Depuis quand le théorème de Pythagore porte-t-il ce nom ?
Question d'origine :
Bonjour,
j'ai lu quelque part que le théorème de Pythagore a été aussi appelé théorème de la mariée puis pont-aux-ânes.
Depuis quand le théorème de Pythagore est-il connu sous ce nom et par qui lui a-t-il été donné ?
Merci
Réponse du Guichet
Pythagore s'est vu attribuer la paternité de "son" théorème dès l'antiquité. Si les premières sources mentionnant cette paternité supposée sont tardives, avec Proclus au Vè siècle après J-C, des traditions plus anciennes, notamment des vers d'un mystérieux Apollodore pourraient les faire remonter au IIè, voire au IVè siècle avant J-C.
Bonjour,
Les livres sur l'histoire des mathématiques que nous avons consultés :
Petite histoire des mathématiques [Livre] / Jean-Pierre Escofier
Histoire et légendes mathématiques [Livre] / Catherine d'Andrea
Histoire des mathématiques [Livre] / Jean C. Baudet
Le dossier Pythagore [Livre] : du chamanisme à la mécanique quantique / Pierre Brémaud
unanimes pour rappeler que le rapport de l'hypoténuse et des deux autres côtés était connu en Mésopotamie des millénaires avant Pythagore, restent la plupart du temps muettes sur la question de l'attribution du théorème. Pythagore y est justement dépeint comme un personnage semi-mythique, entouré de mystères et de légendes, ayant acquis dès l'antiquité une immense célébrité. Son école, mouvement philosophico-religieux prônant le végétarisme, l'activité physique et l'entraînement de la mémoire, mêlait l'étude de la philosophie à ce que nous qualifierions plutôt de religion, voire de chamanisme. La transmission y étant orale, peu de sources offrent de quelconques certitudes sur les travaux qui y étaient menés, notamment en mathématiques.
Cette incertitude typique de l'oralité semble s'être transmise comme par capillarité à de nombreux auteurs le citant. En ligne, certaines sources comme une leçon de mathématiques trouvée sur le site du Collège de Castillonnès vont jusqu'à indiquer : "Le théorème ne porte son nom que depuis le XXe siècle".
On en trouve pourtant mention dans le tome 13 de l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d'Alembert, dès 1765. Avec une belle légende à la clé :
On dit que Pythagore immola aux muses une hécatombe, pour es remercier de la découverte de ce dernier théorème ce qui prouve qu'il en connut toute la fécondité.
Sur Gallica toujours, on trouve mention de "Pythagorae theorema" dans deux manuscrits grecs du XVè siècle...
Cependant, en cherchant bien, on trouve çà et là des éléments. Ceux-ci, s'ils ne donnent aucune certitude sur le responsable ou l'époque de l'attribution du théorème à Pythagore, nous permettent au moins de savoir qu'au moment où écrit : Proclus, philosophe grec du Vè siècle après J-C, cette attribution est tradition bien établie.
Ainsi le blog Mediamaths nous dit :
Proclus et les propositions 47 et 48 : "Dans les triangles rectangles, le carré décrit au moyen du côté qui sous-tend l’angle droit équivaut aux carrés décrits au moyen des côtés qui entourent l’angle droit. À entendre ceux qui prétendent nous rapporter des choses anciennes, on les trouve attribuer ce théorème à Pythagore et dire qu’il sacrifia un boeuf à l’occasion de sa découverte."
Le seul témoignage antérieur à notre ère qui nous soit parvenu sur Pythagore est un distique d’Apollodore de Cyzique, disciple de Démocrite vivant au quatrième siècle avant notre ère. Pythagore inventant la célèbre figure offrit une victime et rendit grâce aux dieux .
Il est cité par Plutarque, (premier siècle de notre ère), et Diogène Laërce, (troisième siècle). Vitruve quant à lui attribue la découverte du triplet (3, 4, 5) à Pythagore et en fait l’occasion du sacrifice. Quand Pythagore eut fait cette découverte, il ne douta pas qu’elle ne lui eut été inspirée par les muses, et l’on dit qu’en action de grâces, il leur fit un sacrifice.
