Que signifie le numéro de boucle d'oreille porté sur un acte ?
Question d'origine :
Bonjour,
Sur son acte de mariage une personne née en 1854 stipule qu'elle a été élevée à l'hospice de Lyon,(peut être la Charité?) Il est porté sur cet acte un N° de boucle d'oreille (N°28322) présent sur elle.Que signifie t-il? est-ce un N° correspondant aux enfants abandonnés? L'acte de naissance précise le nom de sa mère et son adresse.
Merci pour votre réponse
Clami
Réponse du Guichet
Les boucles d'oreilles ont effectivement servi à partir de 1842 ou 1843 à identifier les "enfants trouvés".
Bonjour,
Votre intuition est juste, il s'agit bien de bouclesd'oreilles portées jadis par les enfants trouvés afin de les identifier.
Dans son mémoire Arcusi-Marcel : histoire(s) d’une famille vauclusienne, Aurélia Arcusi, présentant un document des Archives départementales de Haute-Garonne comportant de telles boucles, nous apprend :
Ces boucles en plomb étaient portées par les enfants de l’assistance publique à partir de 1843 jusqu’à l’âge de 6 ans. Elles remplacèrent le collier frappé du numéro d’enregistrement au bureau des enfants trouvés. Elles permettaient une identification immédiate des enfants, mais surtout, empêchaient les nourrices de substituer un de leurs enfants à un enfant confié, en cas de décès. Plus tard, ces boucles furent abandonnées au profit de l’uniforme. Un seul bijoutier était habilité à les fabriquer en France : Maître Gavard, installé à la Galerie de Chartres au Palais Royal à Paris.
Ces boucles sont bien connues des généalogistes, comme en témoignent Geneanet ou Actes insolites. La Statistique des établissements et services de bienfaisance, rapport au Ministre de l'Intérieur de 1849, indique la date du 12 janvier 1842 pour la publication de la "circulaire relative à la substitution, comme marques distinctives, des boucles d'oreilles aux colliers".
Au-delà de son aspect utilitaire pour l'identification des enfants, le port des boucles a pu être utilisé comme moyen répressif. Dans son article Les enfants trouvés. Une histoire immorale? L'exemple du Calvados, Annales de Normandie, 1981, Paul Dartiguenave assimile le port de ces boucles à une sorte de marque d'infamie :
Afin d'éviter toute substitution d'enfant par les nourrices, un collier doit être porté par tous les enfants trouvés, d'après le décret du 19 janvier 1811. Cette mesure, qui est une précaution nécessaire, classe malgré tout les enfants puisque la médaille porte le numéro attribué à l'enfant dés son enregistrement par le bureau des enfants trouvés.
Le 12 mars 1843 « le Ministère de l'Intérieur, 2e bureau : Aliénés, enfants trouvés et mendicité », demande aux préfets de remplacer les colliers par des boucles d'oreilles...: «Dans quelques départements, il n'a été, jusqu'à présent, mis à chaque enfant qu'une seule boucle : il convient d'en mettre une à chaque oreille. D'autre part, l'apposition d'un double signe offre, surtout en cas d'accident, une garantie plus sûre de l'identité des enfants et d'autre part, il y aurait quelque chose d'insolite et par suite choquant à ne faire porter à ces infortunés qu'une seule boucle d'oreille ».
Il faut convenir que faire porter des boucles d'oreilles aux garçons jusqu'à l'âge de 6 ans ne peut que les signaler à l'attention du voisinage. Inconsciemment l'administration reproduit la marque : celle qui frappe le lépreux et le condamné aux galères. Des années après, c'est dans la tenue vestimentaire que la différenciation se fait. Les temps ne sont pas tellement lointains où la pèlerine bleue, les galoches et le béret basque signalaient aux passants l'appartenance des enfants à l'assistance publique.
Bonne journée.