A la "Belle époque", quelles étaient les procédures de titularisation des enseignants ?
Question d'origine :
Bonjour,
Questions techniques :
- A la "Belle époque", quelles étaient les procédures de titularisation des enseignants nommés "à titre provisoire" dans un collège public (concours, ancienneté...) ?
- Est-ce que les rubriques "Ordre ou catégorie" et "Classe" qui figurent alors sur les formulaires d'évaluation sont liées au statut (titulaire ou non titulaire) de l'enseignant ? (Voir un exemple en pièce jointe.)
Merci beaucoup par avance pour votre aide et meilleurs voeux puisque c'est de saison.
Médor
Réponse du Guichet
Voici quelques pistes pour vous aider dans vos recherches.
Bonjour,
Votre questionnement est effectivement assez technique. Peut être trop pour nous, qui ne sommes que bibliothécaires municipaux.
Voici donc quelques pistes pour vous aider dans votre recherche.
Rappelons tout d'abord qu'en 1870 se met en place la Troisième République. Cette dernière va apporter une stabilité politique qui manquait à la France, et par sa croissance économique notable cette période est particulièrement propice à la mise en place et au développement du système d'éducation des français.
Les années 1880 sont marquées par des changements fondamentaux dans le système éducatif français, changements essentiellement portés, du moins au début, par Jules Ferry (plusieurs fois ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts entre 1879 et 1883) et son principal conseiller Ferdinand Buisson. Les lois Jules Ferry de la fin du XIXe siècle qui rendent l'école laïque, obligatoire et gratuite sont l'aboutissement d'un mouvement de laïcisation de l'école.
Ainsi, Paul Bert affirme en 1880 sa volonté de remplacer l'enseignement religieux par l'éducation civique en disant : « c'est notre église laïque à nous, où l'on enseigne des vérités scientifiques et démontrables (…), où l'on enseigne les vertus civiques et la religion de la Patrie». La loi instaure un enseignement obligatoire de 6 à 13 ans. La laïcité, proclamée dès 1881 avec la suppression de l'éducation religieuse dans l'enseignement public.
Les instituteurs sont la cheville ouvrière de ce système, qui tient grâce à cette croyance dans un progrès social grâce à l'école, dont ils se font le relais et la promotion sociale des ouvriers est à l'ordre du jour. En revanche, les lycées sont payants et restent donc réservés aux enfants de la bourgeoisie. Les inégalités hommes-femmes, encore très marquées, laissent apparaître de premiers signes d'émancipation de ces dernières, principalement du fait de leur accès à une éducation primaire après la mise en place des lois scolaires. (source Wikipédia, Histoire de l'éducation en France)
Commençons tout d'abord par des articles qui traitent de votre sujet.
A la fin du siècle dernier, le drame de l'enseignement secondaire public était la baisse des effectifs. Pour en étudier les causes et préciser les remèdes, une Commission d'Enquête parlementaire fut constituée en 1898 sous la présidence d'Alexandre Ribot. Elle diffusa un questionnaire, recueillit de nombreuses dépositions, reçut des réponses écrites, émanant de « personnalités » et de membres de l'enseignement. Elle déposa son rapport général le 16 novembre 1899 sur le bureau de la Chambre, rapport qui est à l'origine de la loi de 1902. Ces effectifs, quels étaient-ils ? La population des collèges passait de 41 304 en 1881 à 33 949 en 1898 alors que dans les établissements confessionnels les effectifs montaient de 50 085 en 1887 à 67 643 en 1898.
La stagnation des effectifs scolaires due à la concurrence des établissements confessionnels, à l'absence de pression démographique et à une législation plus soucieuse du primaire que du secondaire, n'est évidemment pas créatrice d'emploi. L'impression domine que l'accession au professorat devient de plus en plus difficile.
Dominé par un enseignement supérieur qu'il tient pour inaccessible, prenant ses distances par rapport à un enseignement primaire dans lequel il voit un concurrent, le lycée (ou le collège) reste cependant trop hiérarchisé pour constituer une unité. Normaliens, agrégés de l'Enseignement classique, agrégés de l'Enseignement spécial, professeurs licenciés, répétiteurs constituent des groupes qui s'observent, se méprisent et s'envient. Mais ce ne sont pas les seuls. Les « Parisiens » sont plus titrés, mieux payés, plus individualistes, plus libres.
On comprend donc pourquoi la première Fédération Nationale des Professeurs, fondée en 1896, succomba à ses divisions. Au début du siècle, il y avait quatre fédérations nationales : des répétiteurs de collèges, des répétiteurs de lycées, des professeurs de collèges, des professeurs de lycées de garçons et de tout l'enseignement secondaire féminin.
Source : Les professeurs de l'enseignement secondaire dans la société de la « Belle époque » / Gérard Vincent in Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1966, 13-1.
