J'aimerais en savoir plus sur la pierre : lapis specuralis
Question d'origine :
Bonjour,
j'aimerai en savoir plus sur la pierre : lapis securalis .
Dans l'attente .
Réponse du Guichet
La "pierre spéculaire" (Lapis specularis) désignait dans la Rome antique une variété de pierres transparentes et/ou réfléchissantes, principalement utilisées pour la fabrication de vitres et de miroirs, pouvant correspondre dans la minéralogie moderne à plusieurs espèces de minéraux.
Bonjour,
Selon Wikipédia, "Lapis specularis (pierre spéculaire) est un terme de l'antiquité romaine donné à plusieurs minéraux : les micas (surtout la muscovite), le talc et le gypse".
Le nom de Lapis specularis, qui ne correspond pas à une classification minéralogique moderne, est d'abord issu de son aspect : littéralement, il s'agit d'une pierre "qui réfléchit la lumière comme un miroir" selon le CNRTL qui atteste l'existence du mot "spéculaire" en moyen français, ou "transparente" si on suit l'une des leçons du Larousse.
L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert indique que cette pierre a servi à la fabrication de vitres et de miroirs durant l'antiquité, et relève son identification difficile :
Pierre spéculaire, (Hist. nat. des anc.) lapis specularis. C’étoit une pierre transparente dont les Romains faisoient leurs fenêtres & les glaces de leurs litieres. Les savans sont fort partages sur ce que c’étoit que cette pierre ; les uns soutiennent que la pierre speculaire des Romains, est celle que les Grecs nommoient σχιστὸς, d’autres veulent que ce soit l’ἀργυροδάμας, à cause qu’elle résiste à la violence du feu ; quelques-uns prétendent que c’est la pierre σεληνίτης, à laquelle les Romains ont donné le nom de pierre spéculaire, eu égard à sa transparence. M. Saumaise soutient que le lapis specularis, & le φεγγίτης sont la même chose. Comme cette diversité de sentimens marque que le lapis specularis n’est pas aujourd’hui trop connu, M. de Valois panche à croire que ce n’est autre chose que ce que l’on appelle talc en Allemagne & en France, non pas ce talc commun qui se trouve dans la plupart de nos carrieres, mais ce talc parfaitement blanc & transparent, dont il y a encore aujourd’hui une si grande quantité en Moscovie.
Le principal usage auquel le lapis specularis étoit employé par les Romains, c’étoit à fermer leurs fenêtres. Seneque fait mention de ces sortes de fenêtres, comme d’une chose établie de longue main, ce qui donne lieu de présumer qu’elle étoit déja en vogue dès le tems de la République ; c’étoit de la même pierre spéculaire que se faisoient les glaces des litieres couvertes des dames romaines.
Comme nous dit le résumé de l'article de María José Bernárdez Gómezet Juan Carlos Gisado Di Monti Las referencias al lapis specularis en la Historia Natural àt Plinio El Viejo, Pallas, No. 75 (2007), pp. 49-57, IV-VII, la source principale pour la connaissance de cette catégorie de pierres dans l'Histoire naturelle de Pline l'ancien :
Dans la région de Castilla-La Mancha, en Espagne, dans les provinces actuelles de Cuenca et de Tolède, se situe un des plus grands districts miniers hispaniques exploités par Rome à l'époque impériale. La ville romaine de Segobrìga fut le centre géographique d'un large territoire de plus de 150 km de diamètre parsemé de très nombreux travaux miniers. Ceux-ci furent effectués pour exploiter une ressource lapidaire connue sous le nom de lapis specularis, ou « pierre spéculaire », une variété minéralogique du gypse, le gypse sélénite, que l'on obtenait par le biais de l'extraction souterraine. Le lapis specularis fut utilisé à l'époque romaine comme vitre de baies et de fenêtres, puisqu'il laissait passer la lumière à travers sa masse transparente. Ses applications furent multiples et variées, en particulier dans la construction, avant d'être remplacé progressivement par le verre à vitre. Dans l'historiographie antique qui traite de la pierre spéculaire, se distinguent largement l'œuvre et la figure de Pline l'Ancien. Son Histoire Naturelle regorge de références au lapis specularis qui éclairent les usages et les applications que la civilisation romaine fit de ce minerai.
