Question d'origine :
Est-ce que il peut y avoir des gens qui ne respectent pas la loi-qui sont violents par exemple-mais qui ont 'un bon coeur'?
Réponse du Guichet
L'homme n'est ni bon ni méchant ...
Cher Braveheart,
J’espère que nous ne vous déchirerons pas le cœur en vous disant que nous avons fait le tour de toutes vos questions et que nous ne pouvons dire plus que ce que nous avons déjà dit antérieurement !
Lorsque vous nous interrogiez sur Est-ce qu'il existe vraiment des gens bons ou mauvais ?, notre réponse abordait aussi votre nouvelle interrogation : il y a du bon chez le « méchant ».
Nous citions ainsi le dossier spécial Y a-t-il des bons et des méchants ? de Philosophie magazine :
Ne vous est-il jamais arrivé de vouloir bien faire et de finir par mal agir, d’avoir une intention qui rate sa cible ou de blesser sans le vouloir ? Platon attribue d’abord cette expérience commune à une forme d’aveuglement, qui nous fait manquer notre but. Mais le philosophe va plus loin. Selon lui, même ceux qui semblent objectivement vouloir le mal le font en se trompant d’objet : pensons aux autocrates et aux tyrans qui peuvent, par exemple, avoir une certaine idée de la grandeur de la nation, nourrir des rêves de puissance ou vouloir renforcer leur empire. Ces méchants hommes pensent bien faire mais se fourvoient. Ce sont surtout des ignorants. Comme le rappelle Socrate, « il est évident par conséquent que ceux-là ne désirent pas le mal, qui ne le connaissent pas comme mal, mais qu’ils désirent ce qu’ils prennent pour un bien, et qui est réellement un mal ; de sorte que ceux qui ignorent qu’une chose est mauvaise, et qui la croient bonne, désirent manifestement le bien. N’est-ce pas ? »
Notre réponse sur Y a-t-il des personnes qui n'ont aucune morale ? apporte aussi des éléments de réflexion sur la notion de bonté et méchanceté.
Avant de vous donner d’autres références philosophiques, nous nous demandons, au vu de vos questions et sans connaître votre profil, si nos réponses ne demeurent pas absconses. Alors pour reprendre la discussion, nous nous baserons sur l’analyse de Gilles Vervisch qui, à travers la Saga Star Wars étudie le manichéisme : le royaume de la lumière et le royaume des ténèbres. Il interroge ainsi les notions de bien, de mal mais aussi de la limite entre bonté et méchanceté. Pour ne citer que quelques extraits, il explique que :
Dans l’Empire contre-attaque, le Bien et le Mal se confondent un peu plus. C’est aussi ce qui fait le charme de cet épisode qui développe ce que Lucas lui-même appelle des « personnages du milieu » qui ne sont ni bons ni méchants, ou plutôt qui se situent entre les deux, et peuvent basculer d »’un côté ou de l’autre. Des personnages plus réalistes et pour tout dire, plus humains. Avant ça, on avait d’un côté Dark Vador qui « personnifie le Mal »,et de l’autre, Luke Skywalker, le gentil héros et bien blond, si pur qu’il est quasiment asexué, à l’image des « parfaits » manichéens qui refusaient le péché de chair. Mais, dans L’Empire contre-attaque, les limites sont plus obscures.
L’un des personnages les plus populaires de Star wars est sans doute Boba Fett. Pourtant, il,a peu de scènes, peu de répliques et disparaît assez tôt dans le retour du jedi (…)Alors, pourquoi tant d’amour ? (…) c’est plutôt que Boba Fett incarne un méchant qui n’est pas si méchant, tout comme Han Solo incarne un « gentil vaurien » …
(…) dans le fond, Han Solo et Boba Fett ressemblent à ce que sont les êtres humains dans la réalité : ni bon ni mauvais, ils sont surtout égoïstes. Vous connaissez l’expression : « Un égoïste, c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi. » Nous jugeons le bien et le mal d’après notre intérêt personnel, ou du moins ce qui nous fait plaisir ou non. C’est ce que remarquait déjà Spinoza (1632-1677) ! « Par mal, j’entends tout genre de tristesse, et principalement ce qui frustre un désir. » Ce sont nos désirs qui donnent leur valeur – bonne ou mauvaise – aux choses ‘…) Rien – ni personne n’est donc bon ou mauvais : tout dépend de notre point de vue, c’est-à-dire de ce que nous désirons. Comme le dit Spinoza, nous ne désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes, mais elles sont bonnes parce que nous les désirons : c’est notre désir qui leur donne leur valeur.
L’auteur poursuit en apportant des explications sur ce qu’est le bien et dans ce contexte mentionne :
après tout, comme le disait Platon lui-même, nul n’est méchant volontairement : « Si je fais quelque faut de conduite, sois sûr que ce n’est pas volontairement, mais par ignorance ». Tout le monde croit bien faire et personne ne pense à mal, même ceux qui passent pour incarner le Mal absolu. Même Palpatine : « les seigneurs noirs des Sith croient en la justice et la sécurité.
Source : Star Wars, la philo contre-attaque : la saga décryptée
Nous vous laissons poursuivre cette lecture, que vous pourriez compléter par une approche plus « classique » :
• Francis Herbert Bradley, "Le mal", in Apparence et réalité. Essai de métaphysique, 2020, p. 231 à 237..
• Francis Herbert Bradley, "La bonté",in Apparence et réalité. Essai de métaphysique, 2020, p. 419 à 464.
• François Flahault, "Comment l'homme peut-il être à la fois égoïste, bon et méchant ?", Revue du MAUSS, 2008/1 (n° 31), pages 307 à 317
• Qu’est-ce qu’être méchant ?, philomag.
Radio France s'intéresse aussi à ce sujet :
Y a-t-il d'un côté les gentils et de l'autre les méchants ? Quels sont les outils philosophiques qui permettent de penser la question des bons et des mauvais sans tomber dans le manichéisme ?
Pour anticiper votre prochaine question, nous vous laissons écouter la conférence de Thierry Patrice, La méchanceté est-elle le propre de l’homme ?
et consulter son ouvrage la méchanceté a-t-elle une cause ?
Il ne vous reste plus qu’une solution : profiter des fêtes pour regarder tous les Star Wars et déterminer le côté lumineux du côté obscur !
Passez de bonnes fêtes.