L'ouvrage Éducation et longue durée d'Henri Peyronie et Alain Vergnioux précise:
" Une meilleure formation des professeurs du secondaire passait par leur spécialisation. À cette époque, en effet, ce qu’on appelait les collèges n’avait rien à voir avec nos modernes établissements de premier cycle du second degré : c’étaient des sortes de lycées municipaux, aux effectifs squelettiques – on comptait souvent sur les doigts d’une seule main les élèves de la classe de philosophie ou de rhétorique.
Les professeurs – les régents – étaient souvent de simples bacheliers. Les licenciés formaient l’élite, mais ils étaient bons à tout enseigner, car il n’y avait qu’une licence ès lettres, dont l’épreuve reine était la version latine. Un licencié ès lettres était régent de 6e-5e dans un collège quelques années, puis il allait enseigner la philosophie dans un autre collège, et quelques années plus tard l’histoire dans un troisième. Pour transformer les régents en professeurs d’une discipline, il fallait d’abord un enseignement supérieur lui-même organisé en fonction des diverses branches de la science."
Dans le livre La construction de l'enseignement secondaire (1802-1914) de Philippe Savoie on apprend :
" Dès ses premiers mois au ministère de l’Instruction publique, Jules Ferry se montre désireux d’améliorer la situation des personnels des collèges communaux. Après une enquête commandée aux recteurs par une circulaire du 7 novembre 1879, il décide d’assurer un minimum de traitement de 1 500 francs aux professeurs pourvus d’une nomination ministérielle ou d’une délégation rectorale, ayant un grade universitaire et au moins deux ans d’exercice, qui ne sont ni logés ni nourris au collège, et de 1 400 francs pour ceux qui ne sont que logés.
Le vœu d’une division du personnel en classes, c’est-à-dire de l’instauration d’une grille de traitements permettant un avancement de carrière, à l’exemple de ce qui se pratique dans les lycées, a été exprimé par la Chambre des députés. Un autre système est finalement retenu par le décret du 4 janvier 1881, qui combine un classement des professeurs en trois ordres fondés sur le grade et sur les fonctions, et une échelle d’avancement de trois classes, conservées au professeur qui change d’ordre ou de collège.
Les traitements minima des professeurs des collèges (décret du 4 janvier 1881)
Nous ne pouvons que vous inviter à consulter cet ouvrage afin d'en apprendre plus sur le sujet.
Concernant le mode de recrutement des enseignants, cet article explique :
" D’autre part, il ne faut pas s’imaginer la formation des professeurs du XIXe siècle à partir de ce qu’elle est aujourd’hui (Chervel 1993). Avant les dernières années de la monarchie de Juillet, la seule préparation organisée au professorat est celle de l’École normale. Celle-ci ne devient “supérieure” qu’en 1845, à la faveur de la tentative, avortée comme d’autres avant elles, de création d’écoles normales secondaires. Or l’École normale est très loin de pouvoir fournir l’ensemble des professeurs des lycées et collèges communaux. Une moitié environ des lauréats des concours d’agrégation du XIXe siècle ont bénéficié de la préparation de l’École normale.
Tous les autres professeurs, titulaires ou chargés de cours, sortent des rangs inférieurs du corps enseignant : maîtres d’études (puis répétiteurs) et régents des collèges communaux pour l’essentiel. Jusqu’aux années 1840, la plupart de ceux des maîtres d’études et régents qui parviennent au professorat des lycées le font, soit en accédant directement à la charge d’une classe sans en avoir le titre, soit en passant le concours de l’agrégation pour les classes de grammaire (c’est-à-dire les classes inférieures à la troisième), qui est alors accessible aux bacheliers. Dans ce cas, ils préparent les épreuves comme ils le peuvent, parfois en fréquentant la classe de rhétorique de leur établissement. Certains suivent la classe de mathématiques spéciales pour préparer la licence ès sciences ou bénéficient de l’aide informelle d’un professeur.
Voici quelques autres documents que vous pouvez consulter afin de trouver une réponse plus précise à vos questions.
Les professeurs de l'enseignement secondaire au début du XXe siècle : entre corporatisme et esprit de catégorie / Yves Verneuil
La revue Histoire de l'éducation
Les Enseignants du secondaire. XIXe - XXe siècles. Le corps, le métier, les carrières. Textes officiels. T.1 : 1802-1914. Sous la direction de Philippe Savoie
Les « agrégés d’avant le concours » (1809-1821) / André Chervel
Le personnel de l'enseignement supérieur en France aux XIXe et XXe siècles
Histoire mondiale de l'éducation 3 : de 1815 à 1945 / publ. sous la dir. de Gaston Mialaret et Jean Vial
Enfin, n'hésitez pas à contacter le Service d’histoire de l’éducation qui pourra vous répondre plus spécifiquement que nous sur ces questions de titularisation, catégories ou classes. Voici leur contact : she@ens-lyon.fr
En outre, les archives seront peut être un précieux allié dans le décryptage des formulaires d’évaluation.
Bonnes recherches !
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