La piraterie est-elle à l'origine de la décision françaisee d'envahir l'Algérie ?
Question d'origine :
Bonjour,
Des pirates venus des côtes de l'Afrique du nord ont durant des siècles parcouru la Méditerranée, enlevant marins et voyageurs pour les vendre comme esclaves. Une cousine de Joséphine de Beauharnais est ainsi devenue l'une des épouses du sultan, à Constantinople.
J'ai lu quelque part que ces actes de piratage ont contribué à la décision prise par la France d'envahir l'Algérie et les autres états d'Afrique du nord. Pourriez-vous me dire si cette version est véridique et quand ont cessé ces enlèvements et ventes des captifs en tant qu'esclaves ?
Merci par avance.
Bien cordialement.
Réponse du Guichet

Ces enlèvements en haute mer ont bel et bien eu lieu pendant de nombreuses années. Aucune preuve tangible ne semble confirmer cette légende sur la cousine de Joséphine de Beauharnais. Quant à ces actes de piraterie, ils ont effectivement contribué à la prise d'Alger en 1830 par la France, et ont globalement cessé cette même année.
Bonjour,
Les Barbaresques
Les pirates des côtes de l'Afrique du nord auxquels vous faites allusions sont les Barbaresques. Redoutables corsaires, ils ont effectivement navigué en maîtres sur la Mer Méditerranée. Une des figures les plus connues d'entre eux est évidemment Barberousse, personnage emblématique de l'empire Ottoman, repris dans de très nombreuses œuvres en tout genre. L'ouvrage de Jacques Heers "Les Barbaresques" au récit antérieur à notre point d'intérêt pourra vous donner une idée de la toute puissance de ces marins dans le bassin méditerranéen.
Les enlèvements sont une pratique courante pour ces navigateurs chevronnés. Ils visent souvent les pays au nord de la Méditerrannée, notamment la France. Des témoignages de religieux, ou de voyageurs parlent, aux alentours du XIXè siècle, de plusieurs milliers d'esclaves. L'homme était un butin bien plus précieux et donc lucratif que tout sac de grain, d'huile, ou autres vulgaires ressources. Ils seront commis jusqu'à la prise d'Alger et sa mise sous régime colonial, dont nous reparlerons plus bas.
Aimée DuBuc de Rivery
Le point sur cette cousine de Joséphine de Beauharnais, à savoir Aimée DuBuc de Riverie, reste quelque peu nébuleux. La légende, et nous pesons ici nos mots, voudrait qu'elle fût enlevée en mer par un corsaire (Barbaresque, donc) lors d'un trajet entre la France et la Martinique, soit sa terre natale, puis vendue en temps qu'esclave à un Sultan à Constantinople, qui fit d'elle sa femme. Plusieurs historiens spécialistes s'accordent pour dire que cette histoire ne serait autre qu'une légende inventée de toute pièce. Jacques Petit-Jean Roget explique dans son ouvrage "j'ai assassiné la sultane validée" qu'il s'agirait d'un mythe inspiré par une pièce de théâtre. L'aventure (ou du moins, la mésaventure) d'Aimée Dubuc de Riverie demeure impossible à confirmer ou infirmer avec certitude. Il nous paraît cependant raisonnable de suivre l'idée générale des spécialistes qui ont travaillé sur le sujet, nous aiguillant vers une légende plutôt qu'un évènement historiquement prouvé.
La prise d'Alger
Vous pouvez trouver dans l'ouvrage de 1917, intitulé "La Méditerranée de 1803 à 1805" par Georges Douin, des traces assez nettes d'une convoitise française de la mer méditerranée. Convoitise prenant forme dans la personne du consul Napoléon Bonaparte.
Avançons encore légèrement dans le temps et arrêtons nous en 1830, date de la prise d'Alger. Les Français, suite à cette expédition placent le pays sous régime colonial. Les raisons sont multiples, comme nous le démontre Jacques Frémeaux dans son étude "Algérie 1830-1914, naissance et destin d'une colonie". Les intérêts sont divers : religieux en premier lieu, "dans un esprit de croisade" nous dit l'historien ; mais aussi éminemment économiques, si la France contrôle l'Algérie, elle pourra bien plus aisément sillonner la mer méditerranée et donc jouir d'un flux marchand beaucoup plus apaisé qu'avec la présence des corsaires Barbaresques. On constate donc d'ores et déjà que la présence des corsaires nord-africains joue un rôle dans le lancement de l'expédition. En termes de motivations plus concrètes, Frémeaux parle de la notoire affaire de Bachri-Busnach, vieux contentieux financier entre la France et l'Algérie. Il nous apprend aussi que la course, cette pratique de guerre navale consistant à capturer les vaisseaux ennemis est un grand point de tension, au même titre que son penchant religieux, le "corso" dans lequel il s'agit de capturer les vaisseaux infidèles, comme l'écrit Xavier Labat Saint-Vincent dans l'article La course et le corso en Méditerranée du XVIe au XIXe siècle :
En Méditerranée, entre les XVIe et XIXe siècles, cette activité légale des corsaires se distingue selon leur proie. D'un côté, l'on parle de « course » lorsque le corsaire tente de s'emparer des bâtiments de commerce d'une puissance en guerre contre son souverain : il s'agit donc d'une activité ponctuelle liée aux périodes de conflits, et le corsaire est considéré comme un auxiliaire de la marine de guerre de son pays. De l'autre, l'on appelle « corso » l'activité visant les bâtiments de commerce de l'Infidèle. Ainsi, le corso, s'il s'apparente à la course en ce qu'il vise également les bâtiments de commerce, s'en différencie quant au fond : il s'agit d'une lutte permanente à connotation religieuse, entre chrétiens et musulmans, ou plus exactement entre chrétiens et barbaresques.
Les marchands et navigateurs français, parmi ceux d'autres pays européens, ne sont pas en sécurité et craignent de se faire capturer par les Barbaresques. Ce point à donc effectivement été formulé comme étant une des raisons motivant la prise d'Alger par la France. Votre version semble donc tout à fait véridique, bien qu'elle ne représente qu'une partie des points avancés pour la colonisation de l'Algérie.
Pour terminer sur cette notion de fréquence à travers les époques de ces ravissements, il semblerait que leur nombre ait drastiquement chuté voire pratiquement réduit au néant à la date de la mise sous régime colonial du pays Algérien, ce qui semble cohérent étant donné que le territoire est désormais contrôlé par la France de Charles X. Ces enlèvements avaient déjà nettement diminués suite à la seconde guerre entre les Barbaresques et les États-Unis, en 1815.
A titre plus anecdotique, des enlèvements continueront, mais les cibles seront à présent les pilotes d'avions, en particulier ceux de la compagnie générale aéropostale, comme Antoine de Saint-Exupéry ou bien Jean Mermoz.
En espérant avoir répondu convenablement à votre question.