Quelles lois sur le port des signes religieux dans les autres pays de l'UE ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je m'intéresse à la laîcité et aux problèmes liés aux signes ostentaoires.
Pouvez-vous me dire quels sont les règlements concernant le port des signes religieux dans les pays de l'union européenne.
Merci pour votre réponse.
Bluduck
Réponse du Guichet
D'après les informations que nous avons trouvées, peu de pays de l'UE possèdent une réglementation spécifique sur le port de signes religieux ostentatoires. En France, la loi de mars 2004 interdit le port de signes ostentatoires dans les écoles publiques. En Allemagne, les lois sur le port de signes religieux dans le cadre scolaire se concentrent davantage sur les enseignants que sur les élèves, avec l'interdiction du port du voile dans certains cas. En Grèce, la constitution interdit le prosélytisme, et par extension le port de signes ostentatoires. En Italie et en Autriche, la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques est autorisée.
A l'échelle du droit européen, ce sont les principes de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui prévalent. Dans les faits, les juges de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Cour de Justice de l'Union Européenne refusent souvent de trancher les cas qui leurs sont présentés, renvoyant les États à leurs responsabilités pour pour faire respecter la liberté religieuse sans empiéter sur les autres libertés.
Bonjour,
Vous cherchez des informations sur les législations européennes concernant le port de signes religieux.
L'article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne déclare que "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites."
Nous trouvons sur le site de l'Eurel un tableau comparatif sur le port des signes religieux en Europe. Précisons que ce tableau date de 2007, et que ses données n'ont pas été mises à jour depuis. Nous y constatons néanmoins que dans la majorité des pays recensés, il n'existe pas de réglementation spécifique sur ce sujet. La France, à cet égard, faire véritablement figure d'exception.
En Allemagne, La Cour constitutionnelle a jugé en mars 2015 que les enseignantes ne pouvaient se voir interdire le voile islamique que si cela troublait la bonne marche de l'école : le port du voile par les enseignantes dans les écoles publiques ne peut être interdit que s'il existe un "danger concret" de remise en cause de la neutralité de l'État ou s'il vient perturber le bon fonctionnement d'un établissement.
Depuis 2003 et une première décision de la Cour constitutionnelle, plusieurs États régionaux parmi les plus grands et les plus peuplés ont interdit le port du voile pour les institutrices ou professeurs musulmanes dans l'enceinte des établissements scolaires publics. Mais la Cour constitutionnelle a estimé vendredi qu'"une interdiction générale des manifestations religieuses dans l'apparence extérieure des enseignants et enseignantes dans les écoles publiques n'était pas compatible avec la liberté de croyance" prévue dans la Loi fondamentale (Constitution) de 1949. Elle a également jugé que les valeurs et traditions chrétiennes ne devaient pas être privilégiées, comme c'est le cas dans l'État régional de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la région la plus peuplée d'Allemagne avec Düsseldorf pour capitale. [...]
En Allemagne, le débat autour du port du voile à l'école s'est surtout concentré sur le cas des enseignantes musulmanes, plus que des élèves, comme dans d'autres pays européens comme la France. Il est rendu d'autant plus difficile que l'enseignement est de la compétence des États. Ainsi, certains Länder comme la Bavière, le Bade-Wurtemberg ou la Hesse interdisent le port du voile pour les enseignantes. À Berlin, ce sont tous les signes d'appartenance religieuse qui sont interdits dans la fonction publique. En revanche, certaines régions d'ex-RDA (Est), où vivent très peu de musulmans, n'ont pas de législation spécifique. L'Allemagne assiste depuis octobre à une vague de manifestations d'un mouvement islamophobe baptisé Pegida, qui a ses racines à Dresde (est).
Source : Allemagne : le port du voile à l'école interdit dans certains cas, lepoint.fr
En Grèce, la constitution interdit le prosélytisme, et par extension le port de signes ostentatoires.
L'Italie et l'Autriche autorisent la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques.
Un article du Monde paru le 1er avril 2023, Les frontières mouvantes de la liberté religieuse en Europe, fait le point sur la liberté religieuse en Europe. Y sont passés en revues un certain nombre de lois, débats et polémiques (par exemple les législations sur l'abattage des animaux, où les pratiques religieuses se heurtent aux considérations sur la souffrance animale). L'article met aussi en avant le positionnement singulier de la France, et d'une évolution du cadre réglementaire qui lui est propre :
Laïcité à la française
Au sein de l’UE, un pays se singularise tout particulièrement dans l’évolution de son rapport à la liberté religieuse : la France. Le juriste Emmanuel Decaux évoque même « l’individualisme juridique et l’universalisme abstrait de la conception française » de ce droit, ou encore « une sorte d’exception française en matière religieuse, qui entraîne parfois un clivage entre vocation universelle et identité nationale » dans La Liberté religieuse, de Valentine Zuber (Van Dieren, 2017). Patrie de la Révolution et de la loi de 1905 qui instaure une neutralité de l’Etat inédite en Europe, la France est également le seul pays européen à avoir inscrit la laïcité dans sa Constitution en 1946. Telle que définie par le Conseil constitutionnel, cette laïcité à la française implique un équilibre entre respect de toutes les croyances (religieuses ou non), « égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » , garantie du libre exercice des cultes mais aussi neutralité de l’État, ainsi qu’une prise de distance radicale de celui-ci dans la gestion et le financement des cultes.
