Auriez-vous une lecture bilingue médiévale à me conseiller ?
Question d'origine :
bonjour cher guichet du savoir, auriez-vous à me conseiller une lecture (bilingue médiéval - contemporain si je puis dire) qui me permette d'accéder au(x) langage(s) -oral & écrit- de cette époque ? merci
Réponse du Guichet
Il est facile de se familiariser avec le français médiéval écrit : de nombreux textes en bilingue sont disponibles, et des collections au Livre de poche ou aux éditions Honoré Champion y sont consacrées. Pour la langue orale en revanche, on se heurtera à un écueil malheureusement logique : les paroles s’envolent. La recherche actuelle tâche toutefois de reconstituer ces parlers grâce à des traces dans des sources écrites.
Bonjour,
Vous avez bien raison de suggérer un pluriel lorsque vous évoquez le français médiéval !
Et encore, en l'absence d'autre précision de votre part, nous avons limité notre recherche aux langues d'oïl, ensemble de dialectes du nord de la France et ancêtres les plus directs de notre langue actuelle.
Le français médiéval était moins une langue unifiée qu'un continuum de dialectes. Une histoire que nous vous racontions dans notre réponse Langues parlées dans le royaume de France au XIIIe siècle :
Au Moyen Âge, la langue française est faite d’une multitude de dialectes qui varient considérablement d’une région à une autre. On distingue principalement les parlers d’oïl (au Nord) et les parlers d’oc (au Sud). Avec l’établissement et l’affermissement de la monarchie capétienne, c’est la langue d’oïl qui s’impose progressivement.
Mais on peut dire que la France est, comme tous les autres pays d’Europe à cette époque, un pays bilingue: d’une part, la grande masse de la population parle la langue vulgaire (ou vernaculaire), qui est aussi celle des chefs-d’œuvre de la littérature ancienne (la Chanson de Roland, le Roman de la rose...) ; d’autre part, le latin est la langue de l’Église, des clercs, des savants, de l’enseignement, et c’est aussi l’idiome commun qui permet la communication entre des peuples aux dialectes plus ou moins bien individualisés.
Malgré la progression continue du français, cette coexistence se prolonge jusqu’au XVIIe siècle, et même bien plus tard dans le monde de l’Université et dans celui de l’Église. "
source : Académie française
[...]" C'est vers cette époque [IXe siècle] qu'apparaissent les premières différentiations linguistiques (entamées depuis au moins le Ve siècle) entre la zone de dialectes d'oïl et celle de dialectes d'oc (influencées par la romanisation), ainsi que la zone intermédiaire à laquelle le linguiste G.I. Ascoli donna le nom de franco-provençal en 1870 : elles ont connu une évolution divergente, on l'a vu, et la langue d'oïl elle-même n'est pas unifiée (la langue est restée plus stable dans le Sud). Le Poitou et la Saintonge, à l'origine de langue d'oc, sont de langue d'oïl depuis le Moyen-Âge. Certes, dans tous les parlers qui composent la langue d'oïl, il existe un fonds important de mots communs, mais ces parlers se distinguent aussi par un certain nombre de traits phonétiques et morphologiques.C'est ainsi qu'il existe de nombreux dialectes :
- de l'ouest : normand, anglo-normand, gallo, angevin, parler du Maine ;
- du Sud-Ouest : poitevin, saintongeais, angoumois (de langue d'oïl depuis le Moyen-Âge) ;
- du Centre : orléanais, berrichon, bourbonnais, champenois ;
- de l'Est : lorrain, franc-comtois, bourguignon ;
- du Nord : picard, wallon.
D'un dialecte à l'autre, il n'y a pas, toutefois, de frontière rigide ; il s'agit plutôt d'un continuum ménagé par des zones de transition, d'un dialecte se fondant imperceptiblement dans un dialecte voisin.
Si on s'en tient à la définition la plus commune d'un moyen âge compris entre la "chute" de l'Empire romain d'occident (476) et la prise de Constantinople par Mehmet II (1453), on découvre que le français "médiéval" correspond à deux états de la langue : l'ancien français et le moyen français, qui l’a progressivement remplacé vers le IVè siècle, et dont l’accès est infiniment plus aisé.