Voici un extrait du livre XXXVI de Pline, consultable sur Wikisource :
Quant à la pierre spéculaire, puisqu’on la range aussi parmi les pierres, elle se fend avec beaucoup plus de facilité, et on la partage en feuilles aussi minces qu’on veut. Autrefois l’Espagne citérieure seule la fournissait, et non pas même toute la contrée, mais un rayon de cent milles environ autour de la ville de Segobrien. Maintenant on en trouve dans l’île de Chypre, en Cappadoce, en Sicile ; et, tout récemment, on en a découvert en Afrique. À toutes on préfère les pierres spéculaires de l’Espagne. Celles de la Cappadoce sont très délicates, très grandes, mais ternes.
On en trouve aussi en Italie, dans le territoire de Bologne ; elles sont petites, tachetées, englobées dans du silex ; cependant elles sont évidemment de même nature. La pierre spéculaire s’extrait en Espagne de puits très profonds. On en trouve aussi sous terre, qui sont renfermées dans la roche ; tantôt on les extrait sans difficulté, tantôt il faut tailler le roc vif. Mais le plus souvent la pierre spéculaire est fossile ; elle se trouve isolée, sous forme de fragments dont aucun n’a encore dépassé cinq pieds en longueur. Quelques-uns pensent que c’est une liqueur de la terre qui se congèle comme le cristal.
Ce qui montre manifestement que cette pierre est le résultat d’une pétrification, c’est que quand des animaux tombent dans les puits d’extraction, la moelle de leurs os se transforme en pierre spéculaire au bout d’un hiver.
Son utilisation, bien attestée dans les textes, a laissé peu de traces archéologiques. Voyez à ce sujet l'intéressant article de Danièle Foy avec la collaboration de Bernard Gratuze, Les Thermes du Levant à Leptis Magna : les verres (iie-vie siècles) Antiquités africaines [En ligne], 52 | 2016, mis en ligne le 24 avril 2020, consulté le 09 octobre 2023 :
Les textes antiques évoquent clairement et abondamment l’usage de la pierre transparente (lapis specularis) dans les fenêtres, mais les attestations archéologiques sont rares. Pourtant, d’après les sources écrites, vitre et pierre sélénite semblent utilisées dans des proportions comparables. Dans les Thermes du Levant, nous avons la preuve de la coexistence de ces deux matériaux découverts dans des contextes contemporains. [...]
On sait que ce matériau a connu d’autres usages. Pline mentionne l’emploi du lapis specularis pour la fabrication de plâtre de bonne qualité et aussi l’usage de transformer cette pierre en poudre scintillante pour embellir le sol des édifices de spectacle.
L'article, qui s'intéresse à un site lybien, esquisse l'existence de productions locales dans l'empire : "[...] Pline rapporte que si la pierre de Segobriga en Espagne est réputée la meilleure, d’autres gisements sont exploités en Sicile, à Chypre, en Cappadoce et en Afrique. Les découvertes des Thermes du Levant confirment l’usage fréquent de ce matériau en Afrique ce qui suggère une provenance régionale. Ces plaquettes de sélénite sont en effet signalées sur plusieurs sites de Carthage, dans un contexte du Ves. des fouilles de Jebel Oust et encore en Tunisie, dans les niveaux tardifs des fouilles d’Haïdra et de Uzita. À Bu Njem, en Libye, les mentions de gypse renvoient probablement à de la pierre spéculaire."
Pour aller plus loin, nous vous invitons à consulter le court mais très riche article de Souen Deva Fontaine et Danièle Foy De pierre et de lumière : le lapis specularis, In : FOY (D.) (dir.) – De transparentes spéculations, Vitres de l’Antiquité et du Haut Moyen-Age (Occident-orient), cat. Expo. Bavay (oct – dec. 2005), 2005, p.159-164., qui fait un point tant sur la situation archéologique de la pierre, l'histoire de sa redécouverte à partir des textes latins, mais également ses lieux de production sa place dans les échanges économiques à l'époque romaine.
Bonne journée.