La France est aussi le pays européen dont les représentants se sont le plus battus, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, dans différentes instances internationales, pour que le droit de l’individu l’emporte sur celui des communautés – qu’elles soient ethniques, culturelles ou religieuses. « Si pendant longtemps la France a marqué sa réticence à ratifier la Convention européenne des droits de l’homme, c’est, on l’oublie trop, en raison des clauses sur la liberté religieuse » , rappelle ainsi Emmanuel Decaux. Clauses qui obligent l’État à protéger la pratique collective et publique de la religion, et non la seule « opinion » –la France avait attendu 1974 avant de ratifier la Convention, entrée en vigueur en 1953.
Cette singularité ne se dément pas au fil des ans. La France vient même de connaître « un peu plus d’une décennie d’évolutions de la portée juridique du principe de laïcité » , soulignait en 2017 Stéphanie Hennette Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre (« Les nouvelles frontières de la laïcité : la conquête de l’Ouest ? », Revue du droit des religions, 4, 19-32), citant une série de réformes ou de décisions judiciaires du XXI siècle : loi 2004 sur le port des signes religieux à l’école, loi de 2010 interdisant le voile intégral dans l’espace public, interventions du Conseil d’État sur les crèches de Noël dans les bâtiments publics, loi El Khomri de 2016 clarifiant les règles sur les signes religieux en entreprise, etc.
Si la France est un cas à part dans son approche des libertés religieuses, comprises davantage comme une liberté d'opinion d'ordre privé et individuel que comme une liberté de pratique d'ordre public et collectif, cela ne signifie pas pour autant que les autres États européens ne sont pas confrontés aux mêmes problématiques :
Même si le cas français présente des particularités, il reflète un équilibre délicat auquel sont confrontés la plupart des États européens, tiraillés entre la nécessité de garantir la liberté religieuse dans un contexte de pluralisme croissant des cultes et les attentes de sociétés de plus en plus sécularisées. Alessandro Ferrari, professeur de droit comparé des religions à l’université d’Insubrie (Lombardie), constate « une permanence dans l’esprit européen moderne, qui veut que le religieux doit toujours être domestiqué, pour éviter qu’il puisse prendre trop de relais sur la société, sur la politique ». Mais, selon lui, nous assistons aujourd’hui aux conséquences d’une transformation des liens entre les États et les religions entamée dans la seconde moitié du XXe siècle.
Au début du siècle dernier, ces liens étaient davantage pensés en termes de « séparation » : les domaines du religieux et de l’État étaient clairement séparés, chacun disposant d’une relative autonomie. Mais, avec l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme, ces liens entre États et religions « passent de l’ordre de la séparation à celui de la relation » . En devenant un droit fondamental applicable à tous les individus, la question de la liberté religieuse réinvestit le débat public et redevient politique. Elle concerne de nouveau pleinement les États, chargés de garantir les libertés de leurs citoyens, y compris en matière de religion.
« Or, nous assistons aujourd’hui à un double phénomène. D’un côté, nous avons la réaction des États européens qui ont peur de perdre le contrôle d’une fragmentation sociale produite par le pluralisme religieux. De l’autre, nous assistons à un fait religieux qui, en devenant droit de l’homme, doit se confronter aux autres droits de l’homme et à des interprétations influencées par notre société, qui a perdu sa sensibilité envers l’altérité religieuse » , analyse Alessandro Ferrari. Selon lui, les religions qui, à l’instar de l’islam, ne sont pas des religions d’Eglise pâtissent davantage de cette situation. D’autant que « l’islam n’a pas été transformé par la modernité, contrairement au judaïsme français avec le Consistoire israélite, par exemple » . Sans autorité centralisée faisant office d’interlocuteur des États ou des autorités judiciaires, les musulmans peinent à s’exprimer à l’unisson.
En outre, poursuit Alessandro Ferrari, « l’islam cristallise beaucoup de tensions car il est visible non seulement en termes quantitatifs, mais aussi de pratiques ou de vêtements. Il ne peut pas être seulement résumé à une idéologie ou à un dogme » . Or, cela a son importance sur un continent marqué par la tension entre liberté de conscience et liberté de religion depuis la naissance de l’État moderne. Si l’État protège la liberté de conscience, privée, invisible, difficilement mesurable, il s’est souvent méfié de la pratique et de l’exercice visible des religions.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte fondateur de la modernité européenne, protège en effet la liberté religieuse en tant qu’opinion, en vertu de son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Tous les pays européens n’ont certes pas développé les mêmes liens entre États et communautés religieuses, en fonction de leur histoire, du degré d’autorité et de centralité de l’État, de l’existence ou non d’une religion d’État ou dominante, de l’importance de l’immigration, etc. Mais la Déclaration de 1789 « a induit une certaine idée européenne de la religion, perçue comme une opinion plutôt qu’une pratique. C’est une constante de fond qui est restée dans toute la tradition européenne, à des degrés divers selon les États », avance Alessandro Ferrari.