Pour découvrir ce patchwork de langues, une collection s'avère très utile : la collection Lettres gothiques, au Livre de poche, dirigée par le médiéviste reconnu Michel Zink :
Connaissez-vous Le Roman de Renard ? Œuvre classique, il n’est qu’un des multiples écrits qui ont marqué la littérature médiévale. De Chrétien de Troyes à Marco Polo, venez découvrir les auteurs les plus emblématiques du Moyen Âge en format poche ! Le texte original fait face à la traduction en français moderne, enrichie par des annotations et des présentations de spécialistes. Une collection de référence, dirigée par Michel Zink !
Source : site de l'éditeur.
Les éditions Honoré Champion publient également un riche catalogue d’ouvrages médiévaux en bilingue, pour un public plus savant.
La Bibliothèque municipale de Lyon possède un assez grand nombre de ces titres, qui vous permettront, en bilingue donc, de vous familiariser avec les français du moyen-âge:
- Erec et Enide / [Livre] / Chrétien de Troyes ; trad., présentation et notes de Jean-Marie Fritz
- Le Chevalier au lion [Livre] : ou Le roman d'Yvain / Chrétien de Troyes ; éd. critique d'après le manuscrit BN fr. 1433, trad., présentation et notes de David F. Hult
- Le chevalier de la charrette ou Le roman de Lancelot / [Livre] / Chrétien de Troyes ; éd. critique d'après tous les manuscrits existants, trad., présentation et notes de Charles Méla
- Le Conte du Graal ou le Roman de Perceval / [Livre] / Chrétien de Troyes ; éd. du ms. 354 de Berne, trad. critique, présentation et notes de Charles Méla
- Lais du Moyen âge [Livre] : récits de Marie de France et d'autres auteurs, XII-XIIIe siècle / édition bilingue publiée sous la direction de Philippe Walter ; traduit de l'ancien francais par Philippe Walter, Karin Ueltschi, du norrois par Lucie Kaempfer, Asdis R. Magnusdottir
- Raoul de Cambrai [Livre] : chanson de geste du XIIe siècle / introd., notes et trad. de William Kibler ; texte éd. par Sarah Kay
- Le roman de Troie [Livre] : extraits du manuscrit Milan, Bibliothèque ambrosienne, D 55, / Benoît de Sainte-Maure ; éd., présentés et trad. par Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard
- Première continuation de Perceval [Livre] : continuation-Gauvain / texte du ms L éd. par William Roach ; trad. et présentation par Colette-Anne Van Coolput-Storms
- Lancelot du lac en quatre volumes
- Le roman de la rose / [Livre] / Guillaume de Lorris et Jean de Meun ; éd. d'après les manuscrits BN 12786 et BN 378, trad., présentation et notes par Armand Strubel
- Le roman d'Alexandre / [Livre] / Alexandre de Paris ; trad., présentation et notes de Laurence Harf-Lancner ; avec le texte éd. par E. C. Armstrong et al.
- Le chemin de longue étude [Livre] : édition critique du ms. Harley 4431 / Christine de Pizan ; traduction, présentation et notes par Andrea Tarnowski
- Le conte du Papegau [Livre] : roman arthurien du XVe siècle / éd. bilingue, publication, traduction, présentation et notes par Hélène Charpentier et Patricia Victorin
- Lais, testament, poésies diverses [Livre]; (avec) Ballades en jargon / François Villon ; éd. bilingue, publication, trad. présentation et notes par Jean-Claude Mühlethaler
- Le Roman de Merlin en prose
- Le Livre de Jean de Mandeville
Ces textes appartiennent à des genres «hauts» comme le roman de chevalerie, la poésie courtoise ou le débat philosophique. Ils s’adressent à des lectorats aristocratiques cultivés avec une exigence de style élevé. On trouve un style plus relâché dans des genres vus comme plus «bas» ou populaires, tel que le fabliau ou le roman satirique, dont les représentants les plus illustres sont :
- Le roman de Renart [Livre] / texte établi par Naoyuki Fukumoto, Noboru Harano, Satoru Suzuki ; revu, présenté et traduit par Gabriel Bianciotto
- Fabliaux érotiques [Livre] : textes de jongleurs des XIIe et XIIIe siècles / éd. critique, trad., introd. et notes par Luciano Rossi ; avec la collab. de Richard Straub ; postf. de Howard Bloch
