Pourquoi parle t-on de Terre Sainte en parlant d’Israël et non de Terre Sacrée ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi parle t on de Terre Sainte en parlant d’Israël et non de Terre Sacrée?
Du reste, quelle est la différence entre "saint" et "sacré"
Merci
PS je suis en train d'écrire mon récit de voyage en Israël et voici la petite partie qui traite de ce sujet. mais je ne suis pas encore satisfait du résultat...
Où l’ai-je suivi ? En Terre Sainte ? En Israël ? Une évidence s’impose. J’ai marché sur les pas de Jésus en Terre Sainte.
L'expression « Terre sainte » n'est pas utilisée par les juifs, qui préfèrent parler de Terre d'Israël, même si pour eux c'est incontestablement une terre qui est sainte, et le Tanakh ne parle de « terre sainte » que dans un seul passage. Le terme « terre sainte » est en outre utilisé deux fois dans les livres deutérocanoniques.
Et l’on ne parle pas de Terre Sacrée, car le terme « sacré » est connoté au religieux alors que le terme « saint » fait référence à Dieu, à la perfection, à la pureté absolue.
Je suis arrivé en Terre dite Sainte car appropriée par une religion, que dis-je trois religions qui en revendiquent la paternité. Terre Sainte, car relevant d’une décision humaine située dans des systèmes relatifs d’exclusions et d’inclusions mettant en jeu des volontés de pouvoir et de reconnaissance dans un moment donné de l’histoire.
Je préfère, finalement, définir cette terre comme sacrée en lui conférant une dimension transcendante, universelle. Le sacré dépasse le côté humain voire matériel de l’homme, ainsi que le cadre territorial d’une terre ou d’une nation. Il s’inscrit dans une dimension anthropologique de l’être humain, dans un rapport au transcendant ne pouvant être (dé-)limité par et dans un cadre historico-politique.
En définitive, je suis arrivé en Terre Sainte avec mon éducation, ma culture, ma « bonne foi » et après réflexion (et discussion avec mon ami, le philosophe Salim Mokaddem) j’ai quitté une Terre Sacrée que j’ai mieux comprise et appréciée et qui m’a permis de m’élever.
Réponse du Guichet
C'est précisément au coeur de la problématique de l'alliance entre Dieu et le peuple d'Israël que se trouve la question de la Terre sainte.
Bonjour,
Les termes « saint » et « sacré » sont aujourd’hui considérés comme synonymes.
Les dictionnaires, comme e.a. le CNRTL, en donnent les définitions suivantes : « saint » - celui qui est, par essence, la perfection et la pureté absolue – en parlant de Dieu – et en parlant de l’humain, est saint qui a été reconnu tel par l’Eglise.
En ce qui concerne le terme « sacré », à la fois participe passé du verbe « sacrer » et adjectif, nous apprenons qu’il se réfère à celui à qui on a conféré, par la cérémonie et l’onction du sacre, un caractère sacré.
Dans la Bible, « être saint » signifie être séparé ou être à part, disposer d’un statut spécial. Les jours de fête sont saints, car ils ont un statut particulier. Une femme publique peut être « sainte » elle aussi, si elle porte une mission particulière, si elle joue un rôle spécial dans la société.
Le Livre du Deutéronome (en grec ‘deuxième loi’) ainsi que le Lévitique (Lv 17-36, et précisément le Code de sainteté) estime que toute la communauté est sainte, et non pas seulement les prêtres, intermédiaires entre Dieu et le peuple.
Le fait de voir l’ensemble de la communauté juive comme sainte exprime le statut spécifique d’Israël par rapport aux autres peuples. Pour les auteurs du Code de sainteté, cela impose un comportement éthiquement irréprochable et à la hauteur de cette « sainteté », c.à.d. manifestant de l’attention aux faibles et aux étrangers et témoignant de l’amour du prochain plus généralement.
Si la racine hébraïque qadasha ne contient pas de connotation morale, le mot « saint » finit par l’acquérir après la lecture du Deutéronome et du Lévitique.
On s’aperçoit vite que ses champs conceptuels sont multiples: ne serait-ce que utilisé vis-à-vis de Dieu, appelé « le Saint d’Israël ». Dans le Livre d’Isaïe (Is, 6,3-6,13) la notion de sainteté divine est illustrée par l’image du feu de l’orage. L’orage est à la fois une puissance destructrice, donc intouchable, et une force bienfaisante car l’orage amène la pluie et nourrit la vie.
Isaïe aperçoit sa propre impureté, d’autant plus grave et lourde à porter que le peuple qui l’entoure est aussi impur (Is, 6,5). Il prêche la destruction par le feu de ce peuple impur (Is, 6,13). Le prophète annonce alors que Dieu (qui est saint) fera jaillir au milieu de ce peuple « une semence sainte ». Pour Isaïe, Yahvé est ce Dieu saint qui s’associe à Israël au point de devenir son Dieu et donc « le Saint d’Israël ». Ainsi, apparaît dans la Bible la notion du « Saint d’Israël » créée justement par Isaïe.
Voici un exemple de comment l’Ancien Testament comprend la sainteté, notion dont vous pourrez approfondir les nombreux arcanes dans Le dictionnaire biblique universel de L. Monloubou et F.M. Du Buit, Paris, éd. Desclée, 1984.
Pour reprendre notre raisonnement, le peuple est donc invité à devenir saint car Dieu, lui, est saint. Le peuple se sanctifie aussi bien par l’accomplissement loyal des actes cultuels que par l’observation stricte des préceptes moraux (Lv, 17-26).
Dans le Deutéronome et les textes qui s’en inspirent, la terre est donnée par Yahvé comme fruit de l’élection et de la promesse adressée aux pères, et la conquête fait partie du processus du don et de sa mise à disposition du peuple (Dt 6,23).
"Lorsque le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays dont tu viens prendre possession et qu’il aura chassé devant toi des nations nombreuses… tu les voueras totalement à l’interdit. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles… car tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu ; c’est toi que le Seigneur ton Dieu a choisi pour devenir le peuple qui est sa part personnelle parmi tous les peuples qui sont sur la surface de la terre" (Dt 7,1.6).
Elle devient ainsi le lieu de la mise en pratique des commandements donnés par Yahvé à Israël :
"Voici les lois et les coutumes que vous veillerez à mettre en pratique, dans le pays que le Seigneur, le Dieu de tes pères, t’a donné en possession, durant tous les jours que vous vivrez sur la terre" (Dt 12,1).
Mais cette terre, le pays qui est l’objet d’une promesse, devient un don conditionné. La permanence du don ou son retrait dépend de la mise en œuvre des commandements que Dieu donne à Israël. Si le peuple obéit, il garde la terre, le pays, mais dans le cas contraire, il en est privé. Le célèbre texte du Deutéronome (Dt 28) explicite et développe les conséquences de l’alliance entre Yahvé et Israël.
Pour conclure, on peut dire que la sainteté du peuple est une condition sine qua non du maintien de la terre dans ses mains. La terre sainte existe uniquement si le peuple est à la hauteur de l’alliance conclue avec Yahvé. La terre est sainte (et non pas sacrée) car elle est sanctifiée par la sainteté du peuple. Par extension et sans risquer de s‘égarer, la sainteté est au cœur de l’alliance, elle est synonyme d’existence même de ce peuple – sans les Lois, pas de peuple, et, par conséquent, pas de terre.
Pour aller plus loin dans l'exploration de ce sujet :
Terre sainte? de Jésus Asurmendi, in Transversalités, 2011/3 (n°119), p. 13 à 24 ;
Terre sainte ou terre de sainteté ? de Philippe Haddad in Transversalités, 2011/3 (n°119), p. 45 à 51 ;
La terre sainte disputée de Dominique Iogna-Prat, in Médiévales, n°41, 2001, La rouelle et la croix. Destins des Juifs d’Occident, p. 83-112 ;
Dictionnaire archéologique de la Bible, sous la dir. d’Abraham Negev et Shimon Gibson, Paris, Hazan, 2006 ;
Nouveau vocabulaire biblique, sous la dir. de Jean-Pierre Prévost, Paris, éd. Bayard, 2004.
Les 100 mots de la bible de Thomas Römer, Paris, éd. Que sais-je ?, 2020.
Bonne lecture !
Réponse du Guichet
La problématique de la Terre sainte est au coeur de l'alliance entre Dieu et le peuple d'Israël.
Bonjour,
Les termes « saint » et « sacré » sont aujourd’hui considérés comme synonymes.
Les dictionnaires, comme e.a. le CNRTL, en donnent les définitions suivantes : « saint » - celui qui est, par essence, la perfection et la pureté absolue – en parlant de Dieu – et en parlant de l’humain, est saint qui a été reconnu tel par l’Eglise.
En ce qui concerne le terme « sacré », à la fois participe passé du verbe «sacrer» et adjectif, nous apprenons qu’il se réfère à celui à qui on a conféré, par la cérémonie et l’onction du sacre, un caractère sacré.