Question d'origine :
Sait-on jamais vraiment qui on est vraiment ou est-ce-que les choses comme notre esprit changent tellement constamment que l'on ne sait jamais vraiment qui on est et que l'on ne peut jamais répondre définitivement aux questions existentielles?
Réponse du Guichet
Toutes les notions reliées au fait de connaître notre propre personne ainsi que les réponses aux questions existentielles sont relatives à l'époque et aux personnes en proie à ces interrogations, qu'il s'agisse de leur âge, leurs conditions de vies, leur socialisation et éducation ainsi que leur état d'esprit ou encore bien d'autres critères. Il n'existe jamais de réponse transcendantale et universelle. Le but de la philosophie n'est pas tant de trouver ces réponses parfois illusoires que de soulever des questions.
Bonjour,
Nous souhaiterions vous proposer avant toute chose une citation issue de l’œuvre de Proust, qui n'est certes pas un philosophe mais qui ne sera pas moins éclairante sur l'articulation de notre réponse.
Notre 'moi' est fait de la superposition de nos états successifs, mais cette superposition n’est pas immuable comme la stratification d’une montagne.
Marcel Proust pointe du doigt un aspect crucial de notre humanité, le moi n'est pas un état unique et perpétuellement figé. Pris dans son sémantisme le plus large, le "soi" pourrait s'apparenter à une collection de "soi" pluriels survenant au fil du temps. Il va sans dire que vous n'êtes pas la même personne, aussi bien psychologiquement que physiquement, que lorsque vous aviez 8 ans. Vos états d'esprits, vos connaissances, vos facultés cognitives, votre esprit en somme, tout comme votre physique et votre vie, ont dû changer depuis. Pourtant, vous êtes toujours "vous". C'est cette continuité entre son ancien "moi" et ce "moi" actuel qui définit le "soi". Proust assimile cette collection d'états à une superposition. (Sur une note liée au sujet, vous pouvez consulter l’œuvre de Chomsky, notamment autour de la continuité psychique, point d'ancrage du principe neurolinguistique selon lequel nous sommes capables de nous référer aux objets qui nous entourent, et à nous même. Cet axe de réflexion est exploré dans le film de Michel Gondry intitulé "Conversation animée avec Noam Chomsky.)
Ces changements d'états d'esprit peuvent s'opérer en vous de manière purement personnelle, mais aussi par le biais de votre entourage et de vos groupes sociaux. Vous posiez une question sur cet item incontournable de la socialisation, et cette dernière est pertinente en ce que chaque groupe présente effectivement des normes et codes propres. Si vous changez de groupe social, fort est a parier que votre vision de la vie, vos habitudes et états d'esprits en seront affectés. Si nous ramenons ce point à l'énoncé de votre question, votre "moi" sera affecté.
Il en découle de ces premières observations qu'il nous serait impossible de savoir qui nous sommes, si cela impliquait d'avoir une réponse définitive et permanente à la question.
Comme vous sembliez le supposer avec une autre de vos questions, il parait donc difficile d'établir ces vérités universelles. Ce constat peut tout à fait se calquer sur la seconde préoccupation soulevée, à savoir les questions existentielles. Que ces dernières soient tournées vers vous-même ou bien vers l'ensemble de l'humanité, il nous semble difficile de fournir une réponse concrète et surtout définitive à une interrogation de cet acabit. La pluralité des philosophies, des sociétés et des êtres humains montre qu'il n'existe pas qu'une seule réponse à l'existence. Ces questions sont larges et parfois fatigantes, tendant plus à une réflexion qu'une résolution immédiate. Nous vous conseillons de consulter des sources documentaires qui font lumière sur l'incertitude humaine. Loin d'être une pensée négative à proscrire, elle est selon Edgar Morin le fondement de tout raisonnement :
«Le plus grand apport de connaissance du XXe siècle a été la connaissance des limites de notre connaissance. L’incertitude est notre lot, non seulement dans l’action, mais aussi dans la connaissance. La condition humaine est ainsi marquée par deux grandes incertitudes: l’incertitude cognitive et l’incertitude historique».
Or les incertitudes sont des stimulants de l’attention, de la vigilance, de la curiosité, de l’inquiétude qui, à leur tour, stimulent de nouvelles stratégies cognitives. Car «c’est bien l’incertitude et l’ambiguïté, non la certitude et l’univocité, qui favorisent le développement de l’intelligence» (Edgar Morin, La Méthode. La vie de la vie)
Parmi ces sources mentionnées plus haut, plusieurs ont été abordées dans une précédente question du Guichet qui portait sur la philosophie et l'incertitude. Clément Rosset et son Principe d'incertitude y figure, tout comme Certitudes, incertitudes et enjeux de la philosophie des sciences contemporaine de Léna Soler (2001). « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » avance Dorian Astor dans son ouvrage "la Passion de l'Incertitude" (2020).
Changer d'avis est fort heureusement un mécanisme humain. France Culture revient en 2017 sur le pourquoi du comment dans cet article intitulé "pourquoi change-t-on d'avis ? avec un court texte doublé d'une moins courte conférence de deux heures sur le sujet. Hervé Pierre soulève lui une autre importante question qui mérite toute notre attention : "Faut-il avoir peur de l'incertitude ?" Dans son ouvrage Inflexions (2012) pages 187 à 200.
Pour terminer, nous vous invitons aussi à relire les réponses à vos anciennes questions :
Est-il normal de ne pas savoir quoi répondre sur mes croyances et mes valeurs?
Certaines personnes vivent-elles leur vie sans se poser de questions ?
Ces préoccupations, propres à l'être humain y sont adressées. Vous y trouverez peut-être un certain apaisement en constatant qu'il est très difficile de savoir qui nous sommes de manière concrète et tangible, que le doute et l'incertitude sont humains, et qu'il est normal de ne pas toujours tout savoir de nous-même.
Bonne journée,