Comment fonctionne la rénovation du patrimoine en Grèce ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je voulais savoir -suite à un voyage en Grèce- pourquoi il y a une telle problématique autour de la rénovation du patrimoine. Par exemple, les monuments de l'Acropole doivent-ils rester tels qu'ils étaient ? Ou faut-il souligner les traces des destructions subies ?
Merci d'avance pour votre réponse qui m'éclairera sans doute.
Cordialement,
Bonne journée.
Réponse du Guichet
La conservation du patrimoine, une question complexe plus que jamais d'actualité.
Bonjour,
«La protection du patrimoine culturel a été confiée à la responsabilité de l’État dès le lendemain de la création de l’État grec moderne. Aujourd’hui, en vertu de la Constitution, « la protection de l’environnement naturel et culturel constitue une obligation de l’État et un droit pour chacun » (Constitution de la Grèce, Gazette du gouvernement, 85/A/18-4-2001, article 24).»…
«La protection englobe l’identification, l’investigation, l’enregistrement, la documentation et l’étude, la préservation, la conservation et la restauration, ainsi que la prévention de l’exportation illicite et la facilitation de l’accès public et de l’information publique concernant le patrimoine culturel. La loi couvre aussi l'amélioration du patrimoine et son intégration dans la vie sociale contemporaine, notamment en termes d’éducation, de jouissance esthétique et de sensibilisation du public au patrimoine culturel. Une protection supplémentaire est assurée au moyen d’un dispositif de contrôle mis en œuvre avant planification à chaque niveau, ou avant le déroulement d’une activité (par exemple, agriculture, élevage, exploitation minière, construction, démolition, fouilles, etc.)
La préservation du patrimoine culturel est liée, dans une large mesure, aux politiques d’occupation des sols et de développement résidentiel et, en général, le contrôle des activités de construction s’exerce dans des zones abritant des monuments. La législation stipule que la protection des monuments, des sites archéologiques et des lieux historiques s’inscrira dans les objectifs à tous les niveaux d’occupation des sols et de planification développementale, environnementale et urbaine. En outre, la loi interdit expressément d’entreprendre sur un monument mobilier ou immobilier toute action « qui pourrait, directement ou indirectement, en détruire, endommager ou altérer la forme ».»
Source : Conseil de l’Europe
De nombreux magazines et autres sources font acte de la polémique concernant la rénovation du patrimoine grec, en voici deux qui éclaireront votre questionnement :
- Le journal des arts : «Le projet de rénovation de l'Acropole, le célèbre rocher sacré d'Athènes classé au patrimoine mondial de l'Unesco, se heurte à bien des critiques, le gouvernement grec étant accusé de détériorer un héritage inestimable.
Principal objet de cette colère : une nouvelle passerelle en béton dévoilée en décembre, dans le cadre d'une rénovation plus large présentée comme nécessaire pour accueillir des millions de visiteurs chaque année, parmi lesquels des personnes à mobilité réduite.
L'architecte chevronné Tasos Tanoulas, ancien membre de l'équipe de restauration de l'Acropole, a qualifié cette nouvelle rampe d'«incongrue» et d'«étouffante» pour le monument du Ve siècle av. J.-C, tandis que le principal chef de l'opposition, Alexis Tsipras, parlait de «mauvais traitements» infligés au plus réputé site archéologique de Grèce.
Les opposants aux travaux, terminés il y a un peu plus d'un an, estiment qu'ils ont été réalisés sans les soins nécessaires à la sauvegarde du monument emblématique. Le gouvernement réplique que toutes les précautions ont été prises et que ces critiques sont alimentées par l'opposition. Plus de 3,5 millions de personnes ont visité l'Acropole en 2019, avant la pandémie.
Le ministère de la Culture a annoncé cette semaine de nouveaux dispositifs sur l'Acropole pour les visiteurs handicapés, résultats selon lui d'entretiens avec les principales associations de personnes handicapées. Des panneaux en braille vont être installés pour les visiteurs malvoyants, ainsi que des rambardes et une signalisation pour les accès en pente. Mais les risques demeurent.