Proclus est sceptique, peut-être parce que ce sacrifice est en contradiction avec les moeurs végétariennes de la secte pythagoricienne. Mais pour ma part, j’admire ceux qui se sont appliqués les premiers à la vérité de ce théorème, et je loue encore plus l’Auteur des Éléments, non seulement pour nous avoir convaincus de ce théorème par la démonstration la plus claire, mais pour nous avoir persuadés d’un théorème plus général que celui-ci par les raisonnements irréfutables de la science dans son sixième livre.
Un document d'Eduscol nous dit également :
Eudème, on s'en souvient, avait tenté de déterminer les théorèmes géométriques que Thalès, selon lui, ne pouvait ignorer. D'autres auteurs, plus récents semble-t-il, firent de même pour Pythagore et plusieurs auteurs tardifs (outre Vitruve, Plutarque, Athénée de Naucratis, Diogène Laërce, Porphyre …) lui attribuent la découverte du théorème qui, aujourd'hui encore, porte son nom. La chose les intéressa car, depuis un certain Apollodore le calculateur (II e s. avant J. C.), on associait la prétendue découverte de Pythagore à un sacrifice carné, pratique interdite par les préceptes de la secte pythagoricienne. Les sources classiques (Hérodote, Isocrate, Platon, Aristote …) mentionnent en effet Pythagore comme l'inventeur d'un « genre de vie » fondé sur de multiples prescriptions religieuses et observances rituelles, la croyance à la transmigration des âmes, le refus de certains cultes civiques mais aussi la volonté d'influencer le régime politique de certaines cités de Grande-Grèce (Italie du Sud, Sicile)… Rien n'indique qu'il se consacra à la géométrie. Même Proclus ne cache pas son scepticisme.
On le voit, qu'on identifie le mystérieux Apollodore auteur du distique sur le théorème et le sacrifice à Apollodore de Cyzique ou à Apollodore le Calculateur fait reculer l'attribution du théorème de deux siècles : celle-ci serait considérée comme être passée à la postérité dès le IVè, ou le IIè siècle avant J-C - tout en pouvant l'avoir été dans des traditions plus anciennes perdues - cette indétermination est soulignée dans l'entrée Pythagoras de l'encyclopédie en ligne de l'Université de Standford (Etats-Unis) :
Aucune des premières sources, y compris Platon, Aristote et leurs élèves, n'a connaissance du lien entre Pythagore et le théorème. Près de mille ans plus tard, au cinquième siècle de notre ère, Proclus, dans son commentaire sur la preuve du théorème d'Euclide (Éléments I. 47), rapporte ce qui suit : "Si nous écoutons ceux qui veulent enquêter sur l'histoire ancienne, il est possible qu'ils renvoient ce théorème à Pythagore et qu'ils disent qu'il a sacrifié un bœuf lors de sa découverte" (426.6). Proclus ne donne aucune indication sur sa source, mais un certain nombre d'autres rapports tardifs (Diogène Laertius VIII. 12 ; Athénée 418f ; Plutarque, Moralia 1094b) montrent qu'elle reposait en fin de compte sur deux vers dont le contexte est inconnu : "Lorsque Pythagore trouva ce fameux diagramme, en l'honneur duquel il offrit un glorieux sacrifice de bœufs..." L'auteur de ces vers est diversement identifié comme Apollodore le calculateur ou Apollodore l'arithméticien. Cet Apollodore est probablement antérieur à Cicéron, qui fait allusion à l'histoire (Sur la nature des dieux III. 88), et, s'il peut être identifié avec Apollodore de Cyzique, l'adepte de Démocrite, l'histoire remonterait au quatrième siècle avant notre ère (Burkert 1972a, 428). Deux vers de poésie d'une date indéterminée sont évidemment un support bien mince pour fonder la réputation de géomètre de Pythagore, mais on ne peut pas les ignorer. [...]. Les deux lignes de vers ne mettent pas seulement l'accent sur la découverte par Pythagore de la vérité du théorème, mais tout autant, voire plus, sur le sacrifice de bœufs en l'honneur de cette découverte.
Depuis la première et incertaine attribution de l'antiquité, jusqu'à l'entrée de l'expression dans le langage de l'enseignement des mathématiques, il s'est donc passé beaucoup de siècles et les sources sont trop lacunaires pour que nous puissions vous répondre avec plus de précision.
Bonne journée.