Question d'origine :
Le "suicide forcé" : qu'est-ce que c'est ? Y a-t-il des exemples célèbres ? Pourquoi ce n'est pas pris en compte par la loi avant recemment ? Y a-t-il des études pour lutter contre ca ?
Réponse du Guichet
Cette expression ambiguë renvoie à une situation dans laquelle une personne est amenée à mettre fin à ses jours suite à des violences psychologiques graves. En France, la loi prévoit son encadrement depuis 2020.
Bonjour,
Que recouvre cette notion ?
Cette notion renvoie à la situation dans laquelle une personne vient à mettre fin à ses jours suite à des violences psychologiques lourdes du type dénigrement, chantage, menaces, sarcasme, mépris, humiliations ... Ces atteintes ont été relevées particulièrement dans les situations de violence conjugale. Elles peuvent être qualifiées de harcèlement moral, plus insidieux que la violence physique et qui a pourtant un impact fort sur les victimes (en majorité des femmes).
Processus
Suite à ce type d’harcèlement, les victimes perdent progressivement leur capacité de jugement. C’est alors que s’opère une véritable rupture identitaire chez la personne pouvant conduire à une perte du sentiment de dignité. Elle peut se traduire par la dépression, des douleurs chroniques voire le suicide. C’est l’acte qu’une femme sous emprise finit par commettre pour être enfin délivrée de son bourreau, l’unique porte de sortie qu’elle puisse entrevoir à ce moment précis. Car l’emprise est un processus insidieux, souvent invisible pour l’entourage. "Quand la victime en est à se débattre, il est trop tard : elle refuse d’être aidée, persuadée par son bourreau que la coupable, c’est elle".
Chaque année, on estime que plus de 100 femmes sont tuées par leur conjoint ou leur ex. Mais des estimations récentes concernant les suicides forcés laissent penser que le nombre de femmes mortes du fait des violences conjugales est en réalité encore bien plus élevé. Le nombre de ces suicides forcés est dur à évaluer car ils ne sont pas officiellement recensés. En novembre 2022, un décompte de l'Observatoire national des violences faites aux femmes faisait état de 684 femmes victimes de violences ayant tenté de se suicider ou s'étant suicidé suite au harcèlement de leur (ex) partenaire (source).
Pendant longtemps, le processus d’emprise qui conduit des femmes à se donner la mort n’était pas reconnu, une d’angle mort des violences faites aux femmes. L’attention grandissante portée aux violences faites aux femmes explique certainement la lente mais progressive prise en compte de la réalité de ce crime.
Historique
Le suicide forcé comme une conséquence psychologique est devenu tardivement punissable par la loi. Avant la loi du 30 juillet 2020 nous étions, en France, confronté.e.s à un vide juridique. Le harcèlement moral au travail, par contre, était puni par la loi depuis 2002. Ce n’est qu’en 2010 que la France intègre le harcèlement moral entre (ex) conjoints dans son code pénal.
En 2019, un groupe de travail « violences psychologiques et emprise » a été créé reconnaissant de fait que les violences physiques ne sont pas les seules à tuer. Les violences psychologiques, même sans violences physiques, altèrent le jugement critique et le libre-arbitre de la victime, au point qu'elle en vient à l'impossibilité de nommer ce qu'elle vit, de dire ce qu'elle tolère ou pas. Les séquelles sont nombreuses : état de stress post-traumatique, dépression, anxiété, troubles sexuels, troubles du sommeil, troubles du comportement alimentaire, automutilations, douleurs chroniques, psychose, abus de substances, conduites sexuelles à risque, suicide. Le suicide est la conséquence psycho-traumatique la plus extrême, en même temps qu'il constitue l'aboutissement du processus de domination (jusqu'à l'anéantissement), ainsi qu'une sortie de la prison mentale instaurée par l'auteur des violences[…] Les violences répétées conduisent petit à petit à une véritable rupture identitaire, la destruction morale de la victime. Non seulement la victime souffre, mais elle est de plus en plus « colonisée » et ne sait comment en sortir.
Ce qui semble parfois rester comme issue est le suicide, lorsque la victime :
- aura été privée de son libre‐arbitre
- que ces capacités de jugement auront été altérées
- que toutes des résistances psychiques auront cédé
- alors même que son instinct de survie aura disparu, en même temps que ses illusions
- que ses appels à l’aide n’auront pas été entendus
Le « suicide forcé » est l’appellation donnée aux situations où les femmes victimes de violences se donnent la mort. (Source : Guide européen sur les suicides forcés)
Entre le 3 septembre et le 25 novembre 2019, le gouvernement a organisé des tables rondes (appelées Le Grenelle), rassemblant plusieurs acteurs afin d’identifier des mesures pour lutter contre la violence conjugale. C’est ce Grenelle qui, 10 ans après la reconnaissance des violences psychologiques, a permis d’aboutir à l’inscription dans la loi de la notion de suicide forcé au même titre que l'emprise.
Un nouvel article du Code pénal porte à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende le harcèlement d’un conjoint conduisant à un suicide ou à une tentative de suicide.
« Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques » (art. 222‐14‐3 du code pénal)
Le Parlement a adopté définitivement (loi n°2020‐936 du 30 juillet 2020) la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Le suicide peut en ce sens être apparenté à un féminicide. A ce jour, la France est le seul pays européen doté d’un outil juridique permettant rechercher la responsabilité des auteurs mais Il faudra attendre un an après l’adoption de la loi visant à mieux «protéger les victimes de violences conjugales» pour qu’une première plainte pour suicide forcé soit déposée.
Article 222‐33‐2‐1 du code pénal Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ou ont été commis alors qu'un mineur était présent et y a assisté. Les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
Le quide du suicide forcé (p.15 à 17) présente plusieurs cas emblématiques de jugement pour ces faits.
Aller plus loin :
Suicide forcé en Europe site très complet complété d’un mooc sur les suicides forcés