Alexandre Le Grand s'est-il rendu à l'oasis de Siwa dans le Sahara ?
Question d'origine :
Comment peut-on être sûr qu'Alexandre Le Grand s'est bien redu à l'oasis de Siwa en plein Sahara avec quelques compagnons ? Ce pourrait-il que cela soit un gros fake (il s'est en fait reposé au calme pendant des semaines) destiné à l'auréoler de légendes de son vivant ?
Cette hypothèse d'une supercherie historique a-t-elle déjà été envisagée ?
Réponse du Guichet
En tant que bibliothécaires, nous pouvons citer des sources, des interprétations, des opinions, mais pour un avis plus précis, ce sont les spécialistes, en l'occurrence des historiens hellénistes, qui seront de meilleurs interlocuteurs.
Bonjour,
Le pèlerinage d’Alexandre le Grand au sanctuaire d’Amon en Lybie daterait de la même période que la fondation d’Alexandrie, en 331 avant Jésus-Christ. Alexandre est alors maître de l’Egypte et décide de quitter la côte et de s’aventurer quelques 300 kilomètres au sud-ouest de ce qui deviendra plus tard Alexandrie. Il recherche l’exploit, une caution divine à l’ambition qui le dévore. Amon s'avère en être une parfaite car il évoque à la fois le dieu Amon Râ qui veille sur les pharaons d’Egypte, mais aussi Baal Hamon, le dieu cosmique perçu par les Carthaginois comme divinité suprême ainsi que Zeus Ammon, divinité syncrétique gréco-égyptienne dont la tête était ornée de cornes de bélier, emblème des Cyrénéens, habitants de Cyrène, en Lybie. En allant consulter l’oracle, Alexandre s’inscrit dans la tradition – car selon elle, Persée et Héraclès aurait fait de même – ainsi que des personnages comme Lysandre ou Cimon.
Un article de Gérard Lucas, consacré au contenu de la réponse qu’Amon a donnée à Alexandre lors de ce pèlerinage, contient des informations intéressantes. L’auteur précise que sept textes grecs et latins qui ont été conservés relatent la consultation de l’oracle par Alexandre le Grand. Par ordre chronologique, il s’agit notamment d’historiens comme Diodore, Strabon (qui critique Callisthène), Quinte-Curce, Plutarque, Arrien, Justin et le Pseudo-Callisthène du "Roman d’Alexandre".
Le but d’Alexandre est de s’assurer qu’il est d’ascendance divine et qu’il est invincible. Après analyse de différents détails, le chercheur arrive à la conclusion que l’oracle est un trucage, d’autant plus facile à escamoter, qu’Alexandre est seul, sans témoins qui pourraient attester de ce qui a été dit.
Voilà ce qui est conclu pour l’oracle dans cet article, mais il nous sera difficile, aujourd’hui, de mettre en avant des preuves irréfutables du pèlerinage, ou, au contraire, d’écarter la véracité de cet épisode.
Il est, en revanche, intéressant de lire ce passage, écrit par Flavius Arrien, environ quatre siècles après les conquêtes d’Alexandre, extrait de l’Histoire d’Alexandre. L’Anabase d’Alexandre le Grand, III, 2, 1, paru aux Editions de Minuit en 1984, p. 88-89. Il nous plonge dans les croyances de l’Antiquité, évoque le respect des traditions, les préoccupations rituelles, et révèle quelques éléments de la création d’un récit jalonné d’exploits et d’interventions surnaturelles, très tôt sujet à controverses :
"Alexandre fut pris du désir de rendre visite à Ammon, en Lybie, d’une part pour consulter le dieu, parce que l’oracle d’Ammon était réputée infaillible, et parce que l’on disait que Persée, comme Héraclès, l’avaient consulté (…). Or, Alexandre entendait rivaliser avec Persée et Héraclès, en tant qu’il était de leur race à tous les deux, et aussi parce qu’il faisait remonter sa naissance, dans une certaine mesure, jusqu’à Ammon, comme les légendes font remonter celles d’Héraclès et de Persée à Zeus. C’est donc dans cet esprit qu’il rendit visite à Ammon, pour avoir une connaissance plus rigoureuse de ses propres affaires ou, du moins, pour dire qu’il l’avait acquise.
Jusqu’à Parétonium, il suivit le rivage à travers une contrée désertique, bien que non dépourvue d’eau, sur une distance de mille six cents stades, d’après Aristobule. De là, il tourna vers l’intérieur, où se trouvait l’oracle d’Ammon. La route est déserte, faite de sable le plus souvent, et privée d’eau. Or, une pluie abondante tomba du ciel pour Alexandre, et ceci fut mis au compte de la divinité, ainsi que le fait suivant: quand le vent du sud souffle dans cette région, il pousse sur la route de grandes quantités de sable, faisant disparaître son tracé: on ne peut plus savoir où il faut marcher, dans une sorte d’océan de sable, parce qu’il n’y a pas de repères sur la route. (…) Et effectivement Alexandre et sa troupe se perdirent, et les guides hésitaient sur la route à suivre. Alors, d’après Ptolémée, fils de Lagos, deux serpents avaient pris la tête de la colonne en poussant des cris, et Alexandre avait ordonné aux guides d’avoir confiance en la divinité et de les suivre. Ils les avaient guidés alors jusqu’à l’oracle, puis pour en revenir. Mais Aristobule, en accord avec la version la plus répandue, et qui a prévalu, dit que ce furent deux corbeaux, volant devant la colonne, qui servirent de guides à Alexandre. Et qu’il ait bénéficié du secours d’un dieu, cela, je peux l’affirmer, parce que même la vraisemblance le permet; mais l’exactitude du récit a été perdue, du fait des interprétations divergentes à son sujet."
Pour aller plus loin :
Dans Les collections de l’Histoire, « Le Sahara, 5000 ans de géopolitique », n°58 (janvier-mars 2013), l’article de Pierre Chuvin intitulé «Qu’allait faire Alexandre à Siwa?» ;
Historiens d’Alexandre. Textes traduits et annotés par Janick Auberger, Belles Lettres, 2001;
Historiens compagnons d'Alexandre : Callisthène, Onésicrite, Néarque, Ptolémée, Aristobule, Paul Pédech, éd. Belles Lettres, 1984 ;
Alexandre le Grand. Histoire et dictionnaire, sous la dir. de Olivier Battistini et Pascal Charvet, éd. Robert Laffont, 2004;
Et peut-être aussi un article sur l’oasis de Siwa.
Bonne lecture !