiologiques et biomécaniques, un nombre croissant d’études démontrent l’importance cruciale d’autres facteurs, notamment psychologiques. La perception de l’effort, par exemple, se caractérise par une sensation subjective de l’intensité de l’effort musculaire à fournir pour produire une performance donnée. Ce facteur, hautement important en cyclisme, se mesure habituellement par l’utilisation d’échelles subjectives. Les cyclistes ont d’ailleurs leur propre échelle, utilisée par la Fédération française de cyclisme : l’échelle d’estimation subjective de l’intensité de l’effort (ESIE) développée par Frédéric Grappe, chercheur et directeur de la performance à l’équipe cycliste Groupama-FDJ. C’est cette perception fine de l’effort qui permet notamment aux cyclistes d’ajuster finement la commande musculaire et la gérer durant de longues épreuves.
Cette commande motrice, qui contrôlera in fine la puissance musculaire, est également régulée via les différentes structures qui jalonnent le parcours de l’influx nerveux des aires motrices jusqu’à notre muscle, en parcourant la voie cortico-spinale. Dans l’autre sens, un certain nombre d’informations sensorielles remontent également en direction du système nerveux central et permettent d’ajuster la commande au fur et à mesure de ses sensations. On parle alors de boucle sensori-motrice, notre effort étant régulé en permanence grâce à un va-et-vient entre le cerveau et le muscle des informations sensorielles (ascendantes) et motrices (descendantes).
[...]
Ainsi, l’importance du système nerveux central dans la performance, particulièrement en cyclisme, ne semble plus à démontrer. Pourtant, il y a encore de nombreuses choses à découvrir sur le sujet, étudiées depuis peu. Après des décennies de travaux sur l’optimisation de la préparation physique, la clé du succès, celle qui façonnera le champion de demain, est peut-être là.
Dans un article du journal Le Monde, Antoine Vayer explique la méthode de calcul des watts : Pour tout comprendre sur le calcul des watts. Elle prend en compte le poids du coureur, celui du vélo et de l'équipement, la surface frontale, le coefficient de trainée mesurant la pénétration dans l'air, le coefficient de roulement, la vitesse moyenne, le pourcentage moyen, la densité de l'air, le rendement du vélo...
" Des études pointues ont été menées sur divers aspects tels que les vêtements, les vélos, les roues ainsi que la position des coureurs sur leur vélo. Étonnamment, les vélos empilés sur le toit des voitures suiveuses pourraient induire une poussée favorable aux cyclistes ! Une étude menée par l'Université catholique de Louvain en partenariat avec Ansys a révélé l'avantage aérodynamique que procurent ces vélos selon leur configuration sur le toit des voitures." Lire cet article : Tour de France : l'agencement des vélos sur les voitures peut aider les coureurs à pédaler plus vite.
Sur le site Statista, on retrouve quelques statistiques de vitesse.
Pour en savoir plus, nous vous renvoyons vers ces documents (thèses, résultats d'études scientifiques, livres) :
- Guide methodologique de de cyclisme entrainement et pédagogie
- Positions sur le vélo et performance en cyclisme / Anthony Bouillod
- Étude des mécanismes psychophysiologiques impliqués dans la réalisation d’une performance cycliste de haut-niveau / Théo Ouvrard
- Évaluation de l’effet d’une étude posturale dynamique cycliste sur le rendement énergétique, à court terme, chez le cycliste entraîné / Léo Gagnepain
- Etude de la puissance mécanique comme variable d'amélioration de la performance en cyclisme à travers l'interface homme-machine / Julien Pinot
- Analyse biomécanique multi corps et évaluation de la performance lors du départ en BMX race / Domitille Princelle
Deux livres :
- Cyclisme et optimisation de la performance / Fred Grappe - disponible à la BML
Quelques études en anglais :
- Nutrition in Cycling / Namrita Kumar Brooke, Ludmila Cosio-Lima
- Determinants of Cycling Performance: a Review of the Dimensions and Features Regulating Performance in Elite Cycling Competitions / Kathryn E. Phillips, William G. Hopkins
- Gross efficiency and cycling performance: a brief review / Simon A. Jobson, James G. Hopker, Tom Korff, Louis Passfield
- The effect of the aerodynamic time-trial position on gross efficiency and self-paced time-trial performance / Christopher Fennell, Ciaran O'Grady, James G. Hopker
- Cycling Performance and Training Load: Effects of Intensity and Duration / Antonis Kesisoglou, Andrea Nicolò, Louis Passfield
- Effects of Resistance Training Cessation on Cycling Performance in Well-Trained Cyclists: An Exploratory Study / Rúni Bláfoss, Jonas Rikardo, Asger Ø. Andersen, Lars G Hvid
- Branched-chain amino acid supplementation improves cycling performance in untrained cyclists / Faizal A Manaf, Jeremiah J Peiffer, Garth L Maker, Timothy J Fairchild
Bonne journée.