Question d'origine :
Bonjour,
Je me demandais, quels sont les mythes de création d'Athènes ? Pourquoi y a-t-il plusieurs versions - plusieurs auteurs - ?
Merci beaucoup d'avance.
Réponse du Guichet
Bien que le mythe de la création d'Athènes nous soit parvenu sous différentes versions, les récits semblent s'accorder sur le conflit fondateur qui opposa Athéna à Poséidon afin de devenir le principal dieu protecteur de la cité. Mais de nombreuses variations existent. Certaines sont définitivement perdues, d'autres construites ou colportées à différentes époques actualisent le mythe et l'enrichissent de détails significatifs.
Bonjour,
Bien que le mythe de la création d'Athènes nous soit effectivement parvenu sous différentes versions, les récits semblent s'accorder sur le conflit fondateur qui opposa Athéna à Poséidon pour devenir le principal protecteur de la cité.
Au commencement de l'histoire des cités, les hommes cherchèrent à se placer sous la protection d'une divinité. Le territoire d'Athènes était alors sous l'autorité de Kékrops, premier roi légendaire de l'Attique (péninsule et région historique d'Athènes), un être à la physionomie hybride entre l'homme et le serpent. L'affrontement entre les deux divinités eu lieu sur le promontoire de la cité, aujourd'hui connu sous le nom d'Acropole (ville haute), qui fut par la suite le coeur de la vie religieuse et civique d'Athènes. Au terme de cette opposition, Athéna fut désignée comme divinité principale et protectrice de la cité (divinité poliade) et donna son nom à la ville. Fou de rage, Poséidon submergea la cité sous les flots.
Voilà le corps de cette histoire qui semble structurer les principaux récits mythologiques de la fondation d'Athènes. Mais c'est en rentrant dans les détails que le mythe diffère et se ramifie en fonction des auteurs, des sociétés et des époques qui le colportèrent.
Athéna et Poséidon ne se sont pas affrontés physiquement mais plutôt sur le champ de la symbolique, mettant chacun en scène leur capacité à défendre la cité. Dans sa "Bibliotheque" au IIème siècle de notre ère, Apollodore compile des récits mythologiques. Il nous renseigne sur la façon dont Poséidon et Athéna se sont distingués auprès de leur auditoire :
Poséidon fut ainsi le premier à venir en Attique. D'un coup de son trident au milieu de l'Acropole, il fit apparaître une "mer" qu'on appelle aujourd'hui "mer Erechtéide". Après lui vint Athéna. Prenant Kekrops à témoin de sa prise de possession, elle planta un olivier qu'on montre aujourd'hui encore dans l'enclos de Pandrosos.
Marque de sa puissance sur les eaux, le jaillissement d'une mer ou d'une source d'eau salée des sols de l'Acropole fit son plus grand effet. D'autres versions, comme celle donnée par Servius dans le "Commentaire des Géorgiques" parlent du surgissement d'un cheval (un des symboles de Poséidon) plutôt que d'une mer, un étalon noir, animal puissant et indispensable à la vie antique. Mais c'est finalement l’olivier d'Athéna, symbole d'abondance, de longévité et de paix qui remporta le plébiscite. Mais alors comment furent-ils départagés ? Ici encore, les versions différent du tout au tout et apportent à chaque fois une coloration singulière aux récits.
Le texte d'Apollodore ne remet pas entre les mains de Kékrops le choix de la divinité protectrice de la cité mais convoque Zeus en arbitre, qui décida de transférer le jugement aux 12 Dieux de l'Olympe. Une seconde version, célèbre par le récit qu'en a fit le Romain Varron, reprise ensuite par Saint Augustin dans "La cité de Dieu", présente le règlement du conflit divin sous la forme d'une assemblée, préfiguration des assemblées politiques athéniennes, mais ici composée d'hommes et de femmes. A l'unanimité les hommes votèrent pour la puissance guerrière de Poséidon tandis que les femmes portèrent leur dévolu sur Athéna. Plus nombreuses d'une voix, celles-ci firent pencher la balance en faveur de la déesse de la sagesse. Pour apaiser la colère de Poséidon, les hommes imposèrent aux femmes trois peines : Aucun enfant ne portera le nom de sa mère, le droit de vote leur est interdit et le nom "d'Athéniennes" leur est refusé. Varron fait ici une lecture politique du mythe de la création d'Athènes et donne une justification mythologique à l'exclusion des femmes de la vie de la cité.
Enfin, d'autres variantes existent quant à la maitrise de la colère de Poséidon. Qu'une vague démesurée s’abatte sur Athènes ou que la ville soit complètement engloutie par les eaux, les récits insistent sur la capacité des hommes à calmer Poséidon et célèbrent sa faculté à entendre raison. Il incarne pour Plutarque la divinité la plus politique de la mythologie grecque. En effet, au lieu de faire plonger Athènes dans un chaos définitif, Poséidon écoute et choisit le chemin du partage et de la réconciliation. Et c'est peut-être là le coeur de la matrice de ce mythe devenu constitutif de l'état d'esprit d'Athènes. Dans "Athènes, histoire d'une cité entre mythe et politique" l'historienne Sonia Darthou insiste sur la re-transposition et la réactualisation de cette querelle au jour le jour dans la vie de la cité. Que ce soit par le débat à l'Agora ou dans les assemblées ou par les concours sportifs (olympiades) et dramaturgiques, les Athéniens s'opposent dans une rivalité saine et bénéfique pour le bien commun. Comme pour Athéna et Poséidon l'affrontement n'est pas physique, mais dépend de la capacité à convaincre ou à montrer sa valeur dans un domaine particulier. C'est ce que les Grecs appellent l'Agon, c'est à dire une compétition pour la prééminence dans un domaine sportif, artistique ou intellectuel. Le mythe de la création d'Athènes aurait donc structuré la vie publique d'Athènes et forgé le caractère de la cité toute entière.
En somme il n'existe pas de version définitive du mythe de la création d'Athènes, chacune d'entre elles proposant des ajustements qui répondent à des interprétations différentes du mythe, souvent consubstantielles de l'époque ou dans la société dans lesquelles il a été retranscrit. Mais cette histoire s'est aussi construite autour de permanences et d'éléments invariables qui constituent l'ADN du mythe. Il aussi est intéressant de noter que de nombreuses cités grecques possédaient leur propre réadaptation de ce récit. La figure d'opposition que représente Poséidon est souvent transposée. Sonia Darthou parle d'Apollon à Delphes par exemple. Enfin, ne pas sous-estimer l'impact d'une forme "d'athéno-centrisme" dans l'historiographie antique, qui a eu tendance à homogénéiser les récits de la création d'Athènes alors que d'autres histoires circulaient nécessairement dans d'autres cités et territoires du monde grec.
Bonne journée,
Pour aller plus loin :
- DARTHOU, Sonia "Athènes, histoire d'une cité entre mythe et politique", Passés composés (2020), 287p.
- LORAUX, Nicole "Les enfants d'Athéna", Points (2007), 303p.
- LORAUX, Nicole "Né de la terre : mythe et politique à Athènes", Éditions du Seuil (1996), 217p