Question d'origine :
Chère bibli,
J’ai encore une question.
Euh avant faut que je t’explique.
A l’école, on a fait un débat philo. En gros, la maitresse voulait que l’on dise que les filles et les garçons c’est pareil, les filles peuvent faire les métiers de garçon et le les garçons peuvent jouer à la poupée.
Ok. Mais alors y’a un truc que je comprends pas. Chez les poupées, c’est clair que une poupée , c’est mieux qu’un poupon. Une poupée, c’est plus doux, plus gentil, on s’amuse mieux avec une poupée qu’avec un poupon. Si tu me fait un cadeau je serai bien plus contente si tu m’offres une poupée qu’un poupon.
Alors que dans la vie, c’est clair vaut mieux être un garçon. Y en a que pour eux, c’est toujours eux qui se la pète, qu’on dit c’est bien les garçons, c’est les plus fort, c’est les plus mieux pour tout.
Alors je te dis ma question. Pourquoi dans la vie on devrait faire comme les garçons et on ferait pas plutôt comme dans le monde des poupées poupons ? Ce serait les filles les princesses, les déesses de l’amour, les présidentes et les plus mieux pour tout. Et pourquoi les garçons faudrait qu’ils jouent à la poupée avec nous ?
Si tu dis cela à la maitresse c’est clair. Elle va te dire que j’ai rien compris à la philo. Moi si je suis maitresse, je ferai faire l’école comme avec mes poupées, tu vas voir si les garçons si ils feront les fiers.
Alors la question à ma bibli :
Tu crois aussi que j’ai rien compris à la philo ou c’est la maîtresse qu’a rien compris aux monde des poupées ?
Est-ce que les garçons doivent jouer à la poupée avec les filles ?
Est ce que je devrai vraiment faire un métier de garçon ?
Merci ma bibli !
Réponse du Guichet

Nous ne connaissons pas la teneur de votre débat mais la question du genre et des stéréotypes qui en découlent soulève de nombreuses interrogations. Nous allons tenter de vous apporter des éléments.
Bonjour,
En parcourant vos questions, nous notons que les notions de genre, les approches sur l’établissement du « féminin et masculin » et avec lui les stéréotypes et les préjugés qui en découlent, semblent encore floues pour vous. La formulation même de votre interrogation sur « le métier de garçons » révèle combien la pression sociale, culturelle est grande, porteuse de normes et de catégorisation.En effet, depuis 2021, aucun métier n’est proprement réservé aux hommes et seules les « mentalités » orientent les femmes et les hommes vers des métiers différents.
Dans Questions de genre. Comprendre pour dépasser les idées reçues, Perrine Lachenal (p. 5-) note, que
le « féminin » semble invariablement se construire non seulement comme différent mais aussi comme inférieur au « masculin ». Cette asymétrie est socialement signifiante et opérante : elle contribue à justifier des systèmes reposant sur la domination et l’oppression des femmes par les hommes.
L’argumentaire du déterminisme biologique est encore bien souvent utilisé pour installer et justifier des rapports de pouvoir inégaux (reléguant les femmes aux métiers du care) et nous supposons que votre « maîtresse » a certainement essayé de vous présenter l’impact de cette construction et a certainement voulu déconstruire cette vision biologique, sociale et politique du genre.
Dans notre réponse, Quelle est la place des femmes dans les sciences ?, nous évoquions une émission de France Culture, Sciences : les femmes toujours très sous-représentées en France, qui aborde ces différentes constructions :
Dès le plus jeune âge, les enfants sont confrontés aux stéréotypes qui ont une incidence dans toute leur scolarité. "Dès la naissance, on est orienté vers des images stéréotypées avec des jouets ‘pour filles’ ou ‘pour garçons’. Ce sont par exemple des poupées pour les filles, des Lego pour les garçons", note Nadine Halberstadt, présidente de l’association Femmes et Sciences qui a pour objectif de promouvoir les femmes dans le milieu scientifique et intervient également auprès des plus jeunes. Pour y remédier, une charte a été adoptée en 2019 afin de favoriser la mixité des jouets pour enfants et leur montrer in fine que "toutes les professions sont accessibles", que l’on soit une fille ou un garçon. Car tout au long de la scolarité, les clichés perdurent. Ainsi, souligne Nadine Halberstadt, si une élève est bonne en mathématiques, cela sera considéré comme normal et l’orientation vers des études scientifiques ou d’ingénieure ne lui sera pas forcément proposée. Alors qu’un garçon bon en mathématiques sera étiqueté "bon élève" et l’orientation en filière scientifique plus aisée. Si au lycée, filles et garçons sont à peu près nombreux dans les matières scientifiques, le fossé se creuse à l’université. En 2017, les filles n’étaient que 36% en sciences et 27% dans les formations d’ingénieurs. Le ministère de l'Enseignement supérieur avait fixé l'objectif de 40% d'étudiantes en sciences pour cette rentrée 2020 mais les chiffres ne sont pas encore connus...
