Quand et comment s'est généralisée la poignée de main en France ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Je lis dans Agnès Walch , "La vie sous l'Ancien Régime" (page 164) que "la poignée de main (...) est encore inconnue".
Quand et comment , chez qui se généralise t-elle en France ? Différences avec d'autres pays voisins ?
Cordialement
Réponse du Guichet
Voici une petite histoire de la poignée de main.
Bonjour,
Pour vous répondre voici une rapide histoire de la poignée de main :
L'importance de la main dans le corps humain lui a conféré une valeur de symbole partout à travers le monde.
Expression d'une longue série de signes rituels de civilité, de reconnaissance : baisemain, poignée de main, salut de la main, elle est aussi signe de combat ou de ralliement (pouce en l'air, poing tendu...) et sert également à signifier la dévotion... La main est universellement un symbole d'autorité, de puissance et d'action.
Source : Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances / Catherine Pont-Humbert.
Le salut est la forme traditionnelle de salutation. Autrefois, lorsque les peuples se saluaient, ils élevaient la main droite avec la paume ouverte pour montrer qu'ils ne cachaient pas d'arme. De même au Moyen-Age entre chevaliers, lorsqu'ils effectuaient le "serment de main" afin de montrer qu'ils n'étaient pas armés et que leurs intentions étaient pacifiques (Quand la poignée de main devient un geste diplomatique crucial - France Culture).
Cette précédente question posée sur le guichet, vous apporte également des éléments de réponse. Il y est précisé :
Le geste d'introduction qui, dans notre culture, consiste à serrer la main droite. À l'origine, ce geste avait une fonction « utilitaire » précise : celle d'une vérification réciproque de l'absence d'une arme qui aurait pu être tenue dans cette main. Il s'est trouvé peu à peu « désémantisé » ; il a perdu une fonction pour en acquérir une autre, celle d'établir le contact par lequel la communication s'établira.
SERRER LA MAIN (de, puis à qqn), geste essentiel qui accompagne le salut et qui est un symbole très ancien de bonne intention (la main, étant libre, ne porte pas d’arme), n’est attesté qu’à la fin du XVIe siècle.
Dans cette petite vidéo sur l'histoire de la poignée de main sur France Culture, l’anthropologue français Emmanuel Desveaux distingue les civilisations du contact physique des civilisations de la distanciation.
Les Européens font partie de la première catégorie. L'Asie orientale ou méridionale ignorait totalement la poignée de main avant de connaître la culture européenne. Pire, tout contact entre individus lors d'une rencontre ou d'une conversation était considéré comme une violation des règles usuelles de communication et pouvait être perçu comme une offense. Au Japon ce comportement relèverait même d'une perte totale de "self control" et exprimerait des intentions agressives (Aux sources de l'étiquette, Baibourine et Toporkov p. 62). Au contraire, les pays latino-américains ou arabes se méfieraient d'un interlocuteur distant, ne pas utiliser le toucher serait perçu comme un signe de froideur voir d'hostilité.
L'une des raisons du succès planétaire de la poignée de main viendrait justement de sa juste imbrication entre ces deux modes de fonctionnement. A cheval entre le tactile et le distant, la poignée fait certes se rencontrer deux corps, mais elle maintenant une distance respectable de 80 centimètres à 1 mètre entre les individus. Elle a l'avantage de ne concerner qu'une partie du corps et s'exécute rapidement, de façon sèche et ponctuelle, ce qui en ferait la recette de son succès (France Culture).
Si cela vous intéresse, nous vous conseillons de consulter l'ouvrage de Jean Poirier Histoire des mœurs afin de connaître la façon dont les différents peuples se saluent.
Selon France Culture la poignée de main s'est d'abord généralisée par la politique ou lors d'entretiens diplomatiques. Ce n'est qu'au XIXeme siècle que la poignée de main se démocratise dans le monde rural jusqu'à devenir ce symbole de salutation populaire. Sa propagation serait intimement liée au développement du négoce puisque dans les foires ou dans les marchés, il était d'usage de se "toper" la main afin de sceller une transaction. C'est un signe de confiance et de reconnaissance, mais il s'agit aussi de se congratuler mutuellement pour avoir fait affaire. Par la suite, la mondialisation et l'intensification des échanges commerciaux n'ont fait qu'accélérer ce processus.
L'utilisation de la poignée de main est aussi un signe de la démocratisation des sociétés. A travers ce geste, les individus se reconnaissent d'égal à égal d'un point de vue civique. Alors que l'Ancien Régime et les sociétés aristocratiques codifiaient jusqu'à l'excès toutes formes d'interactions humaines, la poignée de main met sur un pied d'égalité deux personnes le temps d'une rencontre. Mais c'est en réalité une "fiction d'égalité" (Emmanuel Desveaux) propre aux nouvelles sociétés démocratiques, le geste ne saurait effacer les honneurs, distinctions sociales et réputations qui précèdent chaque individu.
Ce n'est pas non plus un mouvement homogène puisque la poignée de main continue d'obéir longtemps en France aux règles de l'étiquette. Frédéric Rouvillois dans son Histoire de la Politesse de 1789 à nos jours fait état des différences dans la manière de se serrer la main selon que l'on s'adresse à un homme et surtout à une femme au début du XXe siècle. Il explique aussi toute l’ambiguïté inhérente à ce geste dans la culture française (p. 203-204) :
Dans le simple salut, le salut à la française, c'est à l'inférieur qu'appartient l'initiative : à l'homme, donc. Dans la poignée de main c'est exactement le contraire, puisque c'est toujours à la femme qu'il revient de tendre la main la première, "sauf le cas de parenté souligne Mme Raymond, et à condition d'être un ascendant". La raison, explique la baronne Staffe, vient de ce que "c'est la reine qui parle la première et, dans les rapports mondains, la femme est reine". Mais la raison véritable tient surtout au contact physique que suppose la poignée de main et qui était absent du salut à la française : l'homme n'a jamais le droit de se saisir d'une femme. Lorsqu'il serre la main qu'elle lui a tendue, il ne doit le faire qu'avec délicatesse, avec franchise, sans rapidité exagérée mais sans lenteurs suspectes : sauf à être très liée avec elle, "un homme qui retiendrait dans ses mains les mains d'une dame, observe Mme de Gencé, pècherait gravement contre la bienséance".
Même si son usage se déploie parmi toutes les couches de la population, sa pratique demeure particulièrement encadrée dans les milieux aisés ou d'ascendance aristocratique. Mais la Première guerre mondiale a rebattu les cartes, et elle s'est avérée être un temps fort de la généralisation de la poignée de main. L'Union sacrée entre les classes sociales parmi les combattants du Front en aurait conforté l'usage tout comme l'américanisation des mœurs qui a touchée la France au sortir de la guerre (Wikipédia - La poignée de main).
Par la suite elle s'est institutionnalisée au plus haut niveau jusqu'à devenir un incontournable de la scène internationale par la médiatisation de la vie diplomatique et notamment grâce à la....photographie ! Prolongez cette histoire avec cet article France Culture.
Bonne journée