Risque de trébucher
Le jour où l'AFP a visité l'Acropole, une femme a trébuché dans un trou au milieu de la nouvelle passerelle, l'un des nombreux creux conçus à dessein pour donner un aperçu de l'ancienne roche en dessous. Plus loin, un employé balaie rapidement la terre vers un autre creux après le passage d'un groupe de visiteurs.«C'est un plateau avec des nids-de-poule. Les nids-de-poule sont loin d'être sûrs», note la guide touristique Smaragda Touloupa, qui a récemment fait visiter le site à ses parents âgés.
La rénovation de l'Acropole, qui a coûté environ 1,5 milliard d'euros et comprend un éclairage nocturne, la mise en place d'un ascenseur pour handicapés et un meilleur drainage, a été financée par la Fondation privée Onassis.
Les travaux, destinés à relancer la fréquentation du site, ont été conduits par des «experts de renommée mondiale», forts de quatre décennies d'expérience, a souligné la ministre de la Culture Lina Mendoni. «Personne ne remet en question leur travail», a noté la ministre.«Nous leur avons confié la restauration des monuments de l'Acropole. Comment peut-on douter d'eux sur un projet de rampe en béton ?», a-t-elle ajouté il y a un mois.
Mais Smaragda Touloupa, auteure d'articles sur la gestion du patrimoine et guide sur l'Acropole depuis 1998, déplore que ce projet d'envergure ait été décidé par un cercle restreint, composé surtout d'archéologues.«C'est une approche complètement technocratique», fustige-t-elle.
Même l'Unesco a appris les «interventions» sur l'Acropole par des «tiers», a rapporté à l'AFP Mechtild Rossler, directrice du Centre du patrimoine mondial de l'Unesco. En tant que signataire de la Convention du patrimoine mondial de l'Unesco, la Grèce doit prévenir«avant de prendre toute décision qui serait difficilement réversible», poursuit-elle.
Des changements «mineurs»
Selon Lina Mendoni, il n'y avait aucune obligation d'informer l'Unesco pour ces changements «mineurs» et «entièrement réversibles». Des experts de l'Unesco participeront à Athènes à une conférence internationale à l'automne, a précisé la ministre.
Pour les autorités, la rénovation était nécessaire car les chemins autour de l'Acropole, conçus il y a 50 ans et réaménagés pour la dernière fois en 2012, provoquaient des centaines d'accidents chaque année.
Le chef de projet, Manolis Korres, un architecte respecté, impliqué dans les travaux depuis 1975, a assuré que le béton repose sur une membrane protectrice qui peut être retirée rapidement si nécessaire. Un pavage solide était en outre indispensable pour permettre aux lourdes machines de déplacer des dalles de plusieurs tonnes.
Sous le métro de Thessalonique
Des critiques visent également un projet de déplacement d'une voie de l'époque byzantine trouvée lors de la construction d'un nouveau métro à Thessalonique, la deuxième ville de Grèce. Le mois dernier, des dizaines d'experts ont dénoncé une décision qui «met en péril la préservation d'importants vestiges» du passé antique et byzantine de la ville.
La route du 6e siècle av. J.-C«est l'une des découvertes les plus spectaculaires de cette période dans le monde», ont-ils assuré dans une tribune. Le métro, dont la construction, d'un coût d'1,5 milliard d'euros, a débuté en 2003, devrait être opérationnel en 2023.»
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-> Voir également le Savoir plus, dans le bandeau de droite sur le lien, qui renvoie sur plusieurs autres articles sur le sujet.
- Connaissance des arts : «Du béton sur l’Acropole ? La polémique enfle autour du projet de restauration du site antique
Une lettre ouverte signée par 133 experts en antiquités et en restauration demande au gouvernement grec de suspendre un projet d'aménagement des monuments de l'Acropole, qu'ils jugent dangereux. La reconstruction de l'escalier en marbre des Propylées, originellement construit au Ier siècle, est notamment au cœur de ce débat.
En Grèce, les experts sont vent debout contre le nouveau projet d’aménagement de l’Acropole. Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement au mois de février dernier, 133 chercheurs, professeurs d’université et archéologues grecs et internationaux, notamment des universités d’Oxford et de Durham, ont exprimé leur inquiétude face au chantier qui se profile sur le monument le plus visité de Grèce. Le centre de la polémique concerne notamment la bétonisation des promenades, contre lesquels de nombreuses personnes se battent depuis l’automne, mais aussi la reconstruction de l’escalier en marbre des Propylées, comme au Ier siècle. Selon eux, la cohérence historique du site et son intégrité physique sont mises en danger, dans le seul but d’attirer davantage de touristes.
