J'aimerais savoir l'origine et l'histoire de l'anglais rastafari, l'« Iyaric »
Question d'origine :
J'aimerais savoir l'origine et l'histoire de l'anglais rastafari, l'« Iyaric ». Y a-t-il des études qui lui sont consacrées ? Existe-t-il encore en 2023 ? Quels sont des exemples de mots contestataires vis-à-vis de l'Occident (Babylone) ? Y a-t-il de grands auteurs qui l'utilisent ?
Réponse du Guichet
Le I-yaric, dread-talk ou parler rasta constitue une forme très originale de réinvention de la langue anglaise, au carrefour du politique, du religieux et du culturel.
Le I-yaric ou Dread-talk puise son origine dans le Rastafarisme, ce mouvement politique et religieux qui voit le jour en Jamaïque, dans les années 1930. Pour rappel, le Rastafarisme prône, en s'appuyant sur une lecture messianique de la Bible, un retour en Afrique des descendants d’esclaves exilés sur le continent américain et dans la zone caribéenne. Car, en dépit de l’abolition de l’esclavage, les conditions de vie des descendants d’esclaves demeurent terriblement précaires et soumises à l’injustice et à l’oppression.
C’est dans ce contexte que naît le I-yaric ou dread-talk. La langue anglaise étant perçue comme la langue de l’oppresseur et donc corrompue, il s’agit de s’en affranchir en se réappropriant la langue et ses concepts. Il faut, en effet, décoloniser les esprits.
La domination Blanche ou plutôt "Babylon", comme la qualifie les Rastas, se trouve au cœur de la critique de ce mouvement. Il est intéressant d’ailleurs de noter la polysémie du terme "Babylon", dans la culture Rasta. Cela peut désigner tout aussi bien une organisation qui opprime des innocents, comme la police ou le gouvernement que le monde matérialiste façonné par l’homme blanc.
Dans ce registre contestataire, nous pouvons souligner l’inventivité de ce langage en mentionnant, par exemple, les mots-valises, trouvailles de Peter Tosh, dans ses chansons, tels que «shitstem» (system) ou encore «polytricks» (politics), qui résume bien le sentiment que peut inspirer à certains la politique. «Trick» signifiant tour, ruse, en anglais.
Autre exemple, le remplacement d’un préfixe ou d’un suffixe par un autre afin de davantage faire correspondre le sens d’un mot avec sa sonorité. Pour la culture rasta, il est ainsi difficilement concevable que le mot qui désigne quelqu’un d’opprimé (oppressed) commence par le son «up». On lui préfèrera donc «downpression», qui reflète mieux le rapport d’infériorité entre des individus.
S’il est difficile de citer des écrivains qui ont adopté ce langage dans leurs œuvres, à l’exception notable du Nobel de Littérature 1992, Dereck Walcott, nous pouvons toutefois affirmer que le reggae a constitué une formidable caisse de résonance culturelle pour la diffusion du dread-talk. En effet, qui n’a pas déjà essayé de déchiffrer les messages politiques de Bob Marley? Nous conclurons justement sur l’un des meilleurs titres de ce dernier, dans sa version "Live at the Lyceum", «Them belly full but we hungry». Ce titre illustre parfaitement les subtilités du dread-talk et la critique politique qu’il contient. En bon anglais, ce titre devrait, en effet, s’énoncer «their belly are full but we are hungry– leurs ventres sont pleins mais nous avons faim». Il faut remarquer l’ellipse des verbes, ici, ainsi que l’inversion pronominale (them pour their) si typiques du dread-talk.
Le dread-talk se distinguant avant tout par sa forme orale, il peut s'avérer compliqué de trouver des textes sur le sujet. Notre réponse s'appuie d'ailleurs principalement sur des blogs de passionnés et sur l'article de l'encyclopédie Universalis consacré au Rastafarisme. Cependant, nous vous signalons le livre suivant, non traduit en français, qui fait référence sur le sujet mais auquel, malheureusement, nous n'avons pu avoir accès que partiellement sur le Web :
Dread-talk : the language of Rastafari de Velma Pollard.
Bonne journée