Que sont les "cravates de chasse" et les "entre-bottines" ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans "La rose de sable" de Montherlant, je trouve quelques références à des parties du vêtement qui ne me sont pas claires. Il y a une mention de "cravates de chasse", puis plusieurs pages plus loin, une autre mention d'un autre type de cravates, les "cravates pour des cols", et d'un autre vêtement pour homme appelé "entre-bottines". Pouvez-vous m'aider à comprendre de quels vêtements il s'agit et quelles sont les meilleures sources pour cette recherche ? Toujours dans le même texte, on parle des mokhaznis, des combattants marocains qui aidaient l'armée française à l'époque des colonies, et l'adjectif « bleu » leur est associé : "bleus mokhaznis". Est-il possible que, dans ce cas également, il s'agisse d'un vêtement ?
Merci beaucoup d'avance !
Réponse du Guichet
La cravate... mais pas que !
Bonjour,
Votre question fait appel à l’histoire du vêtement masculin au XXème siècle… du haut de forme au début du siècle à l’adoption des épaulettes dans les années 1980, le siècle est synonyme d’éclectisme pour la mode autant masculine que féminine ! Néanmoins, pour tenter de répondre au maximum à votre question, nous nous sommes appuyés sur le texte même de Montherlant en tenant rigueur du contexte du protectorat français au Maroc et dont le livre est sujet.
A propos des cravates... La « cravate de chasse » nous évoque un type de cravate : la cravate de chasse à courre ou « cravate de vènerie » qui consiste en un bandeau de tissu à large pans (comme la cravate lavallière), souvent noué à la manière dit « Ascot » (comme le célèbre hippodrome anglais où se jouent de grandes courses hippiques) et qui est épinglé.
Or en prenant compte de la trame du roman qui se déroule donc au Maroc dans les années 1930, les « cravates de chasse » mentionnées par Montherlant nous laissent à penser qu’il s’agit toutefois d’autre chose. Le terme est surement utilisé tout simplement pour désigner des cravates militaires et notamment les pattes de col qui étaient présentes sur l’uniforme du tirailleur marocain (ou algérien), souvent de couleur kaki clair tout comme l’était la vareuse. De même, nous pensons que lesdites « cravates pour des cols » vont dans ce même sens et désignent également les pattes de col des chasseurs marocains.
En reprenant le récit de Montherlant, il nous est également apparu que les « cravates » désignent également les médailles militaires. C’est le cas dans le dernier quart du roman lorsque le personnage de Guiscart se trouve à Fez à l’enterrement des officiers et civils tués dans l’émeute dont est mort le personnage principal, Auligny.
Montherlant nous écrit ainsi (p. 554) :
« Guiscart regardait les officiers cavalcadeurs, et s’il lui arrivait de voir un capitaine cavalcadeur avec la cigarette à la bouche, ou de distinguer la cravate d’un ordre au col d’un colonel, puis, le colonel s’approchant, de reconnaître que la cravate était la cravate du Nicham (…) ».
Ici, l’auteur semble désigner en réalité la barrette et les médailles des militaires en utilisant le terme de « cravate ». En effet, la médaille « du Nicham » ou plutôt Nichan fait référence à l’ordre tunisien dit de Nichan Iftikhar (signifiant « Ordre de la fierté » en arabe) crée en 1837 par le Bey de Tunis dans le but de récompenser les services civils et militaires. Lorsqu’en 1881 la Tunisie est placée sous protectorat français, des officiers français se voient aussi attribuer cette décoration honorifique. Ainsi, le contexte textuel nous permet de déduire hypothétiquement que Montherlant utilisa le terme de « cravate » en tant que médaille militaire tout le long de son roman.
Concernant la mention de « l’entre-bottines », Montherlant écrit (p.529) :
« (…) il avait demandé de l’argent pour s’acheter une chemise, une cravate, des bretelles, des fixe-chaussettes, un entre-bottines ».
Puis plus loin, pour signifier la déception et l’agacement du personnage :
« C’était surtout l’entre-bottines qui lui restait sur le cœur ».
Nous n’avons hélas pas pu trouver la mention de ce terme dans d’autres ouvrages et/ou dictionnaires. N’ayant pas de réponse exacte concernant la nature de l’objet, nous pensons toutefois qu’il ne s’agit pas là d’un vêtement mais plutôt d’un outil pour se chausser. Au sens littéral du terme, « entre-bottines » fait penser à un chausse-pied pour bottines. En poussant un peu l’interprétation littéraire, cela pourrait d’autant plus faire sens que le personnage est grandement déçu. Il en a selon l’expression commune, « lourd sur le cœur » et l’entre-bottines pouvant être l’objet le plus lourd parmi ceux cités... peut-être une manière esthétique pour Montherlant d’exprimer l’amertume d’Auligny...
Quant à l’adjectif « bleu » attribué aux mokhaznis à plusieurs reprises dans le texte, il s’agit en effet de la couleur de l’uniforme. Les mokhaznis, cavaliers et fantassins marocains, portaient un burnous de couleur ciel tout comme les officiers français des SAS (Sections administratives spécialisées) portaient un képi bleu ciel également.
Outre le bournous qui s’apparente à une cape sans manche ou un grand manteau à capuche, les mokhaznis pouvaient également porter une tunique bleue légère traditionnelle d’Afrique du Nord appelée gandoura. Montherlant la mentionne également dans son texte (p.70) :
« Après une heure, les premiers mokhaznis de la « Sécurité » apparurent sur des éminences. Aussi immobiles que des statues, parfois drapés dans leurs gandourahs bleues, parfois brillants de cartouchières croisées sur leur poitrine, ils étaient très majestueux, dans cette immensité. »
Si vous souhaitez approfondir le sujet du vêtement au fil de l’histoire et notamment celui de l’uniforme militaire au XXème siècle nous vous recommandons quelques ouvrages :
- Uniformes et tenues de combat : encyclopédie visuelle de Chris McNab, 2012.
- Uniformes modernes de Chris McNab, 2010.
- La revue Uniformes
- L'Histoire de la mode masculine de Colin McDowell, 1997.
- Des modes et des hommes : deux siècles d'élégance masculine de Farid Chenoune, 1993.
- Encyclopédie de la chaussure : du paléolithique supérieur au XXIe siècle de Bernard Parisot, 2020.
En vous souhaitant d'agréables lectures !