Un travail d’orfèvre
Or, la question de la pratique est centrale. L’article 10 de la Charte de l’Union européenne est clair : le droit à la liberté religieuse « implique(…) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
De quelle pratique parle-t-on cependant ? Est-ce à l’État de garantir le respect de toutes les normes prescrites par une communauté religieuse ou demandées par quiconque se réclamerait d’un droit divin ? Au Canada, par exemple, la loi et la jurisprudence visent à protéger « quiconque croit sincèrement que sa religion l’oblige à faire une chose plutôt qu’une autre » – jusqu’à autoriser un enfant sikh à venir à l’école avec son couteau rituel (Revue du droit des religions, n° 14, Presses universitaires de Strasbourg, 2022).
Le droit européen ne prévoit toutefois rien de tel. Les juges du Vieux Continent sont ainsi contraints à un travail d’orfèvre pour faire respecter la liberté religieuse sans empiéter sur les autres libertés. Ainsi, le licenciement d’une salariée voilée peut être jugé valide dans certains cas portés devant la CEDH ou la CJUE, car conforme à une politique de l’entreprise transparente et justifiée par son activité, mais invalidé dans l’autre, car ne répondant pas clairement à ces critères. Dans beaucoup de cas, les juges refusent de trancher, renvoyant les États à leur responsabilité. Ainsi, la France a pu interdire le port de signes religieux ostensibles à l’école, sans que les juges européens y voient d’atteinte à la liberté religieuse.
D’autant que « tous les fidèles ne souhaitent pas que l’intégralité des normes enseignées par leur religion soit appliquée, souligne l’historien Dominique Avon, auteur de La Liberté de conscience. Histoire d’une notion et d’un droit (PUR, 2020). Peu de femmes juives manifestent pour l’adoption d’un divorce conforme au droit rabbinique prévalant en Israël et peu de femmes musulmanes font de même pour l’adoption de règles d’héritage conformes au droit islamique en usage du Maroc à l’Égypte » .
A de nombreuses reprises dans l’histoire, les religions ont dû adapter leurs pratiques aux évolutions de la société. Même sur la question de l’ensevelissement des corps, si sensible car elle touche l’un des objets centraux du message religieux – la mort –, les religions monothéistes n’ont cessé d’adapter leurs règles aux injonctions des États et des sociétés, y compris au XX siècle. Par exemple en acceptant ou en refusant, selon les contextes, que les lieux de sépulture soient communs à ceux qui ne partagent pas la même religion, comme le montre Dominique Avon dans son article « Naître et mourir selon un mode d’humanité : une histoire de religion et de liberté » (dans Etre humain, sous la direction de Jean Birnbaum, Gallimard, 2022).
« Dans un Etat démocratique et libéral, il faut accepter que le dernier mot revienne au politique, renchérit Dominique Avon. Pour sortir d’une représentation binaire, il importe d’historiciser les enjeux, de ne pas essentialiser les religions, dire qu’elles sont forcément ceci ou cela. La circoncision a une histoire, par exemple : depuis trois mille ans, tous les juifs n’ont pas été circoncis. L’abattage rituel a également une histoire. Et le cadre moderne incite les communautés religieuses à s’interroger sur la relativité de leurs prescriptions. »
Telle est peut-être la vertu de ce rapport de force complexe entre l’État et les religions propre à la modernité : il contraint à une recherche d’équilibre certes délicat, mais qui pousse chaque acteur à se réinventer constamment, en vue de parvenir à atteindre l’objectif commun visé par tous les droits fondamentaux européens : une coexistence pacifique entre tous les citoyens, peu importe leur manière de vivre, ou de rejeter, la religion.
Dans son ouvrage Les laïcités dans le monde, Jean Baubérot commente ainsi, à propos de la loi de mars 2004 interdisant le port de "signes religieux ostensibles" à l'école publique, qu'elle est :
pour les uns une réaffirmation nécessaire de la laïcité, pour d'autres le signe d'une laïcité à géométrie variable, plus dure à l'égard de l'islam que d'autres religions, ou que de l'Alsace-Moselle. Mais, en fait, la mutation de la présence de l'islam, à un moment où la sécularisation européenne se désenchante, engendre des tensions dans toute l'Europe [cf R. Liogier, Le mythe de l'islamisation : essai sur une obsession collective, 2012], certaines discriminations et les tâtonnements des politiques publiques face à de nouvelles revendications (Pays-Bas, Royaume-Uni...).
Vous trouverez, en pages 100 à 106 de l'ouvrage cité ci-dessus, un chapitre présentant les différents régimes de rapports Etat-religion en Europe.
Bonne journée.