Les filles se voient alors attribuer les rôles de "care" (le soin) et vont être plus nombreuses en biologie (60%) et les garçons sont davantage orientés vers la rationalité et donc majoritaires dans des matières comme la physique ou l’informatique. L’université américaine de Harvard a élaboré un test à ce sujet, pour démontrer la persistance des stéréotypes dans l’imaginaire de chacune et chacun qui veulent que les filles sont plus associées aux matières littéraires et les garçons aux sciences.
Comme nous l'évoquions dans une réponse précédente, Stéréotype de genre, les préjugés sur l'éducation de filles et des garçons demeurent et les stéréotypes sont transmis dès le plus jeune âge, d'où la nécessité de les combattre :
Gezell et Wallon, dans leurs travaux, disent qu’il est primordial à ce stade (trois ans) d’offrir la possibilité aux jeunes enfants d’expérimenter plusieurs situations (jeu, sport…) ce qui est habituellement réservée à l’autre sexe, pour qu’ils se rendent compte qu’ils en sont capable autant les uns que les autres.
Pour conclure, nous vous laissons parcourir ces précédentes questions qui nous permettent de vous dire que vous n’avez peut-être "pas tout compris à la philosophie" et à l’argumentaire énoncé en classe (mais nous ne pouvons en revanche rien vous dire de la compréhension de votre maîtresse du monde des poupées :)), que oui, les garçons peuvent jouer à la poupée avec les filles et que oui vous aurez le droit de faire le métier qui vous intéresse et ce quel qu'il soit :
Vidéos stéréotypes métiers hommes / femmes
Experience sociologique sur le genre des bébés
pourquoi met-on des robes aux filles et pourquoi sont-elles habillées en rose ?
la guerre des sexes
Définition de Femme et d'Homme
Existe-t-il des ouvrages qui traitent de la question de la mixité dans le travail social ?
Quelle est l'influence des préjugés dans le choix d'orientation scolaire ?
Pour mieux cerner ce sujet, particulièrement complexe, nous vous suggérons la lecture d’un ouvrage destiné aux 13-18 ans,C'est quoi mon genre ? par Hortense Lasbleis, Anne-Lise Boutin.
Vous pourriez aussi jeter un coup d’œil Genre et marketing : l'influence des stratégies marketing sur les stéréotypes de genre et notamment la contribution de Meryem ben Ssi, Floraine Drougalzet et Lucie Durand, « Les stéréotypes de genres sur le marché du jouet, un marché en pleine mutation » qui reviennent sur la « segmentation marketing » des jouets et la conséquence des jouets sur la socialisation des enfants, avec par exemple une stigmatisation des garçons s’intéressant aux jouets catégorisés « pour filles » du type poupée/poupon.
D’ailleurs, le choix du poupon/poupée n’est pas anodin car comme le notent les autrices ; « il est mieux toléré qu’une fille joue avec des jouets de garçon que l’inverse (…) ces perceptions attribuent plus de caractéristiques aux jouets des garçons (…) dans l’imaginaire collectif, un petit garçon doit se comporter en homme dès sa naissance. Son sexe biologique lui donne un statut « supérieur » qu’il doit tenir dès le départ.
Nous vous suggérons aussi :
Pour en finir avec la fabrique des garçons. 1 : à l'école / sous la direction de Sylvie Ayral et Yves Raibaud, 2014.
Pour en finir avec la fabrique des garçons. 2 : loisirs, sport, culture / sous la direction de Sylvie Ayral et Yves Raibaud, 2014.
Sociologie du genre / Isabelle Clair, 2023.
Bonnes lectures.