Notre éducation nous a t-elle transmis des injonctions inconscientes ?
Question d'origine :
Est-il vrai que en nous elevant nos parents nous ont mis une pression pour certaines choses et nous avons ainsi des 'injonctions inconscientes' tout au long de notre vie? Comment réagir face à ces 'injonctions inconscientes'?
Réponse du Guichet
Tout processus éducatif amène à transmettre des injonctions ou, selon les écoles sociologiques, un habitus, extrêmement structurant pour l'individu. Ces opérations sont la plupart inconscientes et relèvent de l'ensemble des paramètres sociétaux qui ont participé à l'éducation de l'enfant. L'étude de la sociologie pourrait vous permettre de mieux les identifier.
Bonjour,
Nous sommes tous le fruit d'une éducation qui nous a été transmise par nos parents et plus largement notre cercle familial, mais aussi par les institutions avec lesquelles nous avons grandi et que nous avons côtoyées. Les plus évidentes sont l’État, avec ses immenses ramifications institutionnelles et législatives, mais aussi l’École. Ce façonnement est le produit de tous les instants. Il ne passe pas nécessairement par une transmission formalisée (apprentissages ou ordres communiqués consciemment) mais procède aussi inconsciemment. Un enfant se nourrit des paroles, des actes accomplis et même des gestes les plus anodins du quotidien, sans que cela relève nécessairement d'un mimétisme conscient.
Voir : Sociologie de l’Éducation, Pierre Rayou.
Dans ce processus éducatif, certaines paroles ou comportements parentaux se répètent et expriment directement ou indirectement des attentes par rapport au devenir de l'enfant (que ce soit pour ses études, son travail, son orientation sexuelle ou encore la pratique ou non d'une religion). Ces projections sur l'enfant peuvent être plus ou moins contraignantes et inclinent nécessairement le devenir de l'individu, que celui-ci applique ce qui est attendu de lui ou qu'il s'inscrive en opposition aux désirs de ses parents. Nous ne sommes pas libres du devenir qui nous incombe puisque nous conformons nos possibilités aux exigences des individus et institutions qui nous éduquent : parents, famille, école etc. Et même plus largement à l'ensemble des acteurs qui nous sociabilisent. Nous sommes contraints puis potentiellement sanctionnés si nos comportements dévient des attentes qui nous échoient (rejet, punition, mépris etc.).
Une injonction est définie ainsi par le Centre national de ressources textuelles et lexicales :
Injonction : Ordre, commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement exécuté et qui est souvent accompagné de menaces de sanctions.
L'une des belles retranscriptions conceptuelles en sociologie du terme "injonction" est celui d'habitus. Ce terme est très célèbre en sociologie, il est passé entre les mains de nombreux sociologues majeurs, de Marcel Mauss à Norbert Elias, avant d'acquérir sa forme prépondérante sous la plume de Pierre Bourdieu qu'il définit comme un "système de dispositions réglées" (voir Habitus, Wikipédia). Voici comment il est définit dans Le petit dictionnaire de Sociologie de Xavier Molénat (Éditions Sciences humaines, 2009) :
C’est le sociologue Pierre Bourdieu qui va lui faire jouer un rôle théorique prépondérant. Ce dernier reprend la définition classique de l’habitus, mais la systématise. Dans son acception, c’est un ensemble « de dispositions durables, génératrices de pratiques et de représentations », acquises au cours de l’histoire individuelle.
Chez P. Bourdieu, l’habitus désigne donc l’ensemble des manières d’agir, penser et sentir que l’individu incorpore au cours de sa socialisation. Cet habitus est façonné par les conditions de sa production : l’habitus d’un fils d’ouvrier n’est pas celui d’une fille de patron ou d’enseignant. Il n’est pas qu’un ensemble de normes, il est aussi un moyen d’action, qui permet de créer, de développer des stratégies. Le concept a été aménagé, critiqué, nuancé mais il est désormais passé dans le langage courant.
L'habitus va au delà de l'injonction. Il est plus souple, plus subtil, plus englobant et structurerait l'intégralité de nos modes de pensées et par conséquent nos actions. Il va au delà des simples injonctions parentales et sociétales, ou du moins il les enveloppe elles aussi, pour composer l'ensemble des dispositions comportementales de l'individu que ce dernier a intégrées consciemment ou non. Chaque individu d'une société donnée a son propre habitus répondant aux conditions qu l'ont vu grandir. L'étude de la sociologie permet d'en identifier certaines et de les mettre à distance. Elle nous aide à comprendre que nos manières de penser, d'agir et d'évoluer en société ne sont pas naturelles mais consubstantielles d'une éducation et d'une société donnée.
Afin de vous aider à vous familiariser avec ces notions, nous vous transmettons cette petite liste bibliographique en lien avec la sociologie de l’Éducation :
-Dictionnaire de la pensée sociologique (PUF, 2005)
-Sociologie de l’Éducation de Patrick Rayou (Que sais-je, 2017)
-Sociologie des enfants, Martine Court (La Découverte, 2017)
-Les Héritiers, Pierre Bourdieu & Jean-Claude Passeron (Éditions de Minuit, 1985)
Bonne journée,