Béton et marbre : mauvais ménage
C’est Manolis Korres, le président du Comité de Conservation des Monuments de l’Acropole, qui a proposé ces aménagements au Conseil Central d’Archéologie grec en février dernier. Celui-ci l’a accepté à l’unanimité, bien que de nombreuses critiques avaient déjà été exprimées. Pour les signataires, ces nouveaux plans d’aménagement sont «contraires aux principes internationalement reconnus et établis concernant la préservation, la conservation et la sauvegarde des antiquités». La bétonisation des allées est en effet accusée de recouvrir un certain nombre de vestiges antiques tout en causant des problèmes imprévisibles de sécurité, notamment liés au ruissellement des eaux sur ce matériau hydrophobe.Selon les détracteurs du projet, les graves inondations qu’a subi le monument en décembre dernier sont au moins en partie imputables à la pose massive de béton au niveau des promenades.Le ministère s’est défendu en expliquant que l’agrandissement des allées et leur revêtement avaient été pensés pour accueillir plus convenablement les personnes à mobilité réduite. Une instrumentalisation pour les divers opposants au projet, qui n’y voient qu’un moyen d’accueillir davantage de touristes, d’autant plus après qu’un accident concernant une personne en fauteuil roulant se soit produit sur ces promenades, le 18 avril dernier.
Une aberration monumentale.
Le projet de reconstruction de l’escalier en marbre des Propylées, à l’entrée ouest du monument, a été fortement critiqué. Les experts considèrent, d’une part, la valorisation d’un élément du Ier siècle, au milieu de monuments conservés dans leur état du Ve siècle, comme une pure aberration patrimoniale. Loin de résoudre les problèmes de circulation des visiteurs, que cet aménagement devait pourtant régler, il risque de les empirer, toujours d’après la tribune. Les chercheurs s’inquiètent également de la possibilité d’une destruction de la porte Beulé, également située près des Propylées et construite par les romains au IIIe siècle, le projet d’aménagement ne l’excluant pas. L’ensemble de ces changements risque, selon les signataires, de transformer durablement l’aspect de l’Acropole, mais constitue surtout «une dévalorisation, une dissimulation et une dégradation du plus grand trésor archéologique et artistique qui a été légué à la Grèce moderne». Si Manolis Korres a tenté d’apaiser les esprits en expliquant que tous les aménagements seraient réversibles, que les vestiges les plus anciens ne seraient pas recouverts et qu’il s’agissait aussi de réparer des erreurs de restauration précédentes, il n’a pas convaincu les experts qui mettent fortement en doute la possibilité de revenir en arrière suite à ce chantier.Les critiques n’ont pour l’instant pas réussi à faire plier le gouvernement, qui devrait lancer des études préliminaires à l’automne prochain.»
Pour aller plus loin :
La Conférence d’Athènes sur la conservation des monuments d’art et d’histoire(1931) et l’élaboration croisée de la notion de patrimoine de l’humanité
«La Conférence sur la conservation des monuments d’art et d’histoire (Athènes, 21-30 octobre 1931), marque un tournant essentiel dans l’histoire de l’idée de «patrimoine», car elle conduit à l’élaboration de la notion de patrimoine archéologique et artistique de l’humanité.»
«La conférence sur la conservation des monuments d’art et d’histoire se déroula du 21 au 30octobre» (1931) … «Une attention particulière devait être réservée à l’analyse comparative des différentes législations patrimoniales et des traditions nationales de classement des monuments et d’intervention en cas de restauration. Le congrès devait également comprendre de nombreuses études de cas sur les causes de dégradation des monuments et sur les techniques d’entretien et de prévention, sur la protection du contexte bâti et sur les risques induits par l’utilisation des monuments de la part de personnes privées ou d’institutions.»
Et le livre Pour une histoire de la restauration monumentale (XIX-début XXe siècle) que nous avons à la bibliothèque donne des perspectives nouvelles sur la restauration :
«Pour l’incarner dans le monde contemporain traversé par la question écologique, l’ouvrage offre un bilan de recherches récentes sur l’altération des matériaux et la bioprotection.»
Bonne journée,