Question d'origine :
La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée.
On prête cette citation à Talleyrand, et à d'autres. Quelle en est la source svp ? Merci
Réponse du Guichet
Difficile d'en retracer l'origine. Tantôt attribuée à Harel ou Tailleyrand, son origine pourrait être à rechercher chez Molière ou Voltaire, elle pourrait même être "aussi vieille que la langue" !
Bonjour,
Il semblerait que l'origine de cette citation trouve sa source chez Voltaire (1694-1778) dans Le Dialogue du chapon et de la poularde (1763) :
LE CHAPON.
Ce n’est pas la seule contradiction qui règne chez ces monstres, nos éternels ennemis. Il y a longtemps qu’on leur reproche qu’ils ne sont d’accord en rien. Ils ne font des lois que pour les violer ; et, ce qu’il y a de pis, c’est qu’ils les violent en conscience. Ils ont inventé cent subterfuges, cent sophismes pour justifier leurs transgressions. Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n’emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées.
Ainsi que chez Molière (1622-1673) dans la bouche de Pancrace dans Le mariage forcé (1668) :
La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée ; et, tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées.
Elle aurait ensuite été mise en forme telle que nous la connaissons par M. Harel dans Le Nain jaune puis attribuée à Talleyrand (1754-1838).
Voici l'historique de cette expression retracée dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique.... T. 12 P-POURP / par M. Pierre Larousse :
La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée
Mot célèbre dont voici l'historique. L'expression de cette triste vérité, que la bouche est rarement d'accord avec le cœur, est certainement aussi vieille que la langue on a donc tort d'en faire exclusivement honneur à Talleyrand. Un ancien proverbe dit : "La langue est le témoin le plus faux du coeur". Campistron a rendu la même idée dans sa tragédie de Pompéia : "Le cœur sent rarement ce que la bouche exprime". Toutefois, il n'y avait encore rien d'assez frappant dans ces diverses formes pour qu'elles restassent consacrées. L'idée de dissimuler la pensée au moyen de la parole, qui en est l'instrument, était trop originale et trop piquante pour ne pas faire fortune.
Mais qui a dit le premier « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée ? » C'est d'abord Voltaire, dans le conte du "Chapon et la Poularde". Le Chapon dit "Les hommes ne font des lois que pour les violer, et ce qu'il y a de pis, c'est qu'ils les violent en conscience. Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n'emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées. » Plus tard, Harel, cet esprit si fertile en bons mots, disait en toutes lettres dans le "Nain jaune" : "La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée." Mais il attribuait ce bel aphorisme au prince de Talleyrand. Celui-ci n'était pas homme à répudier un mot si conforme à la nature de son génie, lui qui avait déjà donné ce conseil
à un secrétaire d'ambassade "Défiez-vous du premier mouvement, c'est le bon" il accepta donc volontiers la paternité de la phrase devenue si célèbre, et, quelques jours après, il répondait à un jeune auditeur qui croyait se recommander auprès du rusé diplomate en lui parlant de sa sincérité et de sa franchise « Vous êtes jeune, monsieur, apprenez que la parole a été donnée à l'homme pour dissimuler sa pensée. »Ainsi Voltaire a été le précurseur de cette phrase fameuse ; Harel en fut le père et Talleyrand le parrain. [...]
Voir aussi :
- L'Argus : revue théâtrale et journal des comédiens : théâtre, littérature, modes, beaux-arts / M. Salvador - 27/08/1846
- Journal de Lille : organe des intérêts du Nord - 28/08/1846
- Le musée de la conversation répertoire de citations françaises, dictons modernes, curiosités littéraires, historiques et anecdotiques avec une indication précise des sources / Roger Alexandre · 1897
Bonne journée.