- La farce de Maître Pathelin [Livre] / texte présenté, traduit et annoté par Michel Rousse
Par ailleurs, vers la fin de la période, alors que la bourgeoisie urbaine commence à s’émanciper, apparaissent des écrits issus de celles-ci, dont certains ont l’intérêt de ne pas s’attacher à des préoccupations que nous qualifierions de «littéraires». Citons :
Journal d'un bourgeois de Paris [Livre] : de 1405 à 1449 / texte original et intégral présenté et commenté par Colette Beaune
Ce journal a été tenu entre 1405 et 1449 par un Parisien, sans doute un chanoine de Notre-Dame et un membre de l'Université. Vivant, alerte, souvent saisissant, il offre un précieux témoignage sur la vie quotidienne et les mouvements d'opinion à Paris à la fin de la guerre de Cent Ans, au temps des affrontements entre Armagnacs et Bourguignons, au temps de Jeanne d'Arc. Publié intégralement pour la première fois depuis plus d'un siècle, ce texte, écrit dans une langue facile, n'est pas traduit, mais la graphie en est modernisée et il est accompagné de notes très nombreuses dues à l'une des meilleures historiennes de cette période.
Source: éditeur
Le mesnagier de Paris / texte éd. par Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier ; trad. et notes par Karin Ueltschi
Vers 1393, un bourgeois de Paris, riche et vieillissant, écrit pour sa très jeune épouse un ouvrage qui mêle l'instruction religieuse et morale, des conseils d'économie ménagère et (ce qui a fait sa gloire) des recettes de cuisine très nombreuses et très détaillées : c'estLe Mesnagier de Paris.
On mesure l'intérêt d'une telle œuvre pour la connaissance des mentalités, de la sensibilité, de la vie quotidienne à la fin du Moyen Age.
Le présent volume offre le texte intégral duMesnagier, accompagné d'une traduction et d'un grand nombre d'éclaircissements qui permettent entre autres à ceux qui le souhaiteraient d'en essayer les recettes.Source : éditeur
Cela dit, même de registre "bas" ces oeuvres narratives restent essentiellement écrites. Ici on touchera une limite absolue de la connaissance : les paroles s'envolent, et les derniers locuteurs de moyen français sont morts il y a un demi-millénaire. Il est donc difficile de savoir exactement comment on parlait à l'époque médiévale... mais pas impossible de s'en faire une idée. C'est ce que nous explique la linguiste Gabriella Parussa dans le podcast "Le français médiéval, pas si moyenâgeux", disponible sur YouTube :
La seule chose que l’on peut faire, c’est chercher dans l’écrit des traces de l’oral. Et on se constitue donc […] un corpus de textes écrits qui soient suffisamment et volontairement proches de l’oral, parce qu’ils rendent compte de dialogues, d’échanges oraux de toutes sortes. Pour ce faire, on a retenu des textes dramatiques évidemment, du théâtre, cela va un peu de soi. Mais on a aussi retenu des romans et des textes en prose comme des nouvelles qui font une large place au discours direct, donc aux dialogues, et puis des comptes-rendus, des minutes de procès, des témoignages à des procès, qui ont été transcrits, pour chercher […] des renseignements sur la manière de parler des siècles passés.
La chercheuse souligne que le théâtre médiéval est écrit dans une langue plus proche du langage parlé du temps que pour le théâtre classique : toutes les classes sociales y sont représentées, «les prêtres, les paysans, les maçons comme l’évêque, le pape ou le roi […]». Ce théâtre s’adresse en outre à toutes les classes sociales ; enfin, comme il est en vers rimés, il nous renseigne sur l’évolution de la prononciation.
A cet égard, la seconde partie de l’entretien, à partir de 22 minutes environ, vous intéressera vivement.
Gabrielle Parussa cite notamment l’équipe d’étudiants qui a réalisé le projet «La passion de Valenciennes en 3D», dirigé par X. Leroux, O. Halévy, D. Smith, où vous découvrirez l’adaptation en vidéo d’une célèbre pièce du XVe siècle dans une prononciation reconstituée, avec sous-titres en français d’aujourd’hui.
Enfin, signalons l’ouvrage "Sanglant coupaul ! Orde ribaude !" [Livre] : les injures au Moyen Age de Nicole Gonthier : l’autrice, est allée puiser non dans la littérature mais dans les archives judiciaires. Or si les actes de justice étaient rédigés en latin, elles exigeaient une exactitude de transcription des injures, car celles-ci étaient des délits dont il fallait pouvoir juger de la gravité. Ce livre offre donc un aperçu saisissant sur une langue doublement «vulgaire», mais aussi les représentations de ses locuteurs, leurs rivalités et leur créativité.
Bonne journée.
Question d'origine :
merci pour votre réponse et il y a de quoi faire ; dois-je comprendre que tous vos conseils de lecture concernent la langue d'oïl? je serais très intéressée par la langue d'oc, sans doute plus proche de l'espace méditerranéen
merci
Reformulation :
Réponse du Guichet
De nombreux ouvrages bilingues vous proposent de découvrir la littérature médiévale en langue d'oc, parfois aussi appelée occitan médiéval.
Bonjour,
La langue d'oc, qui tient son nom de Dante Alighieri lui-même qui l'avait baptisé "lingua d'oco", va connaître son apogée avec la poésie des troubadours. Il s'agit d'une poésie d'une grande richesse qui sera très prisée dans les cours des seigneurs d'alors.
Dans leurs "trobars", poèmes lyriques qui peuvent être faciles avec les "trobars leu", riches avec les "trobars ric", voir très complexes en ne s'adressant qu'à un petit cercle d'initiés avec les "trobars clus" les troubadours chantent le fin'amor. Dans leurs "sirventés", ils abordent l'actualité politique, sociale ou militaire.
Les troubadours sont de véritables virtuoses dans le maniement de la langue d'oc et comptent parmi les plus vifs esprits de leur temps. Les grands précurseurs de cette poésie chantée sont le duc Guillaume IX d'Aquitaine, Cercamon, Macabru ou encore Jaufré Rudel. Malheureusement, peu de textes de ces poètes ont survécu aux affres du temps. Grâce aux travaux d'Alfred Jeanroy, vous pourrez tout de même lire quelques poésies de Cercamon, ou quelques chants de Guillaume IX d'Aquitaine ou de Jaufré Rudel. Pour Macabru en revanche nous n'avons pu trouver dans nos réserves qu'une adaptation d'un de ses textes dans un recueil de Chanteries du Moyen-Âge d'Yvette Guilbert et Edmond Rickett.
C'est aux XIIe et XIIIe siècles que cette veine poétique en langue d'oc va connaître son âge d'or. Plusieurs ouvrages pourront vous permettre de découvrir le fleuron de cette littérature, avec les textes de Guiraut de Bornelh, Arnaut Daniel, Pèire D'Alvernhe ou Folquet de Marseille, pour n'en citer que quelques uns :
- Poésie des troubadours, anthologie présentée et établie par Henri Gougaud
- Nouvelle anthologie de la lyrique occitane du Moyen Age : initiation à la langue et à la poésie des troubadours par Pierre Bec
- Chansons d'amour des troubadours : une anthologie texte et musique par Gérard Le Vot
- Les troubadours périgordins: l'âge d'or de la langue d'oc par Guy Penaud, préface de Gérard Fayolle
- Les troubadours : le trésor poétique de l'Occitanie, texte et traduction par René Nelli et René Lavaud
Si le genre de la chanson de geste en langue anglo-Normande ou en langue d'oïl s'est assez largement répandu, du côté de la langue d'oc, il s'est quelque peu effacé devant le succès de cette poésie lyrique, à l'instar du roman qui sera lui aussi assez peu pratiqué en cette langue. Mais ne désespérez point, car certains écrits ont tout de même subsisté parmi lesquels :
- La Chanson de la croisade albigeoise écrite par Guillaume de Tudèle et un second auteur resté, lui, inconnu
- Le livre des aventures de monseigneur Guilhem de la Barra d’Arnault Vidal de Castelnaudary
- Flamenca de Daude de Pradas
Bonnes lectures (en langue d'oc), et bel